Trente ans. Seule. Célibataire et mère. Le constat matinal est cuisant alors que je me brûle la langue avec mon café. Cette journée s'annonce des plus merdiques. Déjà, ce sont ses parents les premières personnes que je vais devoir affronter lorsque j'irai récupérer Tobias en fin de matinée … Joyeux anniversaire Anna. Par habitude, je prends mes clefs afin de descendre chercher le courrier. Étrangement, lorsque je ferme ma porte, je crois entendre la sienne se fermer, de dos, je m'imagine même une ombre se faufiler dans les escaliers. Bon dieu, il est clair que j'en deviens folle à lier à trop vouloir le croiser. C'est d'un ridicule électrisant, et je me dirige vers les boites aux lettres un étage plus bas …

A présent assise chez moi, j'accuse le choc que ce papier glacé a engendré en moi. Sonnée, totalement. Dans mon entièreté frappée. Mes yeux accrochent les lignes manuscrites, ils lisent et relisent, sans cesse, depuis que j'ai ouvert l'enveloppe cachetée venant du Mexique. Je les ai usés, ils se sont abîmés comme s'ils avaient été écrits à la craie, malgré cela à chaque relecture, j'ai eu cette sensation intense que jamais je ne pourrai les oublier. Ils ont martelé mon cerveau, de leur force, de ses espoirs si certains. Je suis morte et vive. L'envie de le récupérer à moi, d'effacer ces derniers mois, ravivant la colère qui brûle dans mes veines. Je rumine, je ressasse son erreur et ce que peut signifier ces mots, les paroles que nous avons eu l'un envers l'autre depuis qu'il n'est plus dans ma vie, et mon aigreur. Je passe, par toutes les phases possibles et connues d'émotions, l'amour, la peur, la rancœur, la violence, me faisant trembler de toutes parts, tout ce que je peux ressentir à son égard. C'est pour tout cela que je traverse le couloir.

Comme je le suppose seul, en train de dormir encore c'est pour cette raison que mon doigt va s'écraser sur la sonnette que j'entends retentir de l'autre côté. Je compte les secondes, comme si le rebours venait de commencer, la goupille de la grenade arrachée. J'en ressens mon rythme cardiaque s'accroître, s'accélérer. Ca me transperce en tous points, ça s'amuse de ma peine, ça révèle mon chagrin. Je retiens mon souffle, au bord du gouffre. La porte est ouverte, presque je déserte. " T'as oublié ta... " Ah c'était donc ça, pas un fantôme qui était là avant moi, ça pique, crois moi. Mon regard se pose dans le sien, incertain. J'expire, j'ai mal, putain. De ma main libre je fends l'air et la distance qui me sépare de sa peau pour aller avec toute la véhémence du monde l'écraser sur sa joue dans un bruit sourd. Dans le tumulte de mes émotions, se trouve alors cette vérité perpétuelle, de cette gifle j'en ai eu envie, presque tous les jours depuis qu'il a outragé mon amour.  " J'crois pas l'avoir méritée celle-là. "  qu'il me dit tout en se caressant le visage afin d'effacer mon acte. Moi je me permets de penser qu'il en mérite encore une centaine du genre, pour toutes celles que je lui ai épargné le jour où j'ai constaté de sa lâcheté. Alors avec force – encore – je vais coller sur son torse la lettre à présent un peu froissée, tout en prononçant, plus que jamais énervée. « Merci pour la blague matinale. » J'en avais besoin franchement, ça parfait ma future journée. « J'étais hilare en lisant. » Mensonge forcément, mais ma confiance en lui a clairement foutue le camp.

Lorsque ses doigts s'aventurent à délier les miens du papier, une fois n'est pas coutume, j'en suis électrisée, mal à l'aise quand il est question d'être – par lui plus que par le monde – touchée. Je retire ma paume, et lui laisse le plaisir de comprendre ce dont il est question aujourd'hui. Ce qu'il a osé m'envoyer alors qu'il m'a tant abîmée. Qu'il continue à le faire en vivant sa vie tout en me donnant l'impression que je ne lui manque pas. J'avoue, difficilement, qu'à la vérité, je ne comprends pas. Des textos, une lettre, et puis quoi … Lorsque nous sommes l'un face à l'autre il n'y a rien, si ce n'est cet extrême dédain. " Ça t'a faite rire..." Pauvre con. Non, je ne l'ai pas fait, pas le moins du monde. Mais je me suis demandée à quel point tu avais eu l'envie de m'écorcher en le faisant. Alors que je peine toujours autant à me relever de notre histoire qui devient presque dépassée. Sauf que je vois que si j'ai su lire dans ton plus beau mensonge, tu ne parviens toujours pas à trouver la vérité dans les miens.

