La plupart du temps Deirdre se retrouvait solitaire. Et ça ne la dérangeait pas. Là où la plupart comblaient le silence à l'aide d'artifices et de superficialité, la Sauvage elle ne s'en encombrait nullement. Elle profitait de ce temps à l'abri du faste de l'élite pour se retrouver dans son cocon exotique de verdure. Ses journées se dédiaient au voyage des plantes et les rencontres étaient rares mais suffisantes. Elles viendraient bien assez vite et la Demoiselle attrapait sagement l'opportunité de premières semaines de calme. Ce soir pourtant, elle avait envie de se mêler un peu à l'humanité, d'aller observer des images semblables et surtout de goûter l'amertume d'un whisky de ses terres natales. C'était incongrue un pub irlandais en plein Laos alors la Solitaire avait décidé d'aller voir cet endroit de ses propres prunelles. Assise sur un tabouret de bar, au comptoir, elle admirait ainsi les allées et venues sirotant tranquillement le réconfort ambré de ses lèvres lascives. Pour l'occasion, elle avait revêtu une robe rouge cintré, le carmin à ses lèvres et l'ébène de ses cheveux noué en une queue de cheval stricte comme il se doit. Un homme vient commander à côté d'elle. Machinalement l'absinthe irisé vient se poser sur les traits appartenant à la voix. Les sourcils féminins se haussent de surprise. Serait-ce ? Tout ceci remonte si loin, à la naissance de ses veines et de l'acier qui a forgé sa mentalité actuelle. Un sourire vient colorer le sang de ses lèvres « Jaden ? » demande-t-elle curieuse de voir si le prénom aura un écho particulier pour l'invité surprise de sa soirée.

signs of life — Il n'était pas rare dans les pays que je visitais de découvrir un pub irlandais. C'était une nouvelle mode et ça me plaisait bien, parce que ça laissait une marque de chez moi partout. Et du coup, partout était chez moi. Alors bien sûr, j'accorderai forcément un peu de mon temps pour faire le tour du propriétaire et pourquoi pas tenter de vanter les mérites du whisky familial ? Après tout, on s'exportait dans le monde entier et mon père serait forcément ravi que je fasse passer les affaires avant les vacances. Alors oui, c'était noté dans mon agenda qu'il me faudrait passer dans ce pub irlandais. Et après une bonne nuit de sommeil, après une après-midi à toujours chercher plus à propos d'Agathe et de ses habitudes, de ses fréquentations, je m'étais dit qu'un bon whisky ferait passer la pilule. Alors j'étais entré dans cet établissement qui, sans mentir, me faisait sentir comme chez moi. L'ambiance sombre, intimiste. Le vert représentant mon pays. Fièrement, j'arborais un sourire sur mon visage, arrivant comme un conquérant jusqu'au bar, sur lequel je m'accoudais, commandant sans hésitation un whisky pur malt. Et c'était à ce moment là que j'entendais mon prénom. Comment était-ce seulement possible ? Je ne connaissais alors quasi personne ici et en tournant le visage vers la personne qui a prononcé mon patronyme, j'arquais un sourcil. Un air familier, mais je ne saurai dire. Ces cheveux de jais, son regard clair. “À qui ai-je l'honneur ?” demandais-je poliment, puisque clairement, la connaissance était d'un côté, mais ça bloquait de l'autre.

