J'avais rien envoyé, aucun message, aucun appel, aucune photo et même pas une carte postale. J'avais rien envoyé du tout parce que je savais qu'il avait besoin de temps, tout comme j'en avais besoin aussi. Se poser, réfléchir à nous, à moi, à son rôle dans ma vie et à ce jeu duquel on arrive jamais à se sortir. J'avais pas réalisé qu'il me manquait autant jusqu'à ce que mes yeux se posent sur lui. J'avais pas remarqué que son absence a été si forte qu'en le croisant dans ce couloir. Je l'ai cherché, je traine dans le bâtiment où généralement il donne cours, probablement volontairement d'ailleurs. Je vois ses yeux se poser dans les miens, et je ralentis à sa hauteur, affichant un petit sourire poli, "Salut" je m'arrête à côté de lui, un silence imposant s'empare de nous bien malgré le brouhaha d'étudiants, "Tu vas bien ?" je suppose que ces vacances ont été bonnes, qu'il s'est amusé, et j'appréhende juste sa réaction. Rien n'a jamais été bizarre entre nous, mais les limites sont telles que je ne sais jamais quelle est la corde qui va casser, et quand elle cassera.

Le cours est fini, comme tout un tas de choses. Cette période où nous étions proches, par exemple. Où je savais ce que tu pensais, ce que tu voulais, où je n'étais jamais bien loin. Deux mois ? Ca doit faire deux mois, ouais, que je n'ai pas eu de nouvelles. Que je n'en ai pas pris non plus. Mais, tu l'sais, c'est pas ma spécialité de faire comme si de rien était. On avait convenu que c'était ton rôle, que t'étais la plus douée des deux. On va finir par se croiser. Faire demi-tour serait bien trop en désaccord avec notre mascarade. Mes pas ralentissent pourtant légèrement, le corps se freinant sans en prendre vraiment conscience. "Salut" J'en oublie l'autour, je l'entends aussi, ce silence entre nous."Tu vas bien ?" J'ai posé la même question à cette connaissance croisée ce matin. Avec quasiment la même intonation. Léger sourire, la simulation n'est pas que féminine. « Très bien, très bon Summer Camp. » Comparé à l'année dernière. Aux mois qui le précédaient, aussi. « Et toi, ce stage ? » J'ai cru te voir au Laos, j'ai cru voir ta silouhette, mais, le rhum et ses hallucinations, j'm'en méfie.

 Je suis désolée de faire semblant, encore. Je suis désolée qu’on en arrive là, de nouveau. Combien de fois encore vas-t-on faire le tour avant de se rendre compte que ce n’est pas pour nous ? Qu’il faudra trancher ? J’en ai pas envie, alors je forcerais les choses et revivrait les mêmes scènes encore et encore, sans arrêt, juste pour t’avoir un peu plus longtemps. Alors je joue à la connaissance, alors je joue la carte de la légèreté, en espérant que tu me suives. « Très bien, très bon Summer Camp. » Hoche la tête en souriant, acquiesce. « Et toi, ce stage ? » le sourire s’élargit, “Génial, j’ai pas eu à me plaindre, j’ai même eu le temps de passer deux semaines au Laos.” On dirait qu’on se connaît à peine, que ce n’est que de la politesse, ça m'écoeurerait presque. “Le summer camp alors ? J’ai raté des trucs ?” une grossesse imprévus, les Eliot qui se tapent dessus ? J’continue dans cette politesse parce que j’ai pas encore envie de te lâcher, tu vois. Même si cette fausse conversation me rends malade, ça reste une conversation avec toi.

“Génial, j’ai pas eu à me plaindre, j’ai même eu le temps de passer deux semaines au Laos.” Un espèce de sourire se forme, à la commissure des lèvres, laissant perler une pointe d'amertume. Ma vue ne m'a donc pas bernée, c'était bien toi, ce jour là, à la fin de l'été.  « C'est bien, les enfants ont dû être heureux. » Regarde comme on est fade. Je tais même le fait que tu aurais pu me prévenir, alors que ça hurle derrière mes lèvres closes. Je te sers sur un plateau la plus plate des conversations. La plus formatée des réponses. “Le summer camp alors ? J’ai raté des trucs ?” Hausse les épaules mollement.  « Tu sais, je fais plus vraiment attention aux potins. » J'esquive les disputes de confréries, j'évite les discussions de couple, je me concentre sur le meilleur.  « Ah, Emrys est revenu. » Le sourire est plus sincère, cette fois. Ca m'fait vraiment du bien. C'est con hein, mais j'n'ai plus vraiment de solides amitiés sur lesquelles m'appuyer. Alors ouais, il est là et je retrouve un socle.  « On s'fait une coloc à Cambridge à la rentrée. » Autant dire que ça va être un beau bordel.