" Excuse-moi, " Là, par contre, je n'ai clairement pas de mal à entendre le fait qu'il ne s'excuse pas pour ce qu'il a fait, pour tous ces mois où son absence je n'ai pas su la combler. Puisqu'il froisse une bonne fois pour toute cette lettre en même temps que mon coeur déjà bien amoché. Ce n'est qu'un coup de plus, et grâce à toi, j'ai apprit à les gérer. Bravo, t'es devenu meilleur que mon père en tant que bourreau. " Sois rassurée. Je n't'importunerais plus avec çà. " Face à son sourire enclin à la fausseté, j'en bats de mes deux mains l'air, plus dépitée que dégoûtée. Tes mots, ils auraient eu plus d'impact si t'osais les prononcer. Ici et maintenant, je n'y vois que du vent. Par orgueil, je ne m'aventure pas à récupérer le papier, bien que mon âme hurle d'entre tout mes pores que je ne peux me résoudre à le voir le jeter.

J'en mords l'intérieur de mes joues, me contiens. « Ouais. » Ma langue s'aiguise sur mes dents, dire qu'il m'a accusée une fois de ne rien comprendre, mais clairement il est le plus simplet des deux, dans le domaine de l'affectueux. Je veux seulement qu'il le dise, qu'il essaie, qu'il ne retire rien de ce qu'il a pu coucher sur papier. « Je n'en attendais pas moins de ta part. » Toi ? Assumer ? J'avais oublié une seconde que si c'est un homme que j'aimais, c'est un dégonflé que j'ai quitté.  

Plongée dans la tourmente que provoque notre relation qui ne ressemble plus à rien, si ce n'est un naufrage certain, je manque de courage pour me décider à bouger, mais de la bravoure je n'en ai même pas lorsqu'il est question de sur lui, tirer un trait. Dans mon éducation on ne m'a jamais dit combien il est difficile d'aimer. S'il disait seulement qu'il pense ne serait-ce que la moitié de ce qu'il a pu écrire, je ne sais même pas quelle réaction j'aurai, peut-être qu'à nouveau je le frapperais. Bien que la première gifle ne m'ait pas tant aidée. Dans son silence, j'y vois le signe cuisant de mon errance. De cette perte de confiance.  « On en a terminé? » A l'évidence … Et il vaut mieux que je me tire maintenant plutôt que te donner encore plus le droit de te jouer de moi. De toutes les manières, il ne me laisse pas le temps de répondre, prend les devants, commence à clore cette porte à laquelle je doute pouvoir revenir un jour sonner.

Je suis en train d'étouffer lorsque je me retourne et que je me contiens pour ne pas exploser, j'ai l'envie et le besoin de hurler, de colère, de chagrin, d'une tristesse qui ne mène à rien, qui n'a pas de fin. " Anna." Pitié, tais-toi. Paralysée, je reste là, les bras ballants, d'un ridicule affligeant. " Dis-moi, juste par curiosité... Pourquoi être venue? J'veux dire, il te suffisait de m'ignorer et de la jeter après t'être marrée. " Je pensais pourtant que c'était d'un limpide cuisant. Parce que je t'aime encore, que ça me consume, que ça me dévore. Toujours en arrêt sur image, seules mes mains se décident à obéir à mes si contradictoires pensées, forçant sur ces dernières lorsqu'elles se referment sur elles-mêmes, mes ongles entrant dans mon propre chair, pour tenter d'atténuer les souffrances auxquelles mon être est exposé. Une respiration contrôlée, maîtrisée, tandis que je me refuse à lui faire face, sachant quel effet pourrait avoir son regard sur moi. Je souffle pour toute réponse … « Pour un flic, tu n'es pas très futé. » Peu importe, en fait, si la lettre était vraie, le truc c'est qu'il ne comprend pas ce que j'attends, et je sais finalement qu'il ne me le donnera pas. Même si le mot pardon pour moi est souvent mort, je suis usée par ses fausses tentatives, par son manque d'offensive. Bon dieu, c'est mon anniversaire, je n'ai pas besoin de ça. Cependant je touche ma propre corde sensible, réalisant que non, on en avait effectivement pas terminé. « Rends-la moi. » Pour preuve que même si on s'est foiré, on a été, ça me ferait encore plus mal de devoir l'effacer.  

