Sa dégaine laissait à désirer. A vrai dire, Marley adorait porter des vêtements plus grands que lui. Et puis, en ce moment, il avait besoin de confort. Il venait de vivre un mois abandonné par son petit-copain qui était revenu il y a peu. Maintenant qu'ils étaient réconciliés, il pouvait penser à autre chose qu'à cette douleur insupportable qu'il avait ressenti un mois durant. Maintenant, il pouvait penser à la révélation qu'il avait trouvée il y a peu. Une sorte d'ami d'enfance, ce terme transformé si rapidement et on ne sait comment par "demi-frère", si tant est qu'Elliot accepte ce statut. Ses doigts vernis de noir se trituraient entre eux alors que Marley se trouvait sur le seuil de la maison Winthrop. Il avait déjà subi quelques regards moqueurs en traversant toute l'université pour y parvenir.Bien sûr, son casque sur les oreilles l'avait empêché de céder à ces crises d'angoisse qui se faisaient plus fréquentes ces temps-ci. Il n'avait pas abandonné sa quête, ne sachant même pas ce qu'il espérait. Ni même s'il aurait le courage de le lui dire. Au pire, il pourra prétexter d'être venu prendre de ses nouvelles. Tirant la dernière bouffée de son bâton de nicotine, Marley en jeta le mégot sur le sol et l'écrasa durement de son pied, comme pour se donner de la contenance. Puis, son petit poing tremblant frappa quelques coups à la porte. Il n'attendit que quelques secondes avant de voir quelqu'un ouvrir la porte. Son air cadavérique n'avait rien de rassurant, certes, mais la tête que faisait le jeune homme devant lui lui donnait envie de rentrer dans un trou de souris. « Mh ... Salut. Est-ce qu'Elliot est là ? » Dit-il docilement, tandis que ses orbes vacillaient à droite, à gauche, évitant soigneusement le regard de son interlocuteur. « Je cherche Elliot Maxwell. » Cette précision dite avec un peu plus d'aplomb, il se redressa et osa enfin planter ses yeux bleus dans le regard de l'autre garçon.

Allongé sur mon lit, le dos à plat, le sourire au coin des lèvres, j’échangeais avec Lucky sur Snapchat. Elle était vraiment tarée comme nana. Mais c’est aussi pour ça que je m’entendais aussi bien avec elle et que j’avais accepté de l’épouser. Ouais, j’étais marié. Est-ce que je m’étais fait à l’idée? Non. Est-ce que je m’y ferai un jour? Oui, sûrement, mais ce jour n’était pas de sitôt. Des petits coups contre la porte me tiraient de mes rêveries et je me levais en soupirant pour aller ouvrir, laissant mon iPhone sur le lit. Devant moi, un mec assez jeune au teint un peu blafard. « Ça va mec? » me contentais-je de dire dans une mini grimace peu dissimulée. Il avait l’air un peu patraque, un peu pâlot, et un peu trop maigre. « Mh ... Salut. Est-ce qu'Elliot est là ? » Je penchais légèrement la tête sur le côté. Est-ce que c’était encore quelqu’un qui me connaissait d’avant le crash et que j’avais oublié? Non, parce que j’en avais un peu marre de ce genre de situation. Le gars en face de moi a le regard fuyant. « Je cherche Elliot Maxwell. » Je croise les bras sur mon torse. « En chair et en os. » annonçais-je tout fier comme un gamin de cinq ans. À lui de me dire ce qu’il me voulait, maintenant qu’il m’avait trouvé.

