Lowell House, dernier étage. On est quelques uns a être coincés, à devoir se barricader dans une chambre avec du linge mouillé aux ouvertures pour étouffer la fumée. Ma gorge me brûle, j'ai mal au ventre, et surtout, j'suis tétanisée. J'ose pas envoyer de message à Lara, mes parents ne répondent pas, Kaya non plus, je sais même pas si elle est sortie. Et quand je vois qu'Eliot m'a envoyé un paquet de messages, la gorge nouée, je sais pas ce qui me prend, mais... J'appuie sur le bouton appeler, tout en me laissant glisser contre le mur le plus proche de la fenêtre.

Énième message sans réponse de Margot, et Eliot semblait perdre tout contrôle, l'inquiétude montant de plus en plus. Il ne pouvait pas s'empêcher, d'imaginer le pire alors qu'il suivait assidûment les avancements des événements par le biais d'applications sur son téléphone, en compagnie d'Orysia et compagnie. Ils blablataient sur les événements, spéculaient et Eliot se taisait, les ignorait, fixait son téléphone, attendait une simple putain de réponse pour montrer qu'elle était encore vivante. Puis un écran d'appel apparut sur son téléphone et il avait même pas fini de lire le nom de Margot qui s'affichait à l'écran, qu'il décrocha : Margot ? Margot, où est-ce que t'es ? Tu vas bien ? T'as rien ?

Putain sa voix. A peine la première tonalité se faisait entendre que j'entendais sa voix, teintée d'inquiétude, qui me demande si je vais bien, ou est ce que je suis. J'ai envie de fondre en larmes, de lui dire que je suis morte de peur, que je sais pas où en sont les secours. Mais j'peux pas lui faire ça. Je retiens mes sanglots, et j'prends la décision de lui mentir, inspirant pour répondre d'une voix que je voulais sans tremblements : « Je vais bien, Eliot, je .. » Je suspend ma phrase, d'autres sanglots remontent, et c'est la gorge nouée que je reprend ma phrase: « J'suis désolée de t'appeler, j'crois que j'avais juste besoin de t'entendre. »

Eliot lâcha un long soupir de soulagement lorsqu'il entendit sa voix, signe qu'elle était toujours vivante. Horrible à dire, mais il s'était tellement imaginé milles scénarios que juste entendre la confirmation qu'elle était vivante paraissait lui enlever un poids considérable du cœur. Elle va bien. Elle va bien ? Bien, bien, bien ? Margot, dis-moi que t'es dehors en sécurité s'il te plaît... Il la suppliait presque, ne souhaitant que l'imaginer entre de bonnes mains auprès des ambulanciers maintenant. Ne t'excuse jamais de m'appeler. Je suis soulagé d'entendre ta voix, si tu savais. Dis-moi juste que t'es en sécurité, s'il te plaît.

C'est la seule solution que j'aie, dans l'immédiat, lui mentir. Lui apporter un réconfort ne serait-ce que léger, l'aider à m'imaginer ailleurs que dans cet Enfer, prostrée dans cette chambre qui n'est même pas la mienne. Mais voilà qu'il me demande de lui dire que je suis en sécurité, que je suis dehors. Et si j'lui dit ça, je lui mens. « Eliot... » Je mord ma lèvre à sang, incapable de trouver les mots pour lui dire que non, ça ne va pas, que j'suis pas en sécurité, que j'suis morte de peur et que j'ai besoin de lui, là. Détourne le sujet, Margot. « Il se passe quoi où t'es? T'es en ville? » Change moi les idées, pense pas à moi.

Il l'entendait dire son prénom à l'autre bout du fil, et rien que ça lui donnait envie d'aller la voir, de la serrer dans ses bras pour confirmer qu'elle était hors de danger. S'il n'y avait pas eu cette foutue tempête, il y serait allé, sans réfléchir. Parce que pour l'instant, il n'en avait aucune, si ce n'est sa voix et sa présence, loin, là-bas. T'as pas répondu à ma question. Question ou supplication, du pareil au même, mais il voulait juste une simple confirmation. 'Oui je suis en sécurité, Eliot', rien d'autre. Mais au lieu de ça, elle dérivait sur une autre conversation, ce qui a eu le don de faire froncer les sourcils du Winthrop. Margot... Il s'en fichait royalement de ce qui se passait là où il était là, à vrai dire. Oui, je suis chez un ami, avec d'autres amis, il se passe pas grand chose. Dis-moi où t'es. Non, il n'abandonnait pas si facilement Eliot.

C'est trop dur, j'aurais pas du l'appeler. Je sais pas ce qui m'a pris, je crois que c'était une réaction typiquement égoïste de ma part, parce que tout le monde panique autour de moi, et moi, j'avais besoin d'être calmée. J'avais besoin de l'entendre, mais au final, tout ce que je fais, c'est accentuer son angoisse. J'suis putain d'égoïste. Et il lâche pas l'affaire, il relance sa question, inlassablement, n'ayant pas obtenu la satisfaction d'avoir ma réponse. « Je.. » Je suspend ma phrase en entendant des exclamations dans la maison, des bruits de pas, des gens qui ouvrent la fenêtre pour récupérer de