Je ne l'ai jamais réellement ressenti, pourtant, je le jure, c'est l'effet que cela me fait. C'est comme une lame qu'on enfonce en mon intérieur, une torture, lancinante, qui se traîne en langueur, alors que je sais parfaitement reconnaître le bruit qui brise à présent le silence. Je me voudrai sans rêve, sans plus aucune espérance … Je me souhaiterai vide de sentiment, ne pas souffrir autant. Androïde en faveur d'un caractère stoïque que l'on m'a toujours inculqué. J'aimerai avoir la force de ne pas être touchée, de ne pas ressentir le moindre de mes membres aussi douloureusement. J'en hoche le visage, affaiblie, je n'aurai jamais du m'aventurer jusque chez lui. Croire que je pourrai obtenir de sa part un brin d'honnêteté, en face à face, assumé. Mais au lieu de cela, je me heurte une nouvelle fois à ma peine, à cette haine. Comment l'amour et cette dernière peuvent être aussi entremêlés ? Je promets que je ne reviendrai pas. Que j'ai comprit, cette fois. Il n'y a que du vent, entre lui et moi. Des émotions qui ne portent plus de nom, et des mensonges en suspend. Je n'ai pas rit en la lisant … Et j'ai encore moins envie de le faire à présent. Me laisse surprendre, subissant mon purgatoire, par son corps se rapprochant du mien. J'en serre encore plus mes poings. " Trente secondes." Laisse tomber. " Trente secondes en échange. " Pardon ? En échange d'une lettre déchirée ? De mon âme mortifiée ? C'est à y presque penser que le fait de me tromper n'était pas assez dans l'art de me faire crever. Comme s'il n'avait pas assez enfoncé le couteau dans la chair. Démontrer dans l'art de tuer son savoir faire …

Latentes, mes expirations mesurent le temps, s'étiolent pour reprendre, l'intime sensation que tout est lent. Trente secondes … Et je me perds dans mes réflexions, ne sachant pas à quoi elles correspondent. Et toujours sans me retourner, je jauge mes possibilités. Partir, tirer un trait, ne plus lui laisser le droit de m'atteindre de cette façon là. Attendre et rester, l'entendre sonner encore une fois le glas. J'en maudis mes instincts masochistes, mon amour frôlant maintenant le pathétisme, puisque je me décide en sa faveur, j'omets la raison, j’affaiblis mon coeur, au grès de ses erreurs. J'en relâche la pression de mes mains, commence à me retourner, lorsque je prononce un : « 29, » distinct. Prête à l'affronter encore … enfin. Quoi qu'il puisse en penser, même en copeaux, cette lettre, j'y tiens.  

C'est mon souffle qui marque le compte à rebours, et dans mon esprit tortueux les secondes défilent, sauf que malgré cela, je me mure dans un silence dans l'attente de son châtiment, tandis que je m'imagine de nombreux tourments. Concentrée sur ces chiffres qui s'étiolent dans mon mental, je me laisse surprendre par sa main qui vient effleurer la mienne, j'en frémis, ça me fait autant du bien que du mal … Sa main s'aventure encore, j'en réprime la naissance de tremblements, me noie dans son effleurement. Lorsque ses phalanges en viennent à trouver un chemin jusque dans mes cheveux, je me force dans une impassibilité prête à tout moment à craquer. Cette torture, je la voulais, je l'ai toujours voulu depuis que je le connais, qu'on a commencé à jouer. Seulement je me suis brûlée, ou plutôt il l'a fait, m'a positionnée sur un bûcher duquel je ne peux m'évader. " Anna. " Il n'en faut pas plus que ça ... pour que je perde finalement le compte, les numéros se mélangent, pire quand sur mon épaules se posent avec délicatesse les dites phalanges.

" Si je n'ai..." Chut, laisse moi, je ne souhaite qu'être délivrée de l'emprise que tu m'impose, chaque fois. " Jamais été très ouvert quant à mes... sentiments." Je trésaille, mon âme déraille, je perds cette funeste bataille. Une matinée entière – ou presque – à les lire, à les penser, à leur laisser le droit d'influer sur mes sentiments sur notre histoire passée, sur tout ce qu'on a traversé. Instant charnière, une seconde perdue, absolument tout m'indiffère. Tétanisée sur la fréquence Clay … " Crois-moi quand je te dis qu'il en est de même à cet instant " J'en ai clos mes paupières, par peur que trop rapidement elles s'emplissent, cèdent à mon envie irréductible de pleurer. J'étais au bord d'un gouffre et il vient de m'y précipiter. Je sombre, sans même aucune encombre. Je suis tellement perdue, que je n'ose même plus envisager de bouger. J'ai en moi cette peur, cette vérité, son erreur. Elle est encore plus cuisante que ses mots bien que le poids de ceux là semblent faire pencher une balance que je ne croyais pas possible de faire ne serait-ce qu'osciller. Je cherche ma colère dans mon manque de tendresse, craignant qu'elle dépérisse ma forteresse.

Il y a d'abord, ce battement, cet inclinaison, un ralentissement qui s'effile sur cette cadence réinventé, alors que mon visage embrasse le sien, joue contre joue, mes yeux toujours fermés, j'inspire lentement, j'emprisonne le temps, intensément vivant. Dans tous ce que je pourrai lui dire, lui cracher, et sûrement aussi lui murmurer, je me terre dans mon silence, écartelée entre mon envie de relever ma main et de lui dire une nouvelle fois de ne plus jamais me toucher … Seulement je ne fais rien, je subis, sans fin. Pèche en matière de courage, intérieurement, doucement, j'enrage. Étreins mon prochain naufrage. Je suis tellement en carence, de ta présence.