Le monde sombre. On sent que tout s'écroule. Tout tombe, et on laisse tout tomber. On se pose, et on regarde. On attend. On attend que le temps passe, on attend que les choses se tassent, on attend simplement un meilleur avenir, un meilleur chemin qui se présente à nous.
Pour moi, quand tout est tombé, j'ai pleuré. C'est bête, dit comme ça, mais il n'y avais aucune autre porte de sortie pour moi. Je revenais du travail, longue journée, trop longue. J'avais les clefs de son appartement, évidemment, on prévoyait le mariage. On avait gardé nos deux appartements, principalement parce que les deux étaient des propriétés achetées, mais on vivait dans le sien. Il était plus près de nos lieux de travail respectif. Ce soir-là, je devais manger avec l'un de mes journalistes, lui donner quelques conseils sur sa manière d'écrire et sur comment il pouvait mieux s'adapter à notre cible. Quand on travaille au Harper's Bazaar, tous les détails sont importants, tous les collaborateurs ont leur pièce a ajouter au puzzle. Je suis rédactrice en chef d'une catégorie du magazine, mais ça n'en reste pas moins très important. C'est du poids et de la pression sur les épaules. Qui aurait pu croire que ce soir-là, ma vie entière allait prendre un tournant que je visualisais même pas ? J'aurais jamais cru que ma vie allait changer si radicalement. Non. C'était pire, même. Je voyais ma vie se briser sous mes yeux, je voyais mon fiancé en toucher une autre, je voyais le plaisir qu'il prenait à le faire sur elle, je le voyais. Je connaissais les mouvements, je savais la passion, je voyais dans ses yeux le désir. Et puis son regard croisa le mien dans l'ouverture de la porte. J'aurais pu le confronter, j'aurais pu lui dire, mais j'ai juste fuis. Je suis partie en courant, je suis partie, j'ai laissé faire, je ne me suis pas battue pour lui. Le méritait-t-il ? Je ne pense pas. Est-ce que je le méritais ? Je ne pense pas non plus, et pourtant il l'a fait, rien ne l'a empêché. Ni les photos de moi, de nous qui tapissaient les murs, ni mon odeur présente dans sa chambre, ni même le fait que ce soit moi, dans ce lit, la veille et que derrière le miroir dans lequel il se regardait, il y avait certainement un t-shirt à moi, oublié ici lors d'une de mes visites. Il n'a pensé à rien, rien du tout. Ni à nos rires devant la télé, ni à nos projets d'avenir. Non. Rien. Juste à son moment présent, juste à son bonheur, à son plaisir, et à ses seins plus imposants que les miens, certainement. Il n'a pensé qu'à lui, et il l'avait eu, son moment d'égoïsme. J'étais venue pour m'excuser, d'un poids trop lourd sur les épaules. On avait eu une dispute dernièrement et je voulais remettre les choses au clair entre nous. Je voulais qu'on aille mieux. C'était sans compter sur lui. J'ai ouvert la porte de la chambre, elle était déjà sur lui, et il l'a regardais avec ces yeux clairs, il me dégoûte. J'ai entendu ses gémissements, à lui, à elle, ça tourne encore parfois dans ma tête. J'ai entendu qu'il prenais son pied, et puis il m'a vu. Il m'a regardé fixé là, à me briser sous ses yeux, à me décomposer alors qu'une autre ne faisait que des aller-retours sur son corps. Rapidement, sous ce regard, j'ai couru, j'ai couru aussi loin que j'ai pu, aussi vite que j'ai pu. Je ne voulais pas qu'il me rattrape. Je l'aimais. Comme jamais j'avais aimé quelqu'un, je nous pensais forts, je nous pensais vivre encore des tas de choses, mais ça s'est fini comme ça. Réduire à néant notre histoire pour quelques minutes de plaisir charnels.
Puis ces questions, toutes ces questions qui viennent, qui arrivent comme des balles qui vous transpercent jusqu'à ce qu'il ne reste de vous qu'un gramme de poussière. Qu'est ce qui cloche chez moi ? Suis-je assez jolie ? Et si ce n'était pas la première fois ? Et si ce n'était pas la seule ? Et si je n'étais pas assez ? Et si... ? Et puis arrivent les réponses. Les réponses qu'on s'invente à soi-même parce qu'il n'y a personne d'autre pour y répondre. Les réponses qu'on pense vraies alors qu'elles ne le sont peut-être pas. On s'invente des réponses qui nous font mal, qui nous blesse, et puis on pleure.
Et on apprend à vivre avec, à passer à autre chose, à se dire que la vie continue. La confiance en les hommes en prend un coup, la blessure est encore récente, mais Harvard va me faire du bien. Cette rentrée est pour moi un nouvel air, un changement radical mais bénéfique. Moi, qui ne jurait que par le talent, par l'apprentissage sur le tas, certains vont vous dire 'par le piston' et je reconnais avoir été chanceuse, oui. Mais si je suis à Harvard aujourd'hui, c'est surtout pour montrer ma valeur, pas juste être la fille de, pistonnée pour garantir sa place au sein d'une grande institution.