D'une oreille qui traine j'écoute malgré moi la conversation des deux hommes, ralentissant le pas jusqu'à m'arrêter quelques mètres plus loin, soufflant l'air de rien sur l'arabica de piètre qualité tenu dans ma main. " Votre femme était somptueuse, je suis sûre qu'elle a trouvé la paix." Prions pour cela...  Mais à l'humour noir je préfère de loin le silence et continuer d'observer, de saisir et d'apprendre ce que Priest cache de cadavres dans son placard. C'est alors que le puritain dépose sa paume sur l'épaule de son homologue, un étrange et dérangeant spectacle qui me ferait passer tout attrait pour ce que je tiens dans la mienne. " On m'a dit que les Romanov avaient voulu emmener les enfants en Russie... " Russes. Faudrait être le dernier des cons pour ne pas saisir la nationalité de leurs origines et j'imagine qu'il s'agit des parents de la défunte épouse. Le Priest ne s'est pas amouraché d'une moins que rien, autant devait-il s'agir d'un mariage intéressé parce que je vois mal une mondaine s'ennuyer avec ce raté. Je me demande juste ce qu'elle a pu lui trouver... " Si vous voulez, je connais un bon avocat, qui fait des prix d'amis..." Ah tiens, à moi aussi on me fait des prix d'amis mais seulement de la part des jeunes femmes qui s'émerveillent devant le petit que je leur dépose assez souvent quant Anna ne peut s'en occuper. Qu'elles essayent toujours de me faire rester quelques minutes de plus n'est pas en soi très alarmant même si je me doute bien de ce qu'elles attendent. Alors penser qu'un avocat puisse désirer tout autant de Read est désopilant. " Ne vous inquiétez pas, nous nous sommes mis d'accord." Dommage, il refuse l'aide que le bon sergent souhaitait lui apporter et me rattrape, emboite le pas en direction de la salle.

Chemin faisant un silence pesant s'est insidieusement imposé entre nous deux, ne souhaitant en rajouter sur la disparition de celle qu'il a aimée. J'aurais du mal à encaisser, à sa place, qu'un indésirable me parle d'Anna et ravive un douloureux passé. Alors même si abattre Read est un jeu auquel il me plait de m'adonner, cette fois-ci, c'est une trêve provisoire qui s'instaure le temps que passe cette ombre qui doit le ronger. " J'savais pas que tu t'étais rangé. " Parce qu'à l'époque t'étais un vrai toquard, un queutard que les winthrop n'appréciaient pas vraiment faute de ta tronche de midinet qui en faisait fondre quelques unes, celles-là mêmes que notre président avait reluquées. Bourreau des cœurs à la con qui foulait inconsciemment les plates bandes de nos têtes pensantes, le haïr était si facile et justifié en plus de mon animosité pour sa religion.   " T'en as combien? " des gamins, histoire de changer de sujet.

" Pourtant, j'ai été marié deux fois. " Et je pensais que divorcer était un sacrilège aux yeux de nos lois... Pour les plus anciens et ceux qui ont été élevés dans des familles conservatrices, prendre femme est un choix purement réfléchi, sans doute est-ce pourquoi je n'ai toujours pas la bague au doigt. Ma foi, celle qui partagera ma vie devra se satisfaire de ce que je suis, de mes bons cotés comme des mauvais.  " Ca se voit que t'as arrêté de venir jouer les cons chez mes frères et sœurs depuis longtemps." C'est vrai, je me suis trouvé une porte de sortie à ces conneries, bien plus préoccupé par une carrière en devenir que par des vêpres dominicales que je prenais plaisir autrefois à écourter. Les temps ont bien changé, et j'ai suivis mon propre chemin depuis.

Aussi lorsqu'il aborde un thème un peu plus gai et sur lequel nous nous entendrons tous deux, ma démarche s'enraye à l'entente du nombre qu'il annonce. Trois, rien que çà. Balthazar, Melchior et Gaspard? " Deux filles et un garçon. Ils ont tous à peu près le même âge." " Ah." Raté. Toujours est-il que je ne le vois pas non plus donner dans le métissage bien que leur religion le leur autorise. Je ne sais pourquoi mais j'ai encore cet étrange ressenti, celui de le voir accompagné par cette même petite aristocrate aux gouts simples et pourtant raffinés, une femme que sa famille aura acceptée plus aisément que la mienne n'a accueilli Annalynne. Mais la gymnastique cérébrale s'arrête ici même, sur le pas de la porte de la salle allouée à Priest où les derniers arrivants se sont retrouvés. Les discussions, houleuses pour certaines, vont bon train alors que l'un d'entre eux se retourne afin de détailler le binôme qui s'apprête à rentrer. C'est Aarif, un musulman au cœur tendre mais surtout véritable professionnel dans la recherche informatique à défaut de subir sur le terrain quelques remarques chauvines. Il est vrai qu'il est plutôt typé, peu gaulé, affublé en plus de çà de lunettes à double foyers que quelques connards s'approprient en son absence. Pour ma part, il m'a toujours été fidèle et aimable, et je lui suis d'ailleurs redevable de maints services rendus. Le seul petit problème en ce qui le concerne est qu'il n'accepte pas que quelqu'un le touche, ce qui rendra la tache à Read un peu plus ardue que prévue. Une pensée d'ailleurs qui accroche à mes lèvres de nouveau l'esquisse d'une sournoiserie. Aarif le précurseur d'une pluie de malheurs qui viendra entacher sa journée. D'une main tendue vers l'intérieur, Read est convié à passer le premier. " Après toi, M'sieur le formateur. "