Donner des cours à la police, c'était pas ce que notre cher Read préférait. Il fallait dire que l'assistance était à très grande majorité masculine et certaines personnes faisaient toujours le même type de blagues salaces à propos du bouche à bouch, bien que ce ne soit qu'un détail de l'enseignement. En une journée de huit heures, Read devait trouver le moyen de leur expliquer clairement sous forme d'ateliers comment sauver des vies, surtout lors de blessures par balle, en ce qui les concernait. Les premiers gestes étaient vraiment importants et avaient un immense impact sur la suite de soins.

Voilà quelques mois à présent qu'il était formateur, n'ayant plus les moyens, du fait de sa famille nombreuse, de faire des shifts sur le terrain comme auparavant. Alors qu'il se dirigeait vers le bâtiment et plus précisément, la salle où le cours aurait lieu, Read n'avait toujours pas lu la liste des noms des élèves. Cela n'avait jamais grande importance. Mais pour une fois, il aurait dû. Car lorsqu'il entra dans la salle, quelque peu en avance, son regard se posa sur un homme qu'il aurait mieux valu éviter. Ce gars-là tentait de le déstabiliser à la moindre de leur rencontre, par le passé. Il ne comprenait pas sa foi et ne voyait pas plus loin que le bout de son nez.
Pourtant, Read avait traversé tant d'épreuves depuis, qu'heureusement que sa foi l'avait soutenu.

Il posa son regard sur Clay un instant et poussa un large soupire. "Ca va être long." indiqua-t-il simplement. "Bonjour à tous!" dit-il ensuite plus fort pour que la salle l'entende. "Nous attendons encore cinq minutes et l'atelier va commencer." ajouta-t-il ensuite machinalement. Il était légèrement en avance et il donnait toujours un peu de temps pour que les retardataires puissent arriver.

"Amen." Read avait très bien entendu ce mot prononcé dans la bouche de Clay, mais il ne le releva guère. Ce n'était pas la peine de commencer la formation à relever les insolences de ce comparse désinvolte et incapable de voir plus loin que le bout de son nez. Le secouriste était d'ailleurs en train de déposer son manteau et sortir quelques affaires de son sac, dont un stylo et un calepin lorsque l'autre lui proposa d'aller prendre un café. Par habitude, il jeta un oeil rapide sur sa montre. Il savait très bien l'heure qu'il était puisqu'il l'avait lui-même annoncé quelques secondes plus tôt, mais il avait espéré que le temps soit passé bien plus vite que ce qu'il avait pu en voir.

Il haussa les épaules et acquiesça simplement. "Pourquoi pas." Il ne buvait pas de café. Mais il ne serait pas contre un bon thé. Si cela pouvait aussi calmer le jeu, ce serait tout à leur avantage. Read détestait ressentir cette tension et cette hostilité certaine que son interlocuteur avait à son égard. Il n'avait même jamais compris pourquoi cet homme nourrissait depuis toujours ce sentiment fort désagréable à son encontre. Read ne souvenait nullement lui avoir fait du mal d'une quelconque manière ou alors il ne l'avait pas fait exprès. Il poussa un léger soupire, emboitant le pas à son interlocuteur, le suivant dans le sordide couloir qui les menait dans l'espace cafétéria.

Il resta à bonne distance lorsqu'une demoiselle s'approcha de Clay afin d'échanger quelques mois. Bien qu'il ne se concentrait pas pour les écouter, il ne put s'empêcher d'entendre les quelques mots formulés. Il ferma les yeux un instant, les joues rouges. Ce qu'il pouvait être lourd, celui-là. Il adressa cependant un petit sourire à la demoiselle, qui semblait tourner les talons pour s'en aller, avant de s'approcher et prendre à son tour une boisson à la machine. "Alors, Clay, comment ça va, depuis le temps?" S'il y avait bien une personne qui ne lui avait pas manqué pendans ses deux années d'exil, c'était bien ce gars-là.