Elle se conforte de sa bonne intuition. Non elle n'était pas entrain d'halluciner après toutes ces années. Au début, ça avait été si difficile de partir de chez elle. De quitter ses racines. Souvent, les premières années, elle avait pensé à Jaden. Lui aurait su comment réagir, lui aurait envoyé promener tout ça. Alors, elle avait pris exemple sur lui. Avec les années, le fer s'était forgé pour embrasser sa peau, le métal avait gorgé ses prunelles d'eau pour n'en laisser qu'un éclat volontaire. Elle ne se laisserait pas noyer par le destin qu'on voulait lui dicter. Elle apprendrait, deviendrait femme. Réussirait de sa propre main, aussi gracile soit-elle. Le sourire s'élargit doucement alors que les prunelles métalliques ne cillent pas face à l'interrogation du Blond. Il ne la reconnaît pas, elle s'en meurtrie intérieurement et finalement comment pourrait-il ? Elle n'est plus une enfant. Et encore moins fragile qu'en ces jeunes années. « Deirdre Wheelan, ça te dit quelque chose ? » Elle observe silencieuse, le visage réfléchir, changer, et elle ajoute mutine. « Il faisait plus froid et il y avait plein de vent et on avait légèrement moins d'années et de centimètres aussi. » Mais le goût du risque était resté, ce désir sournois de toujours accomplir plus de tourments, c'était quelque chose qu'il avait su marquer de sa présence au plus profond de ses paumes déterminées.

signs of life — Forcément que j'étais irrémédiablement attiré par ce genre de lieu. C'était comme si un français à Vegas ne s'extasiait pas devant la minuscule Tour Eiffel qui était exposée dans la ville. Si, parce que c'est le symbole de son pays. Il en est de même avec moi et les pubs dits irlandais. Et là, j'allais voir si ça allait être un vrai ou si c'était du foutage de gueule. Mais rien qu'en entrant dans l'établissement, je me sentais un peu comme chez moi. Faut dire, depuis deux ans j'étais à l'étranger, complètement expatrié. Et c'était agréable de voir que l'Irlande se trouvait un peu partout dans le monde grâce à ces bouts de paradis. Donc naturellement, j'allais vers le bar, commandant un des meilleurs whiskys que je connaissais, non sans remarquer que le whisky familial n'était pas à la carte. Raison de plus pour faire affaire avec eux, quitte à y aller au bras de fer. Seulement, c'était pas pour maintenant, mon prénom m'ayant interpelé. Qui l'avait dit ? Une femme, juste à côté de moi. Clairement, je ne pouvais pas mentir, je ne me souvenais pas du prénom. Mais il allait sans dire que ce visage, les traits notamment, me disait quelque chose. Et puis quand elle avouait son patronyme entièrement, ça me frappait. “Deirdre ! Comment ai-je pas pu m'en souvenir” En réalité, j'avais une excuse : nous étions bien trop jeunes pour se souvenir de l'un l'autre. Comment elle avait-elle fait ? Je n'en avais strictement aucune idée. “Ça fait.. longtemps. Et le monde est petit pour qu'on se retrouve tous deux ici, dans ce pub irlandais. Ne me dis pas.. Harvard ?” À tous les coups. Ce typhon de têtes pensantes. Ça ne m'étonnerait guère.

Un sourire satisfait vient conforter ses traits exigeants, notamment lorsque son acolyte d'enfance la reconnaît, et comment avait-il pu passer à côté...  « Je me demande. » rétorque-t-elle tout à fait sérieuse en posant ses billes incandescentes sur son visage surpris, l'amorce d'un sourire se suspend néanmoins au coin de ses lèvres. Les années étaient passées, chacun avait vécu ce qu'il avait à vivre gardant les rires d'enfant là sagement enfouis, pensant ne jamais à avoir à s'en resservir et voilà que la vie en décidait autrement. Le monde était petit effectivement. « Oui et non, après tout on vient chercher tous les deux un peu de racines natales n'est-ce pas ? » Seule raison explicable de leur présence dans un pub en plein Laos. Et puis c'était également le Summer Camp d'Harvard, tous deux venaient de milieux assez aisés, et l'élite de ce monde n'était finalement pas si grande. « Si si, je suis à Harvard en sixième année en fait. » La voix se fait plus froide. Bien entendu qu'elle est à Harvard, c'est la meilleure université. Elle ne voit pas où elle pourrait être autrement.« Mais je ne t'y ai jamais vu jusqu'à présent. Tu n'as pas encore repris la firme familiale ? » Parce que c'est ce qu'on projetait pour lui, rependre les rennes d'un commerce florissant et du tas de billets allant avec. Ses lèvres trempent doucement dans le whisky qu'elle s'octroie avant que ses billes ne se fassent plus malicieuses. « Tu as toujours un goût aussi prononcé des provocations ? » Parce que l'impression qu'il lui faisait, le look qu'il arborait, sa dégaine bien à lui, laissaient penser qu'il n'avait pas vraiment changé sur ce point.

