Le coeur tambourinant de plus en plus fort dans ta poitrine, tu te répétais la mise en scène dans ta tête une dernière fois, comme pour te calmer avant le grand show. Ce soir, tu allais performer devant plusieurs centaines de personnes avec ton groupe et oui, dire que tu n’avais pas le trac serait mentir. Tes bras, tes jambes, ton corps entier était tétanisé, ton souffle plus court, tu attendais le moment fatidique comme s’il s’agissait de l’heure de ta mort. C’était la première fois que tu allais danser devant autant de monde et même si ta famille était présente dans la salle, tout était différent. C’était New-York quoi, pas le vieux bled de chez tes grands-parents. Tout allait être parfait, c’est sûr, parce que tu avais répété tant de fois que c’en était devenu un automatisme. Même ton frère, qui était pourtant ton plus grand fan, avait fini par en avoir marre. Faut dire que tu l’avais saoulé quasiment tous les soirs avec ça, l’obligeant à assister à chacun des progrès que tu faisais. La danse, c’était toute ta vie. Ton passé, ton présent et puis surtout, ton futur. Ta mère te voyait déjà à Juilliard et avec le temps, toi aussi tu y croyais. C’était plus qu’une passion, c’était un rêve que tu vivais au quotidien. T’étais dans ton élément quand tes pieds bougeaient en rythme avec la musique qui résonnait jusque dans tes oreilles. Tu pouvais presque sentir les vibrations résonner sur ta peau. Inspirer. Expirer. Une voix singulière te fit sortir de tes pensées tandis que tu soufflais une dernière fois, faisant craquer tes doigts avant le début du spectacle. Ça y est, tu y étais.

« T’es sûr que ça va le faire ? » demandas-tu en t’approchant du bureau de Charlie qui venait tout juste de terminer ce qu’il appelait « son chef d’oeuvre ». Toi, t’étais plutôt perplexe et pas vraiment rassurée à l’idée de mentir à tout le monde comme ça. Ok, t’avais une confiance aveugle en ton grand frère et t’étais prête à le suivre où il le voudrait mais… t’appréhendais ouais. « Et si on se fait prendre ? S’ils appellent la maison, qu’est-ce qu’on fera ? » dis-tu en t’emparant de la fausse carte d’identité pour l’examiner de plus près. Ta première sortie en boîte et tu n’étais même pas majeure. Bientôt, mais pas encore donc techniquement, c’était illégal, ce que vous vous prépariez à faire. Mais terriblement excitant. Tu te voyais déjà en train de faire le mur avec ton frère et rien que d’imaginer la scène te faisait sourire. « Fais moi confiance Reese. J’ai toujours raison et tu le sais. » Tu levas les yeux au ciel à sa réponse qui ne t’étonnait même pas. Tu étais trop habituée à le voir se donner du crédit pour être choquée de son attitude. C’était Charlie quoi. « Et puis, ma petite sœur va entrer à Juilliard quand même ! J’suis obligé de fêter ça, sinon quel grand frère je ferais ? » ajouta-t-il en passant son bras autour de ton cou pour ébouriffer tes cheveux. Il était chiant, autant que toi. Vraiment, sur ce coup là il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. « Pré-sélectionnée Cha. Alors ne viens pas me porter malheur ou tu le regretteras le restant de tes jours. Compte sur moi. » L’air innocent, tu lui offrais un grand sourire avant de te libérer de son emprise et te diriger vers la porte de sa chambre. « J’vais me préparer. Tu ferais bien de te faire beau ou c’est sûr qu’on entrera pas ! » Nooon, tu n’étais pas en train de te moquer de lui, pas du tout. Juste le taquiner, un petit peu. En réalité, qu’est-ce que tu ferais sans lui hein ? Il était l’homme de ta vie après tout, ton frère, ta moitié quoi. « Très drôle little sis’. Et pas trop courte la robe hein ! »

« Je sais pas comment leur dire Charlie… Ils vont me tuer. » que tu disais à ton frère, derrière l’écran de ton ordinateur qui te servais plus de téléphone qu’autre chose depuis deux mois. T’étais partie à l’autre bout du monde, sur un autre continent même, parce que c’était ton rêve depuis toujours de découvrir l’Australie, ton pays. Ce voyage, tu ne le regrettais pas une seule seconde. Certes, tu n’en connaissais pas plus sur toi, ton histoire et encore moins ta famille biologique mais les souvenirs que tu t’étais forgée ici, eux, ne risquaient pas de disparaître si facilement. Le truc, c’est que Juilliard aussi c’était ton rêve, depuis que tu savais te tenir sur tes deux jambes. Et t’avais réussi à y entrer, t’avais tout fait pour, travaillé si dur pendant des années que ce fut comme une évidence, cette enveloppe déposée dans la boîte aux lettres. Ton grand frère, tes parents, tes amis, tout le monde avait toujours été derrière toi, depuis le début, dans tes moments de doutes et puis surtout, dans ton moment de gloire. Durant ton année de gloire. Et voilà que tu allais tous les décevoir en leur annonçant que Juilliard, ce n’était pas fait pour toi finalement. Que tu n’avais plus les mêmes ambitions, les mêmes projets, envies, que ton rêve avait changé. Ces deux mois de vacances, tu avais bien l’intention de les prolonger pour faire le tour du monde, un autre de tes souhaits les plus profonds. Juilliard restait une super expérience mais tu n’y retournerais plus. Là-bas, t’avais grandi, t’en avais appris sur toi-même plus que tu ne l’aurais cru et ça te brisait le coeur d’une certaine façon. Tes parents aussi, tu allais leur briser le coeur. Partir à l’aventure plutôt que d’étudier ? Et puis quoi encore. C’était complètement dingue, hors de tout ce qu’ils avaient pu s’imaginer pour leur fille chérie, bien loin d’être si parfaite que ça au final. « T’attends pas à ce qu’ils sautent de joie c’est sûr mais t’inquiète, ils finiront par te pardonner. Et puis j’suis là moi, je te laisserais pas dans la merde, tu le sais. S’ils veulent pas t’aider à payer le voyage, je le ferais. » Charlie, ton grand frère, le seul qui trouvait toujours les mots pour te faire sourire et te redonner confiance en toi dans les mauvais moments. Vous n’étiez peut-être pas liés par le sang, mais c’était tout comme. Tu savais que tu pourrais toujours compter sur lui, qu’il te soutiendrait dans tes choix même les plus difficiles. Ses parents t’avaient adoptée, mais lui aussi.