Read ne comprenait vraiment pas l'animosité et les moqueries dont Clay faisait preuve à son égard. Il ne se souvenait pas l'avoir heurté de quelque façon dans le passé pour qu'il s'en prenne ainsi à lui... Et au fil du temps, l'hostilité était devenue partagée. Lorsque Clay lui sortit une boutade, au sujet de la machine, Read se contenta de lever les yeux au ciel. L'autre tenta de se rattraper, mais notre secouriste avait bien compris la remarque. Cette dernière n'avait pas été dite sur le coup, mais bel et bien réfléchie et calculée.
Finalement, Read décida de faire quelques efforts et concéda à poser des questions à son interlocuteur. Peut-être qu'au fond, les deux hommes devaient apprendre à se connaître pour que les choses se passent mieux entre eux à l'avenir. Puis soudain, cette réponse à laquelle il ne s'attendait guère. Clay? Père? Il ne l'imaginait pas dans cette posture. Il le voyait plutôt comme le genre d'homme à engendrer des mères célibataires de plus sur la planète.
"Oh." déclara simplement le trentenaire, avalant quelques gorgées de sa boisson chaude. "C'est bien." conclut-il ensuite. Puis, il laissa passer quelques secondes de silence, ne sachant pas quoi dire. Devait-il partager le fait qu'il avait des enfants lui aussi? Plus tard sans doute. Mais la position de Clay l'intriguait. "Une fille ou un garçon?" demanda-t-il simplement. "Il a quel âge?" Sans doute un adorable bout de choux... Enfin, s'il n'avait pas hérité malencontreusement du faciès de son père. "C'est pas facile à jongler entre vie pro et vie privé, surtout quand tu dois rentrer du travail et t'occuper de lui, non?" ne put-il s'empêcher d'ajouter. Question de savoir si Clay avait une fiancé ou même s'il s'était marié. Bref, si l'enfant vivait avec lui ou non. Et puis, vues les horaires de travail des policiers, Read se doutait qu'une vie de famille était difficilement compatible par moments.
Il se perdit dans ses pensées, tentant d'imaginer la mère; Ne sait-on jamais... Certaines femmes aimaient bien les hommes rigides et acariâtres de son genre. Seulement, fallait juste être un peu masochiste pour le supporter à longueur de journée.

Un petit gars. Sans doute une bonne nouvelle pour ce policier bien macho et de cela, Read en était certain. "Tu dois être fier alors." déclara-t-il simplement. Puis, il entreprit de poser d'autres questions quant à l'enfant mystérieux, très étonné que cet homme puisse être père, mais surtout qu'il se soucie au moins un peu de sa progéniture. Il avait toujours eu de lui cette image du gars qui aurait abandonné sa copine dès lors qu'il la saurait enceinte. Ou qui l'aurait enfermée à la maison pour qu'elle s'occupe de la marmaille pendant que lui vaquerait à ses occupations.

Il écarquille les yeux un instant face à la réponse de Clay. La propriétaire du Nirvana, sérieusement? Il rougit un peu. Il avait quelques souvenirs de cet endroit, et ce n'était pas les meilleurs. Et subitement, Cooper lui propose une soirée entre hommes. Sans doute encore pour le défier ou jauger sa réaction. Il faut dire que le fils du pasteur est connu pour être sage. Enfin, était connu pour cela. Il a bien changé et l'eau a coulé sous les ponts depuis ce Read si doux et si timide qu'il avait été jadis et qu'il redevient peu à peu.
"Non, désolé, je peux pas. Je m'occupe de mes enfants le soir, moi." déclara-t-il, laissant apparaître un léger sourire face à cette invitation mal venue. Si Clay n'avait pas la fibre paternel et ne se souciait guère de rentrer à des heures inconvenues, ce n'était pas le cas du fils du pasteur. Autrefois, peut-être, mais il avait perdu cette mauvaise habitude qui avait fait de lui un garçon peu fréquentable.
Si Cooper laissait son gamin sous la responsabilité pleine et entière de sa mère, ce n'était pas le cas de Read. Il aurait pu laisser ses enfants à la famille de Snow ou à ses propres parents, mais il ne l'avait pas fait. A vrai dire, ses enfants étaient ses sauveurs. Sans eux, sans doute ne serait-il plus de ce monde.

