Effectivement, cette soirée avait été affreuse et Lisbeth avait dérapé. Elle avait laissé la panique la submerger et avait craqué. Sous le choc, elle était encore incapable de se rappeler exactement comment elle était arrivée jusqu’à l’hôpital. Elle avait émergé une fois entrée dans la chambre que Maverick occupait et avait fondu en larmes comme jamais elle ne l’avait fait. Une balle dans la jambe, voilà le prix qu’il avait payé pour l’avoir protégée. Et elle, elle avait récolté une foulure au poignet et trois côtes fêlées. Plutôt pas mal. En tout cas, c’était mieux qu’une balle dans le crâne. Depuis ce jour, acharnée et motivée comme jamais, elle bossait comme une folle pour découvrir l’identité de la Suédoise. Aujourd’hui, elle avait un nom. Mais à quel prix ? Un début de malaise. Allongée sur le sable, elle sentit que William saisissait ses jambes pour les surélever. La jeune femme savait que c’était ce qu’il fallait faire. Fermant les yeux, elle se concentra sur sa respiration, ayant recours à ces exercices qu’elle effectuait bien souvent ces derniers temps. Pendant ce temps-là, l’homme la réprimandait sévèrement. Ses paroles heurtaient Lisbeth mais, avec ses yeux fermés et son bras passé par-dessus son visage, rien n’était perceptible. Elle continuait à dompter son souffle tout en encaissant, encore et encore. Après tout, n’avait-elle pas l’habitude de prendre sur elle ? Mais cette fois, elle lui donnait totalement raison : elle n’avait pas été maligne de s’être laissée aller à ce point. Sans qu’elle s’en rende compte car concentrée sur sa respiration et sur les paroles de William, le malaise se dissipa lentement, très lentement. Elle sentit alors ses jambes toucher à nouveau le sable. Puis il s’éloigna. « Ça ne le regardait pas » ? Son bras quitta son visage rouge (de honte ? de douleur ? blessé ?) et ses yeux s’ouvrirent. Le soleil l’éblouit un court instant et elle cligna plusieurs fois des paupières. Elle se redressa lentement, se mettant précautionneusement assise. Elle s’attendait à ce que le décor danse devant elle mais il resta étrangement stable. Elle se leva avec autant de lenteur avant de s’approcher de William.

« Tu as raison, je n’aurais pas dû négliger la base de la base. »

Mais elle était debout. Elle se tenait debout alors qu’elle semblait au plus mal un peu plus tôt. Quelle force lui donnait autant d’énergie, autant de persévérance, autant de niak, autant de… De quoi, exactement ? Elle était debout, le regard à nouveau pétillant, vivant, énergique et… Déterminé. Lisbeth était têtue comme une mule mais elle savait reconnaître ses erreurs.

« Mais je ne me sens pas en sécurité et je n’arrive pas à dormir. A chaque fois que je ferme les yeux, je me dis que ça donne une raison de plus pour me prendre par surprise. »

Regard refroidi, glacial, ton grave. Elle tentait de mettre des mots sur ce qu’elle ressentait mais ce n’était pas chose aisée. Elle avait l’impression d’être paranoïaque quand elle exprimait son sentiment. Peut-être l’était-elle un peu, mais quoi de plus naturel ?

« Quand je t’ai dit que j’ai vécu pire, c’était vrai. Maltraitance, enfermement, emprisonnement, vi… »

Soudainement, elle s’interrompit. Non mais qu’est-ce qui lui prenait ?! En une seule phrase, elle était en train de déballer sa vie, tout ce qu’elle cachait aux yeux de tous. Tout ce qui faisait d’elle ce qu’elle était aujourd’hui. Alors quand elle commença à prononcer ce mot, il resta coincé au fond de sa gorge. Et elle en fut heureuse ! Mais il fallait être bête pour ne pas deviner la fin de ce mot. Ceci expliquait bien des choses, comme par exemple son malaise lors de leur premier entraînement de krav maga, quand il avait initié ce contact physique pour lui démontrer quelques mouvements. Lisbeth avait détourné le regard, les joues rouges cette fois-ci : elle était bien de retour.

« J’ai également été traquée par le passé. Mais j’ai été à leur rencontre car j’avais découvert qui ils étaient. Là, je tourne en rond et ça me rend complètement dingue ! Je traque un fantôme. »

Là, elle s’était un peu laissé emporter. La jeune femme soupira et prit une grande inspiration. Son regard s’était radouci et semblait un peu perdu.