Il est vrai que l'allure mal-assurée de Marley, ainsi que son état de santé lamentable lui faisant ressembler à un fantôme, littéralement, pouvaient ne pas inspirer confiance et inquiéter les autres. Mais Marley n'avait jamais voulu inspirer de la pitié chez les autres. Il ne voulait pas se faire remarquer non plus, ça n'était pas son but. Il était simplement très mal, il transportait toujours cette douleur immensément intense qui se reflétait sur son visage crispé. Alors, lorsque l'homme face à lui qu'il ne reconnut pas lui demanda s'il allait bien, il ne put que grimacer. Pour autant, il était venu pour quelque chose en particulier. Il attendit alors la réponse du garçon avec plus ou moins de patience, puis fronça les sourcils et rougit en l'obtenant finalement. « Oh ... Salut, Elliot. J'suis Marley, tu te souviens ? On passait nos vacances ensemble en France quand on était petits. » Le garçon tritura de nouveau ses doigts en se traitant d'imbécile. Un petit rappel ne faisait pas de mal, et d'ailleurs il n'était pas au courant de la perte de mémoire de son ami, désormais demi-frère. « Je peux entrer ? J'ai besoin de te parler. » Ses orbes bleues se baladaient sur le visage d'Elliot alors que ses mains froides plongèrent dans ses poches, à la recherche de son paquet de cigarettes qu'il tritura à la place de ses doigts.

« Oh ... Salut, Elliot. J'suis Marley, tu te souviens ? On passait nos vacances ensemble en France quand on était petits. » ‘Tu te souviens?’, ou les mots les plus ironiques du monde à mes yeux depuis un peu plus d’un mois. Il n’avait pas l’air méchant, ce Marley planté face à moi, alors, plutôt que de lui envoyer une remarque cynique comme à mon habitude, je secouais la tête. « Non, j’me souviens pas. Mais c’est pas de ta faute. J’étais dans un hélico qui s’est crashé le mois dernier et j’ai perdu la mémoire suite au choc de l’accident. » avouais-je donc, en toute honnêteté. « En revanche, mes parents m’ont parlé de toi, oui. Du fait qu’on passait beaucoup les vacances en France, et qu’on était souvent amenés à se voir. » On restait dans la famille de ma mère à l’époque, quand j’étais gosse, et nos familles étaient amies, ou un truc dans le genre, je sais plus trop ce que ma mère m’a raconté. « Je peux entrer ? J'ai besoin de te parler. » Je fronçais les sourcils en le toisant. Il avait une mine grave. « Détends-toi, je vais pas te dire non. » Je me poussais de l’encadrement de la porte et le laissais pénétrer dans la chambre que je partageais avec trois autres Winthrops, pour l’instant absents. « Dis-moi, qu’est-ce que tu veux me dire? » Il commençait à me faire flipper avec ses yeux sombres et ses tocs de dérangé. Qu’il crache le morceau, ça irait plus vite.

Alors comme ça, Elliot ne se souvenait pas de lui. Marley fut un peu déçu sur le moment, il baissa alors la tête mais compris ensuite pourquoi il l'avait oublié. Il sourit quand même face à ses prochaines paroles, le fait que ses parents lui aient parlé de lui lui faisait plaisir. Au moins, il le connaissait ne serait-ce qu'un tout petit peu, et c'était bon signe. « Oui, c'est ça ... » Puis vint la question de Marley. Il ne pouvait pas parler de tout ça dehors, ou dans un couloir. Il fallait être à huit clos pour ça, ça ne regardait personne d'autre. Déjà que Marley allait avoir du mal à lui en parler, mais si en plus il se sentait épié, il n'allait pas dire grad chose. Quand Elliot lui dit de se détendre, le garçon laissa retomber ses épaules. C'est vrai, c'est un vieil ami après tout, pas de quoi stresser. Enfin, un peu quand même. Marley entra dans la chambre et l'examina quelques secondes du regard. Il resta planté là, devant la porte, un tout petit moment avant de se décider à s'asseoir sur une chaise placée à côté d'un lit. Son regard se posa sur Elliot. « Je suis désolé, pour ton accident, au fait. J'espère que tu n'as rien eu de plus grave, enfin, je veux pas dire que c'est pas grave hein mais je veux juste dire que t'as rien eu d'autre avec ça, enfin ... Désolé. » s'excusa-t-il finalement. Mais quel con, s'il n'arrivait même pas à s'exprimer sur ça, comment ça se passerait sur l'autre sujet, raison de sa présence ?