signs of life — Et voilà que le passé refaisait surface, ici, à des milliers et des milliers de kilomètres de mon premier habitat. “Désolé, la vie, le temps. On oublie. Et on se souvient” J'étais pas souvent désolé, mais clairement, Deirdre était sûrement une des seules qui avait vraiment compté dans ma vie de jeune garçon. Alors ne pas me souvenir d'elle, c'était un affront pour sa personne. Et pour ma dignité. Et si j'avais exprimé des pâles excuses, j'en étais pas moins excusable. “Dans ce pays hors du temps ? Très clairement. Et puis, je vois bien que tu es loin de ne pas être abstème.” Alcool en main, prouvant alors que ses racines irlandaises ne lui avaient pas échappé. Tant mieux, ça aurait été étrange de la retrouver ici, en compagnie d'un sirop à la menthe. Et puis, mon instinct ne m'avait pas trompé. Elle était bel et bien à Harvard, sixième année de surcroît. Et bien, faut dire que mon envie de retrouver Agathe me poussait à retrouver des gens du passé. C'était tant mieux en soi. “C'est compliqué, une longue histoire. Mais je rejoins les bancs de ton université à la rentrée. La Eliot House également. Dis-moi que t'y es.” Valait mieux lui épargner ma vie sans dessus dessous de ces trois dernières années. Mais je préférais savoir que j'avais une alliée dans cette maison dirigée par l'ex de a prétendante. Peut-être qu'elle pourra m'aider à accéder à ma convoitise. “Ça se voit tant que ça ? Disons que ça ne m'a pas lâché depuis ces années passées ensemble.”

La mémoire lui était revenu et heureusement. Certes, les retrouvailles étaient étranges, dans ce semblant d'Irlande au milieu du Laos mais tout de même. Elle rit doucement à sa remarque avant de le fixer effrontée. « Moi ? Jamais. » Elle n'était pas du genre à s'abstenir mais au contraire plutôt celui à assouvir chacune de ses pulsions. En vacances, plus que jamais, après tout, c'était fait pour se lâcher non ? Il lui expliqua ensuite qu'il comptait faire sa rentrée à Harvard en septembre et qui plus est à la Eliot, le seul choix qui s'imposait. « Bien sûr, l'élite reste avec l'élite et je vois que tu as toujours bon goût. » s'amuse-t-elle en trempant de nouveau ses lèvres dans sa boisson. Elle avait deviné également qu'il avait toujours son comportement provocateur et fort en gueule, chose qu'il ne nia pas. « Disons que tu as pas vraiment l'air d'avoir changé à ce niveau là, au contraire. » Elle avait appris de lui, avait développé son propre style mais pour sûr le maître serait fier de son élève. « Tu étudies quoi ? » demande-t-elle intriguée. Sans doute un domaine pour reprendre l'affaire familiale, mais c'était étrange qu'il se décide pour Harvard après toutes ces années. A moins qu'il ne suive quelqu'un c'était aussi une possibilité.

