C'est âgé respectivement de 36 et 34 ans que mon père et ma mère sont devenus parents pour la première fois. Et la seule fois également. Avoir des enfants ne faisaient pas partie de leurs plans d'avenir. Ils voulaient se concentrer sur leurs carrières respectives plutôt que sur le fait d'avoir une famille sur qui veiller.  Comme vous vous en doutez, mon père est le fondateur de la marque portant son nom, Micheal Kors. Pour ce qui est de ma mère, elle était mannequin. J'ai malgré tout pointé le bout de mon nom cette année-là. Et même si ce n'était pas dans leur plan d'avoir des enfants, ils m'ont accueillie à bras ouverts. Mon père était d'ailleurs bien content d'avoir quelqu'un qui lui succèderait à la compagnie lorsqu'il serait temps. Oui, ils m'ont accueillie à bras ouverts mais ils m'ont aussi abandonnée en quelque sorte. Quand on travaille autant que mon père, quand on voyage autant que ma mère, on est pas souvent à la maison. Du coup, j'ai passé les premières années de ma vie avec une nourrice. Une jeune fille qui s'occupait de moi en tout temps. M'amenant dans chaque cours que mes parents m'offraient dans l'espoir de me faire oublier leurs absences de plus en plus nombreuses. Cours de gymnastique, de danse, de peinture, de musique.... Et j'en passe. C'est d'ailleurs au cours de ces premières années que ma mère est tombée gravement malade et a fini par nous quitter. J'étais trop jeune pour comprendre, trop jeune pour avoir des souvenirs de cette femme puisqu'elle était toujours partie en voyage pour ses défilés.

J'ai eu une enfance géniale, comme vous pouvez l'imaginer. Tout ce que je voulais, je l’obtenais. J'avais tout ce que je méritais finalement. Il n'y avait qu'à dire mon nom pour que tout le monde soit à mes genoux. Qui ne veut pas être ami avec la fille de Micheal Kors? Qui ne veut pas avoir cette fille dans sa poche pour peut-être espérer avoir un nouveau sac à main du même nom? C'est en 2000 que j'ai commencé l'école. Vous vous doutez bien qu'une fille comme moi ne peut pas aller dans n'importe quelle école. Une école publique? Pas question. J'ai plutôt fait l'école à la maison pendant plusieurs années. Papa voulait les meilleurs instructeurs pour sa fille. Il voulait le meilleur dans tout pour sa petite princesse.

C'est cette année-là que j'ai tenu à quitter finalement la maison pour intégrer le lycée. Fini les cours toutes seules à la maison. J'ai quand même pas été dans un lycée publique. Plutôt un collège privé. Le choc, je vous dis pas. Imaginez la petite princesse, celle qui se croit tout permis, qui croit tout mérité qui se heurte à la réalité. Des dizaines de filles qui pensent exactement la même chose qu'elle à propos d'elles-mêmes. Pas question de me laisser détruire par ça quand même. Je sais qui je suis et je sais ce que je vaux. Petit à petit, j'ai grimpé les échelons en écrasant qui que ce soit qui se mettait dans mon chemin. J'ai fini par avoir la réputation de la fille avec qui tu es mieux d'être amie sinon, gare à toi. Les coups bas, je n'hésite pas à les faire si tu t'opposes à moi. Le lycée, c'est comme la jungle. École privée ou publique, c'est la même chose. Et j'avais aucune envie d'être la petite brebis qui se fait manger. Je voulais être la lionne qui se fait respecter.

Ça y est, je suis maintenant assez grande pour intégrer l'université. Quelle joie! Vous voyez le sarcasme ici? Ça n'a jamais été mon rêve d'intégrer Harvard. C'était celui de mes parents. Ils en parlaient depuis ma naissance. Je suis donc entrée à Harvard en administration et comptabilité. Tout ça pour pouvoir reprendre l'entreprise de mon père au moment venu. Comme si j'avais besoin d'aller à l'université pour savoir comment gérer une compagnie comme celle-là. J'observe mon père depuis toujours. J'ai même fait des stages pendant plusieurs étés. Mais non, il tient à ce que je gradue de l'université la plus prestigieuse qui soit. Bref, en tant que gentille petite fille à son papa, j'ai suivi mes cours comme une bonne étudiante, obtenant toujours de bons résultats, parmi les meilleurs d'ailleurs. J'ai également intégré la maison des bleus pour me faire des contacts parmi ceux qui comptent aller loin dans la vie. Puis, en plus de tout ça, j'ai continué de travailler pour mon père comme je le pouvais en étant à Cambridge alors que le siège social est à New-York.

Ça aurait dû être une année comme les autres. Mais non. Quelques semaines après le nouvel an, mon père eu un grave accident de voiture. Assez grave pour me faire quitter l'université pour me rendre à son chevet. En plus de voir mon père gravement atteint, j'ai également appris qu'il s'était remarié avec sa secrétaire. Je pouvais pas croire qu'il avait remplacé maman par cette blondasse qui n'avait rien dans le cerveau. Je ne pouvais pas croire qu'il ne m'avait parlé de rien. S'il n'avait pas été aussi blessé, je ne l'aurais peut-être jamais su. Bref, durant toute cette année, j'ai fait la navette entre l'hôpital où se trouvait mon père et le siège social de la compagnie pour remplacer mon père dans ces fonctions. En partenariat avec sa nouvelle femme, quel plaisir, je vous jure. Durant l'été, les médecins ont fini par nous avouer que selon eux, il y avait très peu de chance que mon père se réveille du coma artificiel dans lequel ils l'avaient plongé dans une dernière tentative. Quelques semaines plus tard, alors que sa femme allait abdiquer, mon père s'est réveillé. Mais il n'était plus en état de s'occuper de sa compagnie. Pas pour le moment, du moins. Alors que j'étais certaine de me retrouver à la tête de l'entreprise comme il me l'avait si souvent promis, c'est sa nouvelle femme qui obtint le poste. Selon le conseil d'administration, une gamine de mon âge n'était pas assez mature pour m'occuper d'une entreprise d'une aussi grande valeur. Me voilà donc de retour à l'université pour leur prouver que je sais très bien ce que je fais, que je connais absolument tout dans le domaine et que je mérite ma place au sein de cette entreprise, cette place qui me revient de droit.