14 Juillet 2001 - Manchester, Demeure des Fitzgerald
« Où est ta sœur ? » Link regarda sa mère avec des yeux remplis d’incompréhension face au ton peu accommodant de sa génitrice. Celle-ci l’observa avec suspicion, persuadé que son second fils ne disait pas toute la vérité… « Lincoln… » Déjà ? il pensait qu’elle aurait plus de patience avant d’utiliser le premier signal d’alarme. Quand on l’appelait Lincoln dans sa famille, ce n’était jamais très bon. C’était un peu comme un premier avertissement, une sorte de tu ferais bien de partir avant que ça chauffe pour de bon sauf que le garçon de huit ans ne choisissait jamais la lâcheté. Il faisait face à la moindre difficulté. Il résistait face à l’ennemi. Rendre les armes ? Plutôt mourir que de s’avouer vaincu. Oui, Link était légèrement mélodramatique à cet âge… Hors de question d’enfreindre le règlement sacré des liens fraternels chez les Fitzgerald. L’enfant adorait ses parents. Cependant, quand ils le poussaient à dépasser la ligne rouge, son amour pour eux en prenait un coup. On le forçait à la dénonciation. Quelle mère pouvait-elle faire ça à son propre fils ? Okay, Wendy avait peut-être brisé trois des vases préférés de sa mère pendant son dernier caprice mais, elle était sous le choc. Avoir six ans et se voir privé de télévision alors que son dessin animé préféré passait à ce moment-là… Il y avait de quoi péter un plomb. C’était légitime, non ? « Lincoln, pour la seconde fois… » « OKAY. Elle est partie dans sa cabane pour s’éloigner de ce monde devenu bien trop cruel et je la comprends, en même temps. Son dessin animé, sérieusement ? T’imagine si tu faisais une bêtise et que papa t’empêchait de voir le dernier épisode de la série nullissime dont tu es complètement accro ? » Luisa Fitzgerald leva les yeux vers son fils qui semblait attendre sa réponse avec une impatience non-dissimulée. Elle adorait ses enfants. Elle était immensément fière d’eux et n’osait même pas imaginer ce qu’elle ressentirait quand les prunelles de ses yeux auront atteint l’âge de la majorité. Le silence s’allongea davantage et avec un sourire attendrissant, elle ébouriffa les cheveux de son garçon avant de partir en quête de sa petite dernière. A peine, Luisa avait-elle disparue de la pièce que Link s’écriait que c’était injuste, qu’elle n’avait pas le droit de disparaître comme ça, que sa réponse était capitale à sa croissance et un nombre incalculable de phrases dans le même acabit. Voyant que sa génitrice était définitivement sortie de la maison, Link se précipita vers sa chambre où il ouvrit la porte coulissante de son armoire pour faire sortir sa petite sœur. « La voie est libre, Wendy. Maman est partie te chercher dans ta cabane. » La petite brunette aux cheveux bouclées regarda son frangin avec des yeux émerveillés. « T’es le meilleur grand frère du monde ! » Link – 1 ; Andreas – 0. Une bonne demi-heure plus tard alors que le frère et la sœur jouait le plus calmement possible, une porte refermée avec brusquerie les fit sursauter tous les deux. « Lincoln Eliott Fitzgerald ! Descend tout de suite ! »

21 Novembre 2006 - Manchester, Demeure des Fitzgerald
Il y a des couples qui passent leurs temps à se disputer pour un oui ou pour un non, pour un verre renversé, pour des courses mal faites, pour une réflexion malvenue… Et qui ne divorcent pas. Puis, il y a la seconde catégorie qui ont l’air de s’aimer, d’être fait l’un pour l’autre, qui se sourient comme si ils étaient les huitièmes et neuvièmes merveilles du monde et un beau jour, les papiers de divorce se retrouvent sur la table sans que personne n’y comprenne quoique ce soit. Link observa tour à tour son père et sa mère. Il était abasourdi. D’où est ce qu’ils se séparaient ? Pourquoi ? Ils s’adoraient. Une semaine auparavant, l’adolescent de quatorze ans les avait surpris en pleine déclaration dégoulinante de guimauve et là, ils annonçaient qu’ils allaient se séparer comme si ils parlaient de la météo pour le lendemain ? Le jeune garçon avait l’impression d’avoir raté un train entier. Dans le silence le plus complet, Link fut le premier à sortir de la pièce à l’ambiance pesante pour se réfugier à l’extérieur. C’était une blague. Une putain de blague. Non seulement, ses parents ne vivraient plus ensemble mais, en prime, son père allait partir aux Etats-Unis. Aux States. Et il détestait l’idée. Il haïssait ce rebondissement de merde qui gâchait le joli tableau de leur famille. Link n’était pas connu pour se laisser emporter par la colère, il était plutôt du style à ensevelir les gens sous une colère froide. Pas un mot plus haut que l’autre mais, chaque parole se transformait en une lame particulièrement aiguisée. Pourtant, pour la première fois, le Fitzgerald ressentait le besoin de casser un