Ce p’tit gars avait vraiment l’air stressé, mais il n’y avait pas de quoi l’être. Est-ce qu’il était toujours comme ça? Un genre d’asocial, d’agoraphobe, pas du tout à l’aise en société? On aurait dit, en tout cas, ce qui était mon parfait opposé. Mes parents l’avaient rapidement mentionné, mais ils ne m’avaient en réalité donné aucun détail, que ce soit sur la relation que j’avais pu avoir avec lui, sur sa personnalité, sur nos vacances… C’était mes parents quoi. ‘J’te donne l’info principale, débrouille-toi pour le reste’. Marley s’assied enfin sur une chaise alors que je me laissais tomber sur le lit. « Je suis désolé, pour ton accident, au fait. J'espère que tu n'as rien eu de plus grave, enfin, je veux pas dire que c'est pas grave hein mais je veux juste dire que t'as rien eu d'autre avec ça, enfin ... Désolé. » Je lâchais un petit rire. Non pas moqueur, mais amusé de par son éloquence vacillante. « T’inquiète. J’ai eu une hémorragie cérébrale, c’est ce qui aurait causé l’amnésie, mais rien de grave, ça a été contrôlé à temps. J’ai des séances de rééducation, et j’dois suivre une thérapie aussi. » grimaçais-je en repensant à mon connard de psy. Parler n’avait jamais été un problème pour moi, je racontais même parfois un peu trop ma vie. « Mais j’en ai assez dit, vas-y, à ton tour, je t’écoute. Pourquoi tu es venu me trouver après tant d’années? » J’étais pas un gars super patient, alors il devrait m’annoncer la nouvelle assez rapidement s’il ne voulait pas que je m’irrite.

Sa maladresse le fit taire bien rapidement. Il perdait toujours ses mots quand il était anxieux. Anxieux de savoir comment l'homme face à lui allait réagir à l'annonce qu'il allait faire. D'ailleurs, ce dernier lui expliqua ce qui a causé sa perte de mémoire. Marley hocha la tête fébrilement toujours en triturant nerveusement ses doigts. Installé inconfortablement, ce n'était dû qu'à son stress. Et Elliot ne faisait que le faire monter un peu plus avec sa question. « après tant d'années » fut le morceau de sa phrase qui lui fit mal. S'il n'avait pas repris contact avec lui avant, c'était surtout parce qu'il avait beaucoup de problèmes sur sa santé à régler - chose qui n'était toujours pas arrivée d'ailleurs - mais aussi parce qu'il ne savait pas trop comment l'aborder. Comment aborder un ami d'enfance qu'on n'a pas revu depuis des années et qu'on a toujours trouvé être notre opposé total ? « Euh ... Ben ... En fait ... » Marley ne trouva pas les bons mots. Il soupira, se racla la gorge et passa sa main dans sa nuque. Il se redressa aussi pour se donner un peu de contenance et affronta le regard de son interlocuteur. « Il se trouve que t'es mon demi-frère. » Il laissa passer la nouvelle dite peut-être avec trop de brutalité. Un silence assourdissant fit place et Marley s'en voulut de ne pas avoir expliqué tant que ça. Alors il se rattrapa en baissant les yeux, honteux. « J'ai fait quelques recherches et il se trouve que mon père est le même que le tien ... J'ai pensé que tu voudrais le savoir ... Ou ... Je sais pas. »

T’avais l’air bizarre, comme si tu n’étais pas venu pour une simple visite de complaisance. Non, tu l’avais dit : tu avais quelque chose à me dire. Tu étais venu pour me parler d’une chose bien spécifique. Et bien qu’on agrémentait la conversation en parlant de mon accident et de notre lien développé pendant l’enfance en France, on savait tous les deux que ceci ne faisait que retarder l’échéance de ta nouvelle. Qu’est-ce que tu avais donc à me dire, Marley? Crache le morceau, ça ne pouvait pas être si grave. Tu bégayes et je me retiens de lever les yeux au ciel. Visiblement, tu es anxieux et mon but n’est pas de faire empirer ton état. « Il se trouve que t’es mon demi-frère. » Je fronce les sourcils, plisse le front, essayant de déceler le moindre humour dans le ton de ta voix. Impossible. Tu étais sérieux. Hm. « J’ai fait quelques recherches et il se trouve que mon père est le même que le tien… J’ai pensé que tu voudrais le savoir… Ou… Je sais pas. » T’avais baissé les yeux et recommencé à te triturer les doigts. Alors, après quelques instants de silence, j’haussais les épaules. « Ça m’étonne pas. » commençais-je. « T’es pas le premier, tu sais. » Malheureusement. L’épisode de mes mois de coucherie avec ma demi-soeur m’avait fait me méfier. Alors, j’étais dorénavant plus leste sur tout ça. Je m’en doutais, que des demi-frères et soeurs à moi devaient peupler la planète — on dit merci aux infidélités de papa-maman. Du coup, ta nouvelle n’avait pas vraiment l’effet d’une bombe. Vu ton état, je m’attendais à pire. « Et ? » Du coup, ça changeait quoi pour toi? Est-ce que t’étais en train de me demander de t’amener à mon père pour pouvoir lui parler? J’en sais rien, je ne comprenais pas trop ce que tu attendais de moi au final.

