20h30, c'est un autre jour qui à mon grand soulagement s'achève quand de ma poche s'ébruite une notification: un message vocal qui n'augure vraisemblablement rien de bon. Le numéro d'appel est celui d'un sous-officier qui a quitté le poste peut-être un quart d'heure avant moi et qui m'implore étrangement de le rejoindre chez lui, ayant un gros problème sur les bras, c'est tout ce qu'il a mentionné. La requête est si suspecte qu'il est je dirais naturel d'y répondre et sans demander plus de détails, mon véhicule change de trajectoire direction Beacon Street.
L'immeuble ne paye pas de mine mais c'est tout ce qu'il avait trouvé, criblé de dettes de jeu malgré une situation s’arrangeant petit à petit. Au pied de celui-ci, une silhouette fait déjà les cents pas, celle d'un autre agent de l'équipe lui aussi appelé sur le tas et qui sourit nerveusement à ma simple vue. " Bordel chef, il a osé vous appeler vous aussi. " Ce qui déjà donne un peu plus de clarté quant à l'ampleur de la connerie. A même le hall d'entrée, chemin faisant, il me fait un rapide topo de la situation: la garce avec qui il était en relation depuis peu s'est barrée sous le soleil de Tahiti en lui laissant un cadeau empoisonné ainsi qu'une petite lettre dans laquelle elle lui témoigne tout son amour, expliquant au passage pourquoi elle préférait coucher avec son frère plutôt que lui, ne pouvant plus supporter leur lamentable train de vie... Mais il ne m'en dira pas plus, préférant conserver pour plus tard " l'effet de surprise".

A mesure que mes pas gravissent les marches j'entends peu à peu les échos du principal problème et pénètre avec hésitation dans l'appartement, le regard qui galvaude de droite à gauche sur les différents pas de portes laissées entrouvertes. " GARISSON " Son nom est gueulé par dessus les aboiements qui résonnent entre ces murs une fois, deux fois, puis trois, jusqu'à ce qu'il daigne se montrer, le visage marqué par une terreur dont j'ai déjà de part le passé fait les frais. Les clefs de son appart encore en sa possession, son ex est venue durant la journée déposer l'encombrant colis discrètement avant de se tirer, un molosse à la robe cuivrée qui ne sait faire que baver et bouffer. Il l'a enfermé le temps que nous n'arrivions derrière une porte vitrée que le clébard a repeinte de la tête aux pieds tandis qu'il tentait vainement de lui parler. " Pourquoi ne pas avoir contacté un refuge? " Comme s'il avait saisi le sens du dernier de mes mots, le molosse saute sur la vitre de plus bel, agression caractérisée qui nous fait tous les trois reculer. " Elle pourrait revenir le chercher." Pauvre con... Il est évident qu'elle ne reviendra pas.

Et dans cette symphonie de jappements infernals s'associe celle de mon téléphone. Persuadé d'une autre mauvaise nouvelle, j'y mets encore une fois une dose de mauvaise volonté à peine le doigt ayant effleuré l'écran sans même avoir pris le temps de le regarder: " Si ce n'est pas une femme follement excitante, je raccroche...." Mais une voix féminine et dépeinte d'un soupçon de tragique chantonne à l'autre bout du fil, celle de Lis que je ne peine à reconnaitre dès les premières syllabes formulées. « Tu es occupé ? Parce qu’il faut que je te parle… » Elle est hésitante. Le moment est .... plutôt mal choisi mais je ne saurais lui raccrocher au nez. En vérité, elle me donne droit à une trêve éphémère que j'apprécie même si j'appréhende ce qu'elle a à m'annoncer, déjà plongé dans les emmerdes, m'exilant à pas déterminés dans la cuisine à coté. " Tu m'avais dit prendre la pilule...  "

« Désolée mais… Tu vas être père une seconde fois. » Pardon? Dans son silence je reste interdit jusqu'à ce qu'elle émette un petit rire cristallin qui se vaporise sur la ligne. Pas cette fois, pas encore, et même si cela va à l'encontre de mes principes et croyances, je compte bien attendre avant de réitérer l'exploit d'être à nouveau papa. Elle reprend sur une note de sérieux tandis qu'au travers des murs j'entends toujours japper le furieux. Une main va s'accoler contre le micro brièvement avant de venir s'égarer sur mon oreille afin de l'écouter plus attentivement.  « Écoute, il faut que je te parle d’un truc… Tu te rappelles le type qui a tiré sur Maverick ? En réalité, ça fait presque trois mois que des « accidents » de ce genre se produisent. Et ce n’était pas Mav qui était visé mais moi. » " Mav? " Mignon le sobriquet. Et moi qui pensais d'après ses dires qu'il ne s'agissait même pas d'un pote, qu'une simple connaissance oubliée... Maverick, cet abruti qui s'est pointé sommairement à la kermesse avant de se volatiliser... Comment l'oublier. « Ça fait quatre fois que j’évite de me faire tuer et j’ignore jusqu’à quand je vais avoir autant de chance. » Ça s'appelle avoir une chance de cocu mais juré, je n'y suis pour rien cette fois-ci, m'étant quelque peu préservé ces derniers temps des catins qui pullulent et vous gratifient de caresses contre quelques billets. « Ça m’a pris du temps mais j’ai découvert qui est derrière tout ce bordel : une certaine Camilla. Mais il me manque des infos, et… Quelque chose n’est pas clair dans le livret de famille de ma mère. Des lignes ont été effacées et j’ai le pressentiment que c’est lié à toute cette histoire. » Tu fabules Wasp, rien ne justifie un tel acte, même pas un héritage caché de tes parents...  