« Je ne voulais pas te manquer de respect en me négligeant ainsi et je suis désolée. »

Mais si ça ne le regardait pas, alors pourquoi avait-il répondu présent quand elle lui avait demandé de le rejoindre ? Pourquoi lui donnait-il des cours ? Pourquoi lui avait-il surélevé les jambes quand elle faisait ce malaise ? Lisbeth détourna le regard et s’éloigna pour remettre ses vêtements après s’être débarrassée du sable qui avait collé à sa peau et sur son maillot de bain. Elle devait bien se l’avouer : elle espérait qu’il ne la laisserait pas tomber car, en ce moment, il était le seul à pouvoir l’aider. Et, pour une fois dans sa vie, elle avait cruellement besoin d’aide. Elle se retourna alors: on voyait bien qu'elle avait encore quelque chose à dire mais elle n'osait pas.

EXORDIUM.

Bien sûr que non, Lisbeth serait totalement incapable de parer à une attaque imprévue en ce moment-même. Tout à coup sur ses gardes, elle jeta un regard discret autour d’eux. Mais à part l’océan, le sable à perte de vue et quelques rochers, elle ne sentit aucune présence humaine autre que la leur. William lui faisait avoir encore plus mauvaise conscience avec ses paroles incisives. Il avait bien raison, d’un côté : elle méritait la réprimande. Elle n’avait pas eu l’occasion de se faire reprendre de la sorte bien souvent et ça lui donnait une sacrée claque, un électrochoc. A son regard, elle comprit qu’il avait saisi ce qu’elle avait voulu dire, le mot qui était resté en suspend. Elle se crispa un court instant, pratiquement certaine qu’il allait réagir à ses paroles. Ce ne fut pas le cas et elle put libérer sa respiration qu’elle avait retenue sans s’en rendre compte. Bon sang, elle l’avait échappé belle ! Jamais, ô grand jamais elle n’avait évoqué son viol et elle ne se sentait absolument pas prête de le faire. Parfois, elle se disait qu’elle préférait encore filer le DVD plutôt que de parler. Les images sont bien plus équivoques que des mots, surtout dans son cas. Par contre, elle n’avait pas fait la maligne le jour où Clay, ce connard de flic, avait visionné la vidéo avec elle, dans les locaux de la police de Boston, pour lui faire avouer qu’elle était Wasp. Il avait étalé son dossier judiciaire sans vergogne et avait lu sa fichue vie de merde droit en bas, d’un air presque neutre. Lisbeth avait été blessée et à la fois ivre de rage. Elle lui en aurait bien flanqué une, à ce bâtard ! Clay avait eu au moins la décence de couper la séquence avant la fin. Avait-il été troublé ? Ou avait-il voulu épargner les dernières images à sa détenue de quelques heures ? Ou avait-il préféré ne pas savoir la suite ? Quoi qu’il en soit, il avait eu ce qu’il voulait, ce jour-là. Mais Lisbeth avait récupéré son ordinateur intact et elle avait veillé au grain.

Ne pas s’excuser ? Oui, William avait certainement raison. C’était un signe de faiblesse que de s’excuser. Enfin… ça dépendait à qui on les adressait. Ne l’avait-il pas fait quelques minutes plus tôt ? Bref, ne nous épanchons pas sur des détails : Lisbeth avait parfaitement compris le message. Elle hocha la tête et détourna à son tour le regard, ravalant les dernières paroles encore coincées au fond de sa gorge mais qu’elle ne prononcerait pas. Elle avait déjà sa réponse, sa confirmation qu’elle attendait. Et comme elle se refusait à se montrer plus faible qu’elle ne l’était déjà, elle releva la tête et enfila ses vêtements. Du sable collait encore à ses cheveux humides et elle les détacha pour les ébouriffer et enlever les grains fins. Bon sang, quelle calamité ! Ils avaient presque tous quitté sa chevelure alors elle la dompta une nouvelle fois en l’attachant, dégageant son visage toujours un peu pâle mais ayant meilleure mine qu’auparavant. Elle récupéra ensuite ses affaires et jeta un coup d’œil rapide à son téléphone. Rien, aucune alerte, toute était clean chez elle. Elle respira un peu plus librement.

« Très bien, je te suis. »

Avait-elle seulement le choix ? Absolument pas, et elle le savait très bien. Alors la jeune femme suivit William, une petite boule au ventre. L’idée même de manger la rendait nauséeuse mais ça devait être à cause de sa période de jeun forcé. Et puis quelque chose lui disait qu’elle ne s’en sortirait pas aussi facilement.

EXORDIUM.