Et pour s'amuser un peu de Clay, Read lui balança un léger clin d'oeil complice.
"Mais un autre soir, si tu veux." Cela titillerait sans doute le flic de ne pas voir un Read choqué par la proposition. Voir l'étonnement sur son visage était jouissif. Le secouriste afficha alors un sourire, en avalant quelques gorgées de son thé.

Et bien, une chose était certaine, Clay n'en démordait pas. Certainement avait-il hâte de voir comment Read se comportait dans un strip bar. S'il l'avait vu en 2013, il n'en aurait pas cru ses yeux. Il était du genre à se faire remarquer et il était si lourd avec les demoiselle, une fois alcoolisé. Il rougit rien que d'y songer. Ce fut avec un simple sourire qu'il répondit à son interlocuteur.
"Ne t'en fais, je connais des gens de confiance pour les garder. Alors... Tu n'as plus qu'à fixer la date et j'essayerai de te caser dans mon agenda." Et pour être de confiance, ils l'étaient puisqu'il s'agissait de sa mère, femme du pasteur ou même des Romanov. Ce n'était pas toujours évident d'avoir à faire à des grand-parents qui provenaient d'un tout autre monde et d'une toute autre classe sociale que la sienne. A de nombreuses reprises, ils lui avaient demandé s'il était certain de ne pas vouloir vivre dans un appartement, au centre-ville, qu'ils avaient à disposition, mais il avait préféré refusé. Il voulait être indépendant de tout un chacun, sinon comment pourrait-il légitimer le fait qu'il était un bon père?

Clay lança un regard sur sa montre, fixée à son poignet, qui rappela à Read qu'il était grand temps de retourner dans la salle de formation. Il poussa un soupir, ce ne serait décidément pas simple de survivre à cette expérience. Il devait compter sur Clay pour lui poser toutes les questions compliquées et gênantes qu'il pourrait sortir de son esprit de taré. Tandis que les deux hommes avançaient dans le couloir, un type à l'allure bedonnante s'approcha d'eux. Il serra la main de Read avec ferveur. Le secouriste lui sourit chaleureusement, mais cette marque de sympathie s'effaça lorsque l'autre lui rappela la dernière expérience tragique de sa vie. Deux ans déjà et la douleur était aussi intense que si cela s'était produit la veille.
"Merci, sergent." déclara-t-il, reconnaissant l'homme qu'il avait pu voir la semaine dernière à l'église de son père, sans toutefois pouvoir lui parler. La réputation du vilain petit canard de la famille avait fait parler de lui, des années plus tôt. mais depuis son retour, tout semblait avoir été oublié, d'autres étant la source des commérages.

"Votre femme était somptueuse, je suis sûre qu'elle a trouvé la paix." conclut le sergent, un sourire se voulant rassurant sur les lèvres. Read posa délicatement une main sur son épaule, pour lui signifier que tout allait bien. "On m'a dit que les Romanov avaient voulu emmener les enfants en Russie... Si vous voulez, je connais un bon avocat, qui fait des prix d'amis..." continua-t-il. Et voilà, encore des commérages. Qui n'étaient plus d'actualité, qui plus est. Les gens étaient vraiment curieux de façon malsaine. Même si, en l'occurrence, le sergent cachait son intérêt derrière un semblant d'envie de venir en aide à son prochain. Pas étonnant qu'il s'y intéresse: Read et Snow, c'était une belle histoire... Celle des contes de fée. Le roturier qui épouse la princesse. "Ne vous inquiétez pas, nous nous sommes mis d'accord." Read adressa un dernier sourire à son interlocuteur, avant de reprendre le chemin de la salle en silence. Si Clay cherchait son lot de rumeurs et de petites histoires, il l'avait trouvé.