signs of life — Faut croire que tout le monde se retrouvait ici, dans ce pays. Dans cette université. C'était quelque chose qui restait inexplicable mais qui était pourtant bien réel. Et voilà qu'à présent, c'était une ancienne amie. Toujours amie. Fantôme du passé qui pourrait être une alliée de taille dans ma reconquête de miss Thomspers. “Le contraire m'aurait étonné.” Elle avait du sang irlandais, rien que pour ça, personne dans ce pays était du genre à ne boire aucune goutte d'alcool. Tous les irlandais ont au moins vécu une sacré cuite et peuvent s'en vanter. Et forcément qu'Harvard tombait dans la conversation et il fallait en parler. L'Eliot House, l'élite de cette fac. Forcément qu'elle en était. “Au moins, je ne serai pas tellement dépaysé” Un pilier. Et Cléolya pourrait m'aider aussi à me faire voir des bonnes grâces de monsieur le futur Président. Cole Wildingham. Et la vengeance sera sûrement bien terrible. “On ne change pas un homme qui gagne. Et crois moi que de cette façon, tout est à portée de main” Agathe ne sera clairement pas épargnée. “Sciences politiques et économie. Tu sais, l'influence des parents pour reprendre la firme familiale. Et toi ?” Avec un peu de chance, on pourra se retrouver dans quelques cours et ils seront pas trop fades.

Elle approuve d'un signe de tête entendu. « On est irlandais ou on ne l'est pas. » Même si en l'occurrence dans son cas, elle n'y avait pas remis les pieds depuis ses dix ans. Son pays natal lui manquait souvent, c'était quelque chose d'allié à la pureté et l'innocence dans sa tête et c'est sans doute pour cette raison qu'elle osait pas y retourner. Elle avait tellement changé depuis qu'elle redoutait de ne plus voir ses racines du même œil. Jaden en faisait partie mais avec lui les choses semblaient faciles comme avant. « L'Eliot manque d'irlandais, ça tombe bien que tu rejoignes nos rangs, je te présenterai les personnes dignes de ce nom. » Nouveau sourire en coin, parce qu'elle lui doit bien ça. « Je suis tout à fait d'accord avec ça. » Parce qu'en matière d'ambition, elle était passée maîtresse également. Sans surprise, son domaine d'études était en lien avec la firme familiale. « Biochimie et Botanique, je compte bien bâtir ma propre firme à défaut d'en avoir une familiale. » s'amuse-t-elle en posant ses prunelles déterminées sur les siennes. Il a toujours eu ce charme bien à lui, cette façon d'être qui aimante, qui interroge, alors elle se doute que bien des cœurs ont soupiré pour ses beaux yeux. « Et tu as quelqu'un dans ta vie pour perpétuer le côté familial de ta firme ? » s'amuse-t-elle en mordant ses lèvres sous la provocation.

signs of life — J’esquissais un sourire à ses paroles. En effet, on est irlandais ou on ne l’est pas. En l’occurrence, nous l’étions tout deux et étions bien fiers de l’être. Faut dire, on avait un patrimoine des plus complets de cette façon et rares étaient ceux qui nous arrivaient à la cheville. “Je compte sur toi. J’ai réussi à avoir le numéro du vice-président de l’année passée, histoire d’être dans les bons rangs. Il est digne de confiance ?” Une interrogation comme une autre, même si je m’étais déjà fait une petite idée sur la personne. A voir si Deirdre était tombée dans ses filets. En tout cas, nous étions tous deux ambitieux. Preuve étant que si moi j’aspirais à reprendre les rennes de l’entreprise familiale, elle comptait bâtir son propre empire. Bien plus impressionnant. Parce que nul doute qu’elle y arrivera. C’est une Wheelan après tout, pas n’importe qui. Elle a le bon sang qui coule dans les veines. “Si jamais tu as besoin d’aide concernant les plans économiques, je pourrais potentiellement t’aider.” Si jamais, évidemment. Mais elle était pleine de ressources et je ne doutais pas de ses talents. “Pas encore non, mais j’espère que ça ne saurait tarder.” Et voilà que je me perdais dans mes anciens souvenirs de vacances, tout en buvant un peu de mon breuvage délicat. “Au pire des cas, vaut mieux être seul que mal accompagné.”