truc, de briser quelque chose. Ça le démangeait. Il se tourna vers le mur et… « Ne fais pas de conneries, Link. Ton poing ne va vraiment pas aimer sa rencontre avec le mur… » Andreas fit son apparition. Son aîné avait cette capacité de se montrer toujours au bon moment. A croire qu’on lui avait implanté un radar pour détecter toutes les actions inutiles ou débiles de ses cadets. « Tu l’avais vu venir ? » La question fusa tellement rapidement qu’Andreas eut une moue surprise avant de s’adosser au mur. « Pas vraiment… Dernièrement, j’ai bien vu que quelque chose clochait mais, j’pensais que c’était juste une petite dispute. J’ne pensais pas qu’un matin, il se passerait… ça. » Si même le plus observateur de la famille n’avait rien vu venir, c’est que quelque chose ne tournait vraiment pas rond. « Et demain, Papa va nous annoncer qu’il a rencontré quelqu’un d’autre ou alors, peut-être que maman va nous présenter notre beau-père dès que Papa nous aura abandonné pour sa promotion aux Etats-Unis… » Andreas tourna lentement la tête vers son petit frère avec une expression horrifiée peinte sur le visage. « Ne me regarde pas comme ça… C’est l’amertume qui parle. Fais pas attention… » Sur ces mots, Link quitta son frère pour se réchauffer dans la maison. Quant à Andreas, il resta figé dans la même position. Et si, Lincoln avait raison ? Si c’était une histoire d’adultère qui se cachait derrière le naufrage de l’histoire de leurs parents ? Quel bordel…

8 Septembre 2010 - Cambridge, Université de Harvard
Son frère et sa sœur lui manquaient. Manchester lui manquait. L’Angleterre lui manquait. A sa place, certains seraient probablement rentrés au bercail sans un regard en arrière. Pas Link Fitzgerald. Il était à Harvard. Il avait été admis dans la plus prestigieuse université grâce à ses notes excellentes. Chose étonnante quand on savait qu’au collège, il se contentait du minimum syndical pour se maintenir à une place correcte. Son rapport aux études avait complètement changé depuis que son géniteur vivait aux Etats-Unis et qu’un professeur lui avait dit qu’il pourrait avoir accès à toutes les universités de son choix s’il daignait faire des efforts et pas se débrouiller pour rester dans la moyenne. Aujourd’hui, il déambulait dans les couloirs de l’université et n’arrivait toujours pas à croire à ce qui lui arrivait. Link se sentait comme un gosse devant le père Noël. « Encore dans le coin, Fitzgerald ? Tu t’es toujours pas remis du choc d’être étudiant à Harvard ? » Link se retourna vers le nouveau venu avant de sourire. « Tu ne peux pas comprendre. Je n’aurais jamais cru atterrir ici, un jour… Alors que toi, on sait tous que tu es là grâce à l’argent de tes parents et que ta grande ambition est d’agrandir ton tableau de conquête. T’as jamais eu envie de rajouter de la difficulté à ton challenge qui doit être le même chaque année ? » Link et Micah*. C’était la rencontre entre deux mondes complètement opposés. Ils auraient pu être les pires ennemis du monde et à la place, ils s’approchaient plutôt des supers potes qui ne s’épargnaient rien. S’envoyer des piques pour s’amuser était un mode de vie pour eux. Par contre, jamais ils ne chercheront à blesser l’autre. Ils s’adoraient trop pour ça. La connexion avait quasiment-immédiate et qu’importe où l’étudiant en psychologie se trouvait, Micah finissait toujours par lui tomber dessus. Remarque, ce dernier étudiait à Harvard depuis un an. Du coup, il connaissait l’université comme sa poche. « Au fait, tu devais pas aller chez ton père ? » Le britannique soupira face à cette question. Si, à la base, son programme du jour impliquait une visite chez son géniteur sauf que c’était avant d’apprendre que sa nouvelle copine serait sur place également. « Changement de programme. Mon père ne sera pas tout seul et j’ai été suffisamment traumatisé d’assister à une déclaration d’amour entre mes parents quand j’étais plus jeune pour retenter l’expérience avec mon père et une inconnue. J’en ai des sueurs froides rien que d’y penser… j’vais faire des cauchemars, cette nuit, à cause de toi, Micah… » En voyant la mine horrifiée de son interlocuteur, Lincoln eut un sourire triomphal. Visiblement, il ne serait pas le seul à mal dormir. Le jeune homme adorait faire chier son monde au point de se qualifier lui-même d’attachieur. C’était une nouvelle vie qui s’offrait à lui à Harvard. Il était là depuis quelques semaines et déjà, il pouvait compter sur quelques personnes, adorait déjà son cursus en psychologie au point de s’improviser analyste de comportement dès qu’un-e de ses potes faisait une connerie et même les confréries l’intéressaient énormément, il hésitait encore sur laquelle lui conviendrait le mieux mais, il savait que ce ne serait qu’une question de temps.

