Sally était une amie en or. Voilà pourquoi à l'heure du déjeuner, je me retrouvais dans la cafétéria de l’hôpital en pyjama afin de pouvoir manger. C'était une petite habitude que nous avions toutes les deux, manger ensemble un midi afin de faire une pause dans nos journées de travail. On s'arrangeait toujours pour que le trajet convienne aux deux et cette fois, elle avait accepté de faire un détour pour me tenir compagnie. « Si tu as apporté ta propre nourriture, je ne t'en voudrais pas » lui confiais-je en riant. Parce que la nourriture de l'hôpital, c'était la pire que l'on pouvait trouver à Boston et j'étais sérieuse quand je disais cela. Je connaissais les lieux par cœur désormais, étant une habituée des passages éclairs dans les couloirs blancs. Mais cette fois, c'était différent. J'avais terriblement envie de rentrer à la maison et retrouver ma petite vie de famille. Ma fille me manquait terriblement et le fait qu'Osean soit lui aussi hospitalisé ne me rassurait en rien. « J'ai hâte de pouvoir rentrer à la maison et manger ce que je veux » continuais-je dans un soupir. « Je ne comprends pas qu'ils me gardent si longtemps alors que je pourrais très bien être chez moi à me reposer. Ça serait exactement la même chose. » J'étais recousu et ma cicatrice ne semblait pas bouger, où était le problème ? Enfin bon, il fallait que je prenne sur moi, sinon Sally allait me trouver insupportable.

@Sally L-A. Mendoza

« Non t'en fais pas, j'ai pris un abonnement, tu sais à force de manger ici tous les jours je commence à m'y faire. » Je riais en regardant Sally. « Tu ne t'apportes jamais de nourriture ? » L'hôpital c'était l'angoisse et plus j'y passais du temps, moins j'arrivais à rester patiente. Je crois qu'en fait, je finissais par le connaitre par cœur, sans même y travailler. Deux comas, une fausse couche, une overdose et j'en passe. Mon meilleur moment à l'hôpital restait celui où j'avais eu ma fille. « Ouais ben pour ça je te comprends mais bon ils savent ce qu'ils font t'en fais pas. » Je lui adressais un sourire en retour. Heureusement qu'ils savaient ce qu'ils faisaient. D'ailleurs, c'était tout de même étrange de se sentir si mal dans un hôpital alors que finalement, c'était l'endroit où l'on avait des personnes aptes à nous maintenir en vie. Le truc, c'est qu'à l'hôpital, on s'ennuie terriblement et que généralement, être à l'hôpital, dans des situations graves, c'est comme frôler la mort. « Mais ils te disent quoi les médecins ?? » Hum « Ils préfèrent me garder en surveillance parce que la coupure est assez profonde. Et comme j'ai été suivi par un psy durant mes études, je pense qu'ils ont peur pour moi par rapport à ce qu'il s'est passé... J'ai l'impression parfois qu'ils en disent plus à mon père plutôt qu'à moi » affirmais-je avant de croquer dans un haricot vert.

« La vérité avec Zoé j'ai le temps de rien faire, le soir une fois qu'elle dort j'ai juste envie de profiter ou de dormir alors je me contente de la nourriture de l'hôpital cela m'évite de préparer. » Hum. Je pouvais la comprendre. C'est vrai que moi-même, depuis la naissance de Lilou, il y a beaucoup de choses que je ne pouvais plus faire. Être à deux était donc un point positif quand il s'agissait d'élever un enfant. Je n'osais pas même imaginer les journées éreintantes que devait passer ma sœur entre son travail au MIT et ses jumeaux. « Je vois » glissais-je en grimaçant doucement. Et puis, elle devait s'être habituée à la nourriture de toute façon et elle devait savoir ce qu'il fallait éviter à tout prix. « Alors je pense que tu devrais te faire une raison, de toute façon tu ne restera pas ici éternellement et puis je passerais plus souvent après ma garde pour te tenir compagnie si tu veux, ça te fera passer le temps moins long.. Pourquoi à ton père?? » Je savais qu'elle avait raison, mais pour le coup, il fallait que je me montre patiente, ce qui n'était pas gagné. Et pourquoi mon père ? Moi aussi je me posais cette question et ce depuis des années déjà. « Disons qu'il peut se montrer très... persuasif quand il s'agit de moi » glissais-je sans rentrer dans les détails. Je n'aimais pas tellement parler de mon père en fait alors autant changer de sujet. « Le travail ici se passe bien ? ».

« Je vois le genre, si tu veux je demanderais des nouvelles au médecin, en bossent ici peut être que j'aurais accès plus facilement à ton dossier. » J'haussais les épaules sans rien dire en retour. Est-ce que j'avais vraiment envie que Sally voit mon dossier médical ? L'historique à l'hôpital de Boston devait être énorme, j'avais vécu tellement de choses, fais beaucoup de bêtises. J'avais l'impression que mon dossier médical, c'était un peu comme mon journal intime finalement. On pouvait savoir à quelle période je me sentais mal dans le passé. Il suffisait de reconstituer le tout pour comprendre aussi que mes idées étaient parfois sombres. « Ne t'en fais pas, je devrais réussir à avoir les infos qu'il me faut me concernant. » Après tout, c'était moi la patiente. Je préférais finalement changer de sujet pour ne pas rester sur le sujet "papa difficile". « Oui tranquillement, je ne vais pas dire que c'est ce dont je rêvais mais bon dans la vie il faut faire des choix. » Je pinçais mes lèvres en la regardant. Elle avait raison, mais c'était triste tout de même. « Qu'est-ce que tu aurais aimé faire ? » lui demandais-je alors curieusement.

C'est vrai que je préférais me débrouiller toute seule par rapport à mon état, l'hôpital et mon père. Même si la proposition de Sally était adorable et pourrait certainement m'aider, je ne voulais pas la mêler à tout cela. Je préférais garder mon dossier médical pour moi et il était bien rempli et puis, je n'étais pas le genre de personne à demander de l'aide, j'étais plutôt du genre à intérioriser. « Je n'en doute pas tu peux être persuasif j'en suis certaine. » Oh ça oui. Je pouvais être bonne actrice quand il le fallait et c'était comme ça que je réglais mes affaires la plupart du temps. « Tu as raison, je peux être redoutable. » Une vraie tornade. Un volcan même. J'avais assez de tempérament pour me débrouiller. Puis, on changeait finalement de discussion et on s’intéressait à Sally et à sa carrière. « J'étais danseuse donc je pensais continuer ma carrière dedans mais ensuite je suis tombée enceinte et j'ai laissé tomber. » Ouais, je pouvais comprendre. « Mais maintenant que Zoé est là, tu ne veux pas reprendre la danse ? » Après tout ? Il n'était peut-être pas trop tard.