Je vois à ton sourire que tu le vis mal, mais t’a voulu du temps, je te l’ai donné. Tu peux pas t’en plaindre maintenant, c’est ce que tu voulais. « C'est bien, les enfants ont dû être heureux. » Hoche la tête d’un sourire comme seule réponse. J’ai l’impression d’être devant un mauvais film, cette scène c’est tout sauf nous, mais monsieur en avait marre, monsieur voulait un choix tranché, tu l’as. « Tu sais, je fais plus vraiment attention aux potins. » Acquiesces quand tout ce que j’entends c’est qu’il n’y a pas de fille, aucune importante, je veux dire. ça me rassure, c’est mal, mais ça me rassure. Forcément qu’il a connu des nuits plus chaudes que d’autres, on parle là de Jasper. « Ah, Emrys est revenu. » Les sourcils se haussent, “Vraiment ?” une bonne nouvelle, quelque chose de sincère qui sort de tes lèvres, c’est pas souvent, laisse moi en profiter. « On s'fait une coloc à Cambridge à la rentrée. » L’attitude est surprise mais sincère, “Wow si j’m’y attendais !” un rire s’échappe des lèvres féminines, “ça sent la malbouffe à plein nez !” Jasper n’est pas un bon cuisinier. “Dans quelques mois j’te vois avec des kilos en trop, c’est ça ?” le sourire en coin est taquin, regarde nous avoir une conversation presque normale. Tu vois, on sait faire.

J'crois que finalement, j'me suis laissé prendre au jeu de feinter l'amitié, de faire comme si, tellement bien que ça en avait l'air vrai. Et, ça m'a juste rappelé que ce n'était qu'une jolie illusion. J'le savais, j'avais juste fini par légèrement l'occulter, avec cette foutue spécialitée du voile sur l'immense. “Vraiment ?” Là, nul besoin d'édulcorer. Il est un temps où nous étions aussi honnêtes, aussi francs que ma relation avec Emrys. Que ton prénom provoquait ce même sourire. « Ouais, il a trouvé un poste à Harvard lui aussi. » Et j'ai écho qu'il postule lui-aussi comme responsable de confrérie. Nous serons de doux adversaires, comme à l'époque. Un simuli d'autre fois. “ça sent la malbouffe à plein nez !” Esquisse un léger sourire amusé. « J'vais pas te mentir sur le fait que ça sera pas Top Chef et 5 fruits et légumes par jour, ça.. » Ainsi qu'un rire, là, posé comme ça. “Dans quelques mois j’te vois avec des kilos en trop, c’est ça ?” Passe sa main sur son ventre, pas peu fier. « J'vais tâcher d'intensifier les entraînements. Mais tu vois, y a même pas traces de cet été ! » Qui fut riche en cocktails, j'peux te le dire. « Dommage que tu sois pas venu, j't'aurai montré les meilleurs coins. » Sourire en coin. Sincère, même pas fait exprès. Et qui, se rattrape : « Enfin, tu les as probablement vu, du coup. » Vu que t'es venu, en fait. Ouais, j'mets du temps à intégrer les infos.

Ce faux, on l’a travaillé pour en arriver jusque là. « J'vais pas te mentir sur le fait que ça sera pas Top Chef et 5 fruits et légumes par jour, ça.. » Hoche la tête en riant un peu, ça je pense bien. Le point positif c’est qu’à deux, avec vos salaires, vous pouvez commander bio tous les soirs sans jamais en souffrir. « J'vais tâcher d'intensifier les entraînements. Mais tu vois, y a même pas traces de cet été ! » Regarde le dit ventre en souriant, “Pas mal, pas mal. Tu t’en sors plutôt bien !” - « Dommage que tu sois pas venu, j't'aurai montré les meilleurs coins. » Ton visage me déconcerte, quand t’es sincère comme ça. Quand ça sort tout seul, quand tu contrôles pas. Quand tu lâches prise, face à moi. Je mentirais en disant que je n’aime pas ça. Mon sourire tendre te le prouve, non ? Que tu sera toujours celui-là, tu es toujours toi, Jasper. On peut changer de monde, de temps, de vie, ça restera comme ça, ça restera toi et moi. Rien ne nous changera, tu le sens comme je le sens ? « Enfin, tu les as probablement vu, du coup. » hoche la tête. Pas en même compagnie, mais j’ai du en voir certains, ouais. “J’ai juste pensé que c’était pas une bonne idée.. après ce qui s’est passé, tu sais.” se racle la gorge, comme prise d’une gêne, d’un malaise. “Et vu que t’a rien envoyé non plus, j’ai pensé que.. “ que tu t’en moquais ? que tu passais à autre chose ? J’en sais rien, je voulais juste que tu prenne du temps pour toi. “.. que tu voulais pas forcément entendre parler de moi.” le sourire triste sur le visage est sincère. J’hausse les épaules, c’est comme si cette bulle qu’on avait créée venait d’exploser et qu’on était mis à nus, maintenant. Je suis blessée de n’avoir reçu aucun message, mais je suppose que tu l’a été aussi.