17 Janvier 2017 - Cambridge, Université de Havard
« Alors, c’est toi qui l’a largué ou c’est elle qui est partie ? » La question de son interlocutrice ne surprit pas le moins du monde le Fitzgerald. Si quelqu’un connaissait le fonctionnement de Link en matière de relations sentimentales, c’était bien Elyna*. En couple, Link restait fidèle à sa copine ou plutôt, s’adaptait à elle. Si elle faisait la conne, il merdait volontairement de son côté. Si elle était fidèle, il n’allait pas voir ailleurs et si elle voulait une relation non-exclusive pour x ou y raisons, ça fonctionnait également. Du coup, voir Link dans cette pièce ne signifiait qu’une chose, il était de nouveau célibataire. « On s’est séparés d’un commun accord si tu veux tout savoir, Ely. » Elyna lui jeta un regard en biais mais, s’abstint de parler. A la place, elle sortit une cigarette et se dirigea vers la fenêtre pour la finir plus ou moins rapidement. Après l’effort, le réconfort. « Si je voulais vraiment tout savoir, je te poserais des questions sur comment, pourquoi, où et j’en passe. Vous étiez tellement mignon ensemble… » Link esquissa un sourire narquois à la réplique de la jeune femme. Comme si elle n’était pas heureuse qu’il soit de nouveau célibataire pour qu’ils reprennent leur amitié avec les extras. Parfois, il se demandait ce qu’elle ferait si le garçon se casait pour de bon. Chose qui n’était pas prête d’arriver, visiblement… mais, ce n’était pas un problème en soi. Il finirait bien par trouver la bonne, un jour. Tant pis si il devait attendre ses trente ans pour la rencontrer. En attendant, il profitait de sa vie d’étudiant pour le meilleur et pour le pire. Link se décida à faire un rapide tour dans la salle de bain avant de rejoindre son amie. « En réalité, ça m’arrange que tu sois de nouveau tout seul… mais, ça, je ne te l’apprends pas. Nos câlins me manquaient… » L’envie de lui dire que même, quand il était en couple ils se faisaient des câlins, le démangeait mais, il n’eut pas le temps de prononcer cette petite phrase destinée à l’embêter puisque des lèvres se posèrent sur les siennes. La dénommée Elyna accentua le baiser pour le rendre plus passionné. Ils finirent par le rompre. L’étudiante ouvrit davantage la fenêtre avant de placer ses bras autour du cou du garçon et de poser sa tête sur son épaule. Il lui avait manqué. Beaucoup trop. Link ressentait la même chose et trouvait ça complètement dingue. Après tout, aucun des deux ne ressentait de forts sentiments l’un envers l’autre. Du moins, pas de forts sentiments menant à une potentielle histoire d’amour mais, ils tenaient l’un à l’autre à un point incroyable. Elle était l’une de ses plus belles rencontres. Il l’adorait. « Si on est tous les deux célibataire à quarante ans passés, on se marie, d’accord ? » Elyna esquissa un sourire amusé. « Inoubliable et canon comme tu es, je doute que tu sois encore célibataire à quarante ans… mais, j’aime ton idée. Ça fait très séries, par contre. » « J’peux pas être original à chaque fois. » Puis, c’était sympa les clichés de temps en temps.

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