A quelle heure? Je n'ai pas le temps d'y songer que les deux autres me contraignent à la garde du canidé à laquelle je pense avoir trouvé une alternative en ma faveur. Mais la voix de Lisbeth, à demi serrée, me laisse à penser que ce n'est pas la meilleure des idées, que la jeune femme - au moindre accroc - trouvera une raison de me vilipender. En deux jours, ne serait-ce que le temps de lui trouver un refuge ou un chenil ayant encore de la place pour l'été, il ne devrait pas lui esquinter son magnifique intérieur... D'un regard en biais, la porte du meuble qui accueille en son sein le réfrigérateur est décomposée. Sous prétexte d'y avoir humé quelques odeurs alléchantes au travers des deux portes, la bestiole s'est donné du plaisir à en mordre les recoins avec une ardeur à faire pâlir. " Pour rien. J'irais peut-être m'occuper de tes plantes, " à défaut d'arroser la fleur de ton jardin...  

Il y a néanmoins un hic dans cette affaire, une question qui se pose et à laquelle je n'ai toujours pas trouvé de réponse: qu'en faire ce soir? Elle le verra forcément lorsqu'elle m’amènera ses documents sous forme numérisée. Et quand bien même je parviendrais à l'enfermer dans ma salle de bains, il y a fort à parier qu'il se mette à beugler dès qu'il entendra sa voix par delà la brique et le béton. Je n'ai pas le choix et me surprends même à avoir permis aux deux autres de me le refourguer. " Une heure. Tu me laisses une bonne heure. "  Ce devrait être amplement suffisant pour le museler et le ligoter malgré ma phobie qui me fait en ce moment même me redresser, le chien s'étant encore une fois rapproché d'un peu trop près. Mieux que çà, au final et sans éprouver de pitié, je le laisserais dans le coffre de mon véhicule. Il y fait bon en cette heure tardive et mis à part quelques jerricans et une caisse à outils, il n'y a pas grand chose sur lesquelles se venger.

Son esprit acquiesce en échos à mes dires dans une tournure affirmative bien que sa voix se soit faite plus fluette et un brin concentrée. « A toute à l’heure et bonne chance avec ton molosse… Ne te fais pas bouffer, hein ! » La surprise n'en sera plus une puisqu'elle a, au travers des fréquences, entendu la bête beugler son indiscrétion. Pourtant, je peine à me l'imaginer lorsqu'elle se retrouvera devant, une fois le temps qu'il m'est imparti écoulé. C'est idiot mais ce sont ces petits détails de la vie quotidienne qui me font trébucher, ne connaissant Lisbeth que dans ses draps ou de part son dossier. Je sais qu'elle apprécie les grands vins millésimés, les défis à relever et les plats tout-prêts pour en avoir vu quelques uns trainer à coté de son pc. Mais en ce qui concerne ses gouts intellectuels et ses affinités, c'est un mystère qu'elle seule peut me dévoiler au fil de nos entrevues.

Sans mot dire, j'opine de la tête, le téléphone accolé à mon lobe, sans détacher du regard la bête qu'il me faut emporter et l'écoute raccrocher de son coté. Une heure... C'est sur cette tonalité que l'objet retrouve le fond de ma poche afin de me raviser vers celui qui se camoufle derrière la porte. " Tu me le musèles dans le coffre. " Il ne trouve évidemment rien à redire à cet ordre qui l'arrange même s'il lui faut, pour se faire, une dernière fois attraper le molosse. Une heure...Une heure qui s'égrène déjà trop rapidement au rythme frénétique des griffes martelant derrière moi la bestiole trainée de force dehors.