“Pas mal, pas mal. Tu t’en sors plutôt bien !” J'me suis surtout fais la promesse de ne pas ressembler à ces vieux professeurs qui ont abandonné leur corps. Puis, à côté d'Emrys, Monsieur Winthrop, faut réussir à donner le change. J'ai d'autres explications, d'autres raisons moins chrétiennes, que j't'exposerai pas Leandra. Par contre, avouer que j'aurai aimé te voir cet, ça j'peux le faire. Pas directement, mais dans ce langage qu'on comprend. “J’ai juste pensé que c’était pas une bonne idée.. après ce qui s’est passé, tu sais.” J'inspire plus fort, le temps d'un souffle. Pas besoin d'expliciter davantage. J'ai réussi à enterrer ça sous d'autres préoccupations, et ça m'va. “Et vu que t’a rien envoyé non plus, j’ai pensé que.. “ J'm'accroche à la fin de la phrase. “.. que tu voulais pas forcément entendre parler de moi.” Hausse les épaules. « Tu sais, ça fait depuis que je suis rentré de New-York que je te dis que je ne veux plus entendre parler de toi, et t'as pas l'air très coopérative. » Qu'il se moque doucement, sourire amusé aux lèvres. Tout tourner au léger, se marrer de notre relation merdique qui prend l'eau, qui souffle le chaud et le froid, qui s'enflamme et se givre pendant des mois. « Tu voulais que je commence comment ? » J'te dis quoi, dans ce sms ? « Désolé de t'avoir embrassé, j'ai glissé, c'est la faute du nouveau parquet ? » Qu'il raconte de son air imbécile, la mine rieuse. Tu vois le soleil fait du bien, on prend tout avec recul. « Coucou Jude, si tu lis ce message. » Léger rire. « Non vraiment, je savais pas quoi écrire. » J'ai jamais été le plus doué pour les banalités par messages, tu sais bien.

 Je sais que t’es déçu, je sais que j’ai merdé, mais je sais que je ne suis pas la seule dans cette relation. On est deux, tu vois. Tes erreurs sont miennes, et mes erreurs tiennes. T’aurais aimé me voir cet été, j’aurais adoré aussi. Dommage qu’on se soit raté, comme au bal. Comme à chaque fois qu’on merde. A chaque fois qu’on craque. On prends les mêmes et on recommence. « Tu sais, ça fait depuis que je suis rentré de New-York que je te dis que je ne veux plus entendre parler de toi, et t'as pas l'air très coopérative. » Se mord la lèvre, l’air désolée. Je le suis, désolée. “Parce que j’pensais que.. ça aurait pu bien se passer ?” qu’on aurait pu être adulte, qu’on peut se mettre sur le côté, mais tous nos essais n’ont aboutis à rien que du mal. « Tu voulais que je commence comment ? » J’en sais rien, un bonjour peut être pas mal ? « Désolé de t'avoir embrassé, j'ai glissé, c'est la faute du nouveau parquet ? » Tu sais que j’ai envie de sourire à ta connerie, mais j’y arrive pas. Je sais pas, tu le dit avec un certain ton qui rends impossible le sourire,  « Coucou Jude, si tu lis ce message. » Les lèvres se pincent. Je lui ai rien dis, je lui évite de la peine inutile, parce que ce n’était qu’un baiser. J’essaie de m’en convaincre. « Non vraiment, je savais pas quoi écrire. » Soupire doucement. Enfin, une once de vérité. “Juste un bonjour aurait suffit. Une photo de toi sur la plage, un cocktail à la main ? Un petit ‘Comment va ton stage ?’ aurait pas été mal non plus..” j’en ai des tas, des exemples de messages bidons par lesquels tu peux commencer. Souris tristement, à mon tour d’être franche, de jouer carte sur table, “T’es l’une des personnes que j’ai pas envie de décevoir, Jasper. Tu crois en moi, peut-être même plus que j’arrive à y croire moi-même.” Au fond, si j’veux tant réussir, c’est pour avoir quelque chose d’aussi grand que ton empire, qu’on puisse être les deux géants, nous deux. “Alors ne pas recevoir rien qu’un message pour savoir comment ça se passe, ça fait mal.” L’égoïsme revient, celle qui demande que tu fasse le premier pas quand elle est incapable de le faire. Mais voilà, je touchais mon rêve du bout des doigts et t'étais pas dans mon paysage, t’a pas essayé d’y être, tu voulais pas y être. J’hausse les épaules, souriant encore, “Bref.. du coup, si jamais c’est c’que tu veux réellement ; ne plus entendre parler de moi, alors je serais coopérative.” Le regarde lui, et mon regard interrogateur. Valide-le, dis moi que c’est ce que tu veux et alors je m’efforcerais de le faire. Si c’est ce dont tu as besoin, si c’est ce que tu veux réellement, je le ferais. Montre le moi, et je le ferais. Dis-le, je le ferais. Ce sont tes mots qui me guiderons, j'envoie la balle dans ton camp.