" Si tu m'en faisais parvenir une copie " peut-être que je pourrais en tirer quelque chose de mon coté. Mais elle me coupe avec une idée, la plus farfelue qu'il m'ait été donnée d'écouter.  « Je pense qu’il va falloir que je me rende à Stockholm… » " Maintenant? Seule? " La surprise prend le pas sur mon abattement lorsque une voix s'élève dans le couloir: " Il s'est échappé!! Mais cours-lui après bon dieu! " Ma paume s'écrase alors sur le smartphone que je viens d'écarter brutalement de mon lobe pour leur communiquer ma contrariété: " PUTAIN tu BLASPHÈMES! Les deux abrutis ont libéré le fauve dont les griffes s'affûtent à chacune de ses foulées sur la parqueterie. Ses bajoues gluantes apparaissent soudainement par l'embrasure de la porte que j'ai par négligence laissée ouverte, tressautent alors qu'il me fixe de ces orbites creuses pendant que je reprends lentement au bout du fil Lisbeth. " T'aurais pas besoin d'un chien de garde par hasard? "

Lisbeth quitter le territoire américain sans vraiment donner de raisons justifiables, juste sur quelques soupçons basés sur des lignes blanches... Pourquoi en cet instant ai-je l'étrange sentiment de la voir vouloir tout simplement s'éloigner en prétextant une excuse à la con. Quand bien même, être la seule cible, je ne l'ai pas attendue pour m'attirer la rancœur de nombreux dealers... « Bordel, qu’est-ce qui se passe ? Un chien de garde ? » Mon attention se perd dans les deux calots moirés de cette boule de nerfs, négociant une trêve par un regard amical qui ne durera que quelques secondes avant que ne reprennent ses protestations. C'est à cet instant précis que je saisis le ridicule de la situation: je suis comme lui, rejeté par une femme à qui j'avais pourtant donné de mon affection, ne sachant plus en qui fonder mes espoirs si ce n'est en mon bâtard, à grogner sans cesse en premier sur ce que je ne connais. « T’as un molosse en face de toi, c’est ça ? Tu sais, j’ai besoin de toi vivant et non déchiqueté. » La tirade à peine achevée me soustrait l'amorce d'un sourire sournois, oubliant le dogue à la réminiscence d'une nuit passée entre ses draps. Je me doute bien qu'elle me préfère entier et en pleine possession de mes moyens plutôt qu'émasculé. " Lis..." Dans le fond, je n'ai pas mon mot à dire quant à ses choix qui m'emmerdent plus qu'autre chose. Elle est majeure et vaccinée et si je lui déconseille de le faire, je sais qu'elle fera le précisément contraire rien que pour me prouver de ses capacités.  " Et combien de temps? " Combien de jours je vais devoir me contenter de vidéos? Entre-temps, les aboiements ont baissés de plusieurs octaves, la bête ayant compris qu'elle n'était plus le centre de mon attention. Toutefois, par besoin de se l'accaparer de nouveau, il avance et d'un brusque revers de la main il est chassé, un geste pourtant bénin qui le fait sursauter. Derechef sur la défensive, ses poils drus se sont hérissés le long de son dos, formant une haie de paille qu'il ne doit pas être agréable de toucher. " Abruti " Sa curiosité l'emporte sur son irritation et ses deux pattes petit à petit cheminent jusqu'à moi, une intention que je rejette d'un mouvement du pied tout en scrutant les ustensiles dont la cuisine est équipée. " Si vraiment tu crois que c'est une bonne idée. " Ce qui ne l'est pas, pas sans s'être au préalable longuement préparé. " Mais pas seule. "

