Je jetais le magazine sur mon pieu et un sourire vint se nicher sur le coin de mes lèvres. Ces journalistes me faisaient doucement marrer. Putain ils publiaient des papiers de merdes pensant tout savoir sur tout et te vendait ça comme s'ils avaient le monopole de la vérité absolu. Franchement les gars ?
J'observais à travers la baie-vitré la vue que j'avais depuis ma chambre et tirais une latte sur mon pilon. La maison familiale possédait le meilleur panorama de la ville et ce qui était triste dans tout ça c'est que je m'y étais habitué. Je me laissais retomber sur le matelas et commençais à me repasser le film de ma vie. D'après eux, je sortais d'un orphelinat pour jeune bourges du Massachusetts. Je commençais à me questionner. Les orphelinats pour jeunes bourges ça existe vraiment les gars ? Pas dans mon monde en tout cas.

Vous voulez savoir à quoi ressemble mon monde ? Celui dans lequel j'ai grandi. Pas un de ces orphelinat de merde qu'un pauvre stagiaire de GQ a inventé histoire de faire passer la pilule, non, le vrai monde. Celui dans lequel tu marches ou tu crèves.

Mon monde à moi, il a commencé un 13 Octobre 1994. À mon grand bonheur pour supporter toutes les merdes qui m'attendaient un mec que les gens appel Dieu m'a donné la chance de le partager avec ma sœur. Une petite perle qui nous a donné à moi et à mon frère Aaaric la force de faire toujours plus. Je reprends donc, pour que les choses soient bien claires, petit stagiaire de chez GQ. Dans mon monde à moi ta vie est merdique, mais vraiment merdique. Ta mère est une pute et ton père une piètre merde. Maman fait le tapin la nuit pour te faire bouffer des conserves le lendemain et payer la coke que papa et elle se foutront dans les narines autour d'une émission à la con et quelques bières. Dans mon monde à moi, on ne te chante pas de putains de comptines pour t'endormir, tu as le choix entre les gémissements que maman pousse à l'autre bout du couloir parce qu'elle se fait prendre par plusieurs gars du quartier ou les hurlements de papa quand il rentrera du bar au bout de la rue et qu'il verra sa bonne femme du foutre plein la gueule.

Mais la vie passe, tu te contentes de ce que tu as et ce que tu as est déjà merveilleux. Un frère et une sœur, alors tu te raccroches à eux tant que tu le peux, car tu sais qu'au fond il n'y qu'eux qui compte vraiment. C'est fou comme aujourd'hui je me rends compte à quel point tu peux sous-estimer un gamin de six ans, jeune stagiaire. Je vais te dire honnêtement ce que je pense et écoute bien. Pour moi un gamin de six ans est clairvoyant. Bien plus que certains adultes peuvent l'être. Il ne se raconte pas d'histoire. Il ne se nourrit pas d'utopie, non. Il sait. Ce gamin là en tout cas, il sait déjà que ses parents sont des merdes finies. Qu'il doit faire mieux. Maintenant.

Et c'est ce qu'il fait. Comme son frère avant lui, il suit le pas et boss à l'école. Il se rend volontaire pour gagner quelques dollars dans le quartier et à eux trois, ils arrivent de temps à autre à aller s'acheter quelques sachets de Jelly Bean's au Paki du coin. Ils passent le plus de temps possible au City à quelques pas de chez eux pour éviter d'avoir à se prendre des coups parce que Papa a perdu un pari ou que tu ne sais pas où est maman.

Et puis un jour, ton père à trop de dette et vous comprenez ton frère et toi au détour d'une conversation qu'il pense envoyé ta sœur de 12 ans sur les pas de sa mère. Vous vous dites que cette fois c'est trop. Que vous ne pouvez plus rester simple spectateur de ce qu'est votre vie. Qu'il faut intervenir.

Et ça part en couille. Le paternel pète un plomb et te promet à toi et ton frère que vous allez mordre la poussière pour lui avoir manqué de respect. Il tient ses promesses. Ton frère, l'aîné, se fait allumer en premier et lorsque tu le vois plaqué contre le mur, les pieds à 10 centimètres du sol, agonisant, tu ne peux pas rester là.  Tu te rues sur cette ordure, ce mec qui vous a servi de père pendant toutes ces années et tu déverses ta haine. Celle que tu retiens au plus profond de toi-même. L'alcoolique balance une bouteille à travers la pièce quand ta soeur passe le pas de la porte, Aaric s'interpose. Et ça finit mal. Votre prochaine étape est sur un lit blanc.

Et puis à un moment donné ta vie est tellement merdique que quelqu'un intervient, histoire de ne pas vous laisser crever ton frangin, ta sœur et toi. Cette personne c'est une femme, qui a environ la cinquantaine. Une assistante sociale. Ton frère est le premier à partir dans une autre famille pendant que ta sœur et toi vous êtes baladés de maison en maison. Ces maisons-là sentent la merde. Vous êtes au moins huit gamins dans chaque et tu vois clairement que les personnes qui t'hébergent ne valent pas beaucoup mieux que ceux qui t'ont servi d'exemple toute ta vie. Un beau jour on te dit que c'est bon, quelqu'un veut bien de vous que malgré les infimes chances de se faire adopter à votre âge, une famille a décidé de vous adopter ta sœur et toi. Et c'est là que tout change.

C'est à ce moment très précis que le gamin clairvoyant devient la progéniture intrigante. Tu atterris sans savoir comment dans cette famille, les Gates, et tout le monde semble être complètement abasourdi par ce qu'il vous arrive à ta sœur et toi, mais tu ne comprends pas vraiment. On te dit que ton calvaire est terminé que tu vas couler des jours heureux à présent, mais étrangement tu n'arrives pas y croire, car jusqu'ici tu ne connais même pas la signification de jours heureux.

Et ta nouvelle vie s'impose à toi. Ton père adoptif est l'homme le plus riche du monde. Le numéro 1 au classement Forbes. Tu te demandes encore tous les jours comment tout cela est possible. Comment aujourd'hui tu peux mener cette vie de prince ? Il n'y a pas de réponse. Il n'y a pas d'explication. Alors, tu fais de ton mieux. Tu tentes d'arrondir les angles et de faire honneur à ceux qui vous ont sauvé la vie, même si au fond tu es resté ce petit con d'un quartier de malfrat de Manhattan. Tu t'inscris à Harvard et forcément quand tu t'appelles Gates les portes s'ouvrent toutes devant toi.