“Parce que j’pensais que.. ça aurait pu bien se passer ?” Ouais, je sais, tu penses toujours qu'on peut se réparer, qu'on est un peu fissuré, mais jamais vraiment brisé. Sauf que là, c'est pas que nous, c'est moi. C'est moi que t'as foutu en vrac. C'est dans ma chair que la lame s'est plantée, jusqu'au cœur. Si ça marche plus, c'est que j'fais plus ma part du boulot. On fonctionnait quand on était deux à nous remettre debout, quand le premier relevait le deuxième. On a pété un rouage, la machine se casse la gueule. “Juste un bonjour aurait suffit. Une photo de toi sur la plage, un cocktail à la main ? Un petit ‘Comment va ton stage ?’ aurait pas été mal non plus..” Tu sais que l'inverse est vrai aussi. Sans le cocktail, peut-être, et encore. “T’es l’une des personnes que j’ai pas envie de décevoir, Jasper. Tu crois en moi, peut-être même plus que j’arrive à y croire moi-même.” Esquisse un sourire, aux commissures. « J'avais pas besoin de te demander, je sais que t'as été brillante. » C'est pas la pommade qu'utilise ces bedeaux, c'est la réalité. T'es brillante. Seule, tu l'es. Je crains plus le ralentissement de tes proches, le poids de la responsabilité familiale. Mais je ne pouvais pas avoir de doute sur toi là-bas. Quand tu comprendras que t'as besoin de personne, d'aucun homme pour te hisser à la plus haute marche, tu te rendras compte que mes encouragements, mon inquiétude, sont bien superflus. “Alors ne pas recevoir rien qu’un message pour savoir comment ça se passe, ça fait mal.” Secoue la tête. J'te laisserai pas te placer dans cette position confortable de celle qui a la balle. « Leandra, je suis pas encore arrivé à ce stade où je vais venir vers toi quand même pour toi c'est difficile.  » Et t'as pas vraiment le droit de me le demander.La voix, qu'importe les mots assénés, est plutôt douce. Elle t'explique plus que te reproche. Quand il est encore difficile d'accepter cette situation, ma situation, du mec qui met son ego débordant de côté pour un sourire. Et surtout, pas après que tu m'ai une énième fois montré que tes choix étaient hasardeux, m'avoir injecté une piqûre de rappel. Oh, que je me suis infligé moi-même, je suppose. Qu'on se soit à nouveau vautré dans nos erreurs et nos faiblesses. “Bref.. du coup, si jamais c’est c’que tu veux réellement ; ne plus entendre parler de moi, alors je serais coopérative.” Et là, ça m'fait sourire, à la limite du rire. « Ca j'ai du mal à y croire. » A toi et ta coopération. « Je suppose que je peux te supporter encore un peu. » Foutu pour foutu. Puis, les épaules se font moins lourdes, le fardeau se dissipe, de jour en jour. J'esquisse un sourire qui se veut communicatif. « Si t'évites de me sauter dessus, évidement. » On en rira. Et tu comprendras les mots glissés entre chaque syllabe. Tu comprendras que la prochaine fois je ferai davantage de dégâts, la prochaine fois j'laisserai le tout s'embraser, et on crèvera dans la cendre au petit matin.