« Et qui me suggères-tu pour m’accompagner ? » Pris de court, les seuls noms qui me viennent à l'esprit son effectivement ceux que je côtoie dans la vie active. Mais le principal problème est qu'ils ne sont aux faits de la vérité la concernant, de sa double profession qui est forcément reliée aux obstacles qu'elle rencontre depuis peu. Et j'ai pris soin de tout effacer, de cacher aux yeux de la loi qui elle est réellement. Il m'est donc impossible de les mettre au courant sans également les impliquer dans ce pêle-mêle de tentatives de meurtre dont elle fait l'objet. Quant à mes divers contacts peu fréquentables disséminés sur la cote ouest de ce pays, ils ne prêtent allégeance qu'à celui qui leur propose le plus gros paquet de fric. Ce ne serait pas lui rendre service que de la faire accompagner par l'un d'eux au risque de se retrouver seule contre deux. Et moi? Je ne peux fuir mes responsabilités pour une période indéterminée, cloué à Boston tant par le travail que par ma vie privée. Le silence qui s'est instauré après sa demande laisse aisément présager de ma réponse, nulle et non avenue. Par conséquent, elle ira seule de son coté pendant que je tenterais de l'aiguiller, quitte à pourquoi pas prendre un billet le jour même pour la Suède et la rejoindre sans m'annoncer.

" Désolé mon Lieutenant. " Le cocu de service a remis la main sur le collier du chien même si ce dernier ne semble apprécier le geste et pourtant, il s'agit du seul de nous trois qu'il tolère le mieux. Ma main levée le pousse à se taire pendant qu'il emmusèle la bête plus affairée à tenter de me revernir les pompes de sa muqueuse que de se laisser malmener par le sous-officier. « Pour le dossier, j’ai une copie sur clé USB qui est déjà prête. » Pas encodée j'espère parce que les cours du soir pris y'a trois ans... Je les ai vite oubliés à défaut de m'exercer, pris par d'autres occupations. Entretemps, un papier arraché à un rouleau qui trainait sur le plan de travail va à la rencontre de sa salive, me contraignant à m'abaisser, avisant du chien qui n'est qu'à moins d'un mètre. " Y'aurait pas un rapport entre çà et ... tes cours du soir?  " Son double emploi non divulgué puisque je ne suis plus seul dans la pièce à présent. " J'passerai bien la prendre toute à l'heure mais je risque d'être retardé " par un contretemps dont je me serais bien passé.

« Tu peux passer quand tu veux : je pense pas que je vais énormément dormir de toute façon. » Étrangement c'est sur un tout autre chemin que mes pensées ont vagabondé, oubliant pour quelques secondes les aléas de nos vies respectives en faveur d'un moyen d'occuper sa nuit. Mais le fantasque perd vite pied lorsque sous le regard ahuri du locataire des lieux, une langue écumante s'étire sur ma joue râpeuse. Le téléphone est habilement passé d'une main à l'autre le temps d'essuyer du revers ce qui vient de me souiller, fusillant du regard le clébard à la queue battante en témoignage de sa satisfaction. « A moins que tu préfères que je passe… »  Tout ce à quoi j'aspire là pour l'heure, c'est une douche salvatrice, le seul moyen de purifier mon corps de cette abjection. Mes doigts se délient sur mon front fatigué le temps d'une réflexion plus profonde quant aux différentes tournures que peut prendre cette soirée, sachant parfaitement en mon âme et conscience qu'elle a tout autant besoin que moi besoin de légèreté.  " Oui. " Ceci devrait me laisser le temps de gouter à la chaleur bienfaitrice d'un jet brulant, de quitter cet accoutrement imprégné par l'odeur de ce chien. Mais rien ne se passe toujours comme on le souhaite vraiment...

" Chef qu'est-ce que j'en fais maintenant? " sa voix aigrelette, manquant pour la première fois d'assurance, me soustrait de la conversation. Autant parfois je ne taris pas d'éloges au sujet de ceux que j'ai choisis sur le volet, me félicitant même d'avoir fait preuve de discernement. Mais cette fois-ci, je ne peux m'empêcher de penser de m'être loupé à certain moment... " Comment çà? " Il examine la bête quelques instants puis son appartement, exigu et aux murs déjà bien marqués par ses besoins dévastateurs. " Ma nièce est allergique... " Elle a bon dos la gamine... Fallait y songer avant, avant de se foutre à la colle avec une emmerdeuse. " et votre appartement est plus grand ". A ceci près que ce n'est pas le mien, juste un moyen comme un autre de s'assurer de ma loyauté. Mon regard s'étend jusqu'au deuxième sous-fifre patientant silencieusement non loin de la porte, en retrait, et qui hausse subitement des épaules et lèvent les deux mains pour nous laisser sous-entendre son refus. " Ne me regardez pas. J'en ai déjà un. " Il a réponse à tout et sans comprendre ce qui m'arrive, je me retrouve avec un téléphone dans une main et une laisse dans l'autre, une chaine à la poignée de cuir fatiguée dans la paume. " Non non. Hors de question. " Sans compter que j'ai moi-aussi un petit en bas âge... Nous voilà dans une impasse qui s'éternise au gré des regards échangés, le souffle de Lisbeth au travers du micro pour seul témoin du temps passé quand me vient une idée. " Dis-moi, ton appart sera vide alors le temps de ton escapade..."