« Non mais cette histoire est complètement nulle que ça sert à rien de s’attarder dessus. Elle a tourné la page et c’est tout
— Non mais tu es amoureux d’elle non ?
— Qu’est-ce que ça change dans le fond ?
— Tout
— Biiiiiiip ! Faux. Ça change rien »

C’était comme ça que cette soirée avait débuté. J’avais rencontré ce mec au bar. Le Lord Hobo ou truc du genre. Autant dire que j’avais pas encore tous mes repères dans cette nouvelle vie et je n’étais pas sûr de les avoir rapidement. Vous savez ce genre de personnes qui oublient même où sont leurs clés alors qu’ils les ont dans la main ? C’est moi, en toute honnêteté. C’est pas une maladie ou quoi, c’est juste que j’ai un manque cruel d’attention envers tout et n’importe quoi.

« Cette fille, t’as cherché à la recontacter ?
— Non. Oui, peut-être
— Parle bien mec
— Elle est sur internet, elle a des “followers” genre
— Gné
— Elle fait des vidéos, écrit des trucs… ce genre de choses quoi. Les gens regardent, lisent, commentent
— Bizarre
— Grave.. mais du coup je la suis de loin quoi »

Vega. Cette fille, c’est Vega. L’amour de ma vie. L’amour de ma vie qui m’a brisé le cœur en rompant avec moi de façon tellement inexpliquée alors que merde, j’étais bien avec elle. Trois ans que je expérimentais ce truc qu’on appelle l’amour. C’était très bien parti pour le coup puisqu’au lycée, malgré le fait que j’ai retapé une classe durant le cycle antérieur, j’étais considéré comme un Dieu. La star du baseball, celui qui allait faire monter l’équipe lycéenne de la Nouvelle Orléans en haut de l’affiche. Le home-runner en puissance. Et ouais, populaire. J’étais populaire. Elle aussi l’était et c’était comme une évidence. Des moments passés ensemble, des regards, des sourire. Et malgré les apparences, malgré tout ce qu’on pouvait croire de moi, j’avais jamais couché avec aucune fille avant elle. Elle était la première, la meilleure… Mais voilà, si tout allait bien au début, ça avait fini par décliner je crois.

« Accident de voiture, tout con, rien de vraiment grave dans le fond. Sauf qu’ils ont décelé un problème chez moi. Une histoire de mauvaise regénération des tendons et au niveau de l’épaule, si je force trop, ça peut mener à une déchirure des tissus ligamenteux
— Tu parles chinois
— Si je continuais le baseball, je pouvais me blesser vraiment grave
— Oh, nul. Ça craint mec
— Yep » 

Et voilà comment ma carrière de grand sportif était cuite dans l’œuf avant même d’avoir commencé. Alors ouais, j’étais dégoûté, j’étais énervé et en colère contre moi-même. Je sais pas trop comment j’aurais pu palier à tout ça. Mais voilà, j’ai fini diplômé, je suis pas allé à la fac parce que bon, fini le sport donc plus de bourse d’étude. Plus rien ne s’offrait à moi. Alors je restais dans le coin, pour Vega. Pour notre relation. Mais voilà, ce mal être naissait en moi, l’impression de n’être qu’un moins que rien, de ne pas être capable de faire quoique ce soit de A à Z. Alors j’agissais comme tel. Je m’en foutiste, à sortir bien souvent dans le but de m’éclater. Et sûrement que durant toute cette année suivant le diplôme, j’avais dépassé les bornes, mais sans franchir la limite de la tromperie. Les filles étaient présentes à chaque soirée, se frottant à moi, s’amusant à me draguer, cherchant à me faire craquer. Mais non, je ne craquais pas. Certes, je laissais ma langue découvrir les parcelles de leur bas ventre, le nombril faisant le conteneur parfait pour un body shot.

« Un pote m’a fait un coup de pute aussi, en envoyant une connerie que j’ai fait
— C’est pas un pote
— Ah ouais, clairement
— T’as fait quoi vieux ?
— Rien… rien de répréhensible je crois. Un body shot
— Genre l’alcool sur le corps de la meuf ?
— Mais ouais, tu devrais essayer » 

La vidéo, elle l’avait vue. Et puis quand on s’est vu, pas longtemps après, elle a rompu. A cause de ça, à cause de cette putain de connerie du body shot. Enfin, c’était pas une connerie parce que c’est la meilleure façon que j’avais pour apprécier l’alcool. Puis quelques mois plus tard, j’avais l’opportunité de déménager, avec Maël. Une nouvelle ville pour une nouvelle vie. Un job qui payait bien : mannequin dans une boutique réputée. J’avais juste à être torse nu, faire des sourires et faire vendre les produits pour avoir des bons bonus. Alors avec Maël, on avait déménagé à Miami. Il y avait fini sa scolarité. Il était venu avec moi parce qu’impossible pour nos parents de s’occuper correctement de lui. C’était bien pour cette raison que notre relation était assez fusionnelle. On avait cette façon de se comprendre, de réagir à peu près de la même manière, même si on avait des différences assez notables. Mais ouais, c’est mon frère et je l’aime.

« La Floride mon gars, c’est teeeeeellement le pied. La fête, les filles… Elles sont putain de bien gaulée, c’en est flippant de voir qu’elles sont bien différentes dans les autres états, regarde moi ça
— Mais ils peuvent pas être aussi gros les seins, si ?
— Oh si, et crois moi que j’ai bien foutu ma tête dedans et pas que
— Arrête, je suis jaloux
— T’as de quoi »

Mais voilà, le truc, c’est que Maël gardait contact avec Vega, Saphir malgré l’éloignement et bordel, il m’énervait quand il faisait ça. Il avait aussi droit de garder parti pour moi. C’est Vega qui m’avait largué merde. Enfin, j’avais appris tout ça récemment, quand on a décidé de déménager pour Cambridge, puisque monsieur va intégrer Harvard à la rentrée prochaine. Ce putain d’intello va enfin vivre son rêve et moi, je le suis. Pour m’occuper de lui, pour garder ce lien qui nous unit… je l’aime ce ptit con.

« Mais t’sais mec… toutes ces meufs, elles valent pas Vega
— Ouais, t’es encore amoureux
— Non
— Si
— Non
— Si
— Non »

Si. Clairement si, je l’aimais mais je ne pouvais pas l’avouer, c’était impossible pour moi de l’avouer. Attrapant de nouveau mon téléphone, j’allais sur son blog, m’attendant à voir l’ancien article qu’elle avait posté il y a deux jours. Mais non, c’était un nouvel article, même deux. Et elle parlait de moi. De moi et de Maël. Et alors que de mon autre main je tenais un verre de vodka, je me mis à l’éclater contre le bar, d’un mouvement vertical des plus forts. La colère s’emparait alors de moi, j’étais clairement dans un tout autre état. Ivre oui, mais jaloux, colérique, possessif et.. ouais, haineux.

« Je vais la tuer
— Qui ?
— Je vais le tuer lui aussi
— Qui ?
— Ils vont morfler »

J’avais déposé un billet sur le comptoir avant de m’en aller, non sans difficulté, pour retrouver l’extérieur et peut-être réussir à accéder à mon immeuble où, contre toute attente, j’avais découvert que Vega et Saphir vivaient dedans également. J’allais la voir elle en premier. Et le virer de l’appart en second. Ouais, c’était une bonne idée. Bande de traitres.

« …. mais qui ? »