« Et c'est blessant. D'accord, je suis pas le premier. Mais c'est pas la peine d'être aussi froid et condescendant. » Ce sont ces mots qui lui vinrent en tête après ceux d'Elliot. Cependant, il ne les prononça pas. Il les gardait pour lui. Après tout, qui était-il pour le blâmer d'avoir tant de frères et sœurs ? Si Marley était venu en ne sachant pas ce qui l'attendait, il avait quand même, au fond de lui, un espoir qu'Elliot en ai quelque chose à foutre, quand bien même leurs différences. Pour lui, ce n'était pas une nouvelle banale. Grandir seul, être toujours seul, toujours, et puis savoir un jour qu'on a un demi-frère avec qui on était en contact, ce n'était pas anodin. Enfin, pas pour Marley en tout cas. « Et rien. Je voulais juste te le dire. » Il semble que sa colère ait pris le pas sur ses angoisses. Sa froideur soudaine ne laissait aucun doute sur sa déception. Elle était même étonnante de la part de Marley qui se confondait d'habitude en excuses. « Mais si tu t'en fiches, je vais en faire de même. » Marley déglutit, n'ayant aucune envie de lui ressembler sur ce point. Il se leva de sa chaise et fourra ses mains dans ses poches. « J'te dérange pas plus longtemps. T'as sûrement beaucoup plus important à faire, hein ? » Son ton sarcastique était en parfait accord avec son regard planté sur le Winthrop, et aussi avec son faux sourire. Rien n'est pire que de voir Marley en colère. Il n'est plus le petit agneau sensible et peureux, il devient un lion enragé qu'on ne peut plus approcher.

Toi, Marley, ce mec avec qui j'avais passé de nombreuses vacances en France pendant mon enfance, était en fait mon demi-frère. Et mon père, ce vicieux, avait bien caché son jeu. J'en déduisais qu'il s'était rapproché de ta famille pour rester un minimum près de toi. T'étais le seul de ses enfants illégitimes qu'il avait traité ainsi, à qui il avait donné de l'importance, de la considération. Mais en m'annonçant ça, tu attendais quoi de moi? Ca, j'avais du mal à le comprendre pour l'instant. « Et rien. Je voulais juste te le dire. » D'accord. Si c'était pour l'info en elle-même, merci mais non merci. Ca ne changeait rien à ma vie. « Mais si tu t'en fiches, je vais en faire de même. » Est-ce que c'était de l'amertume que j'entendais dans ta voix? Est-ce que tu aurais préféré que je réagisse autrement? Tu te lèves, prêt à repartir de là où tu venais. « J'te dérange pas plus longtemps. T'as sûrement beaucoup plus important à faire, hein ? » Je fronçais les sourcils et plissais le front. Tu affichais un sourire maintenant, un sourire tellement faux. « Quoi Marley? Qu'est-ce que tu veux que je te dise? Tu veux que je te ramène à la villa familiale et qu'on te fasse emménager avec nous et qu'on forme une petite famille équilibrée? C'est pas comme ça que ça marche. » Parce que c'était ça que tu voulais, non? Alors, je gardais le silence et soupirais finalement après quelques instants. « On a toujours été tellement différents... J'aurais jamais pensé qu'on venait de la même paire de couilles. » C'était dit cruement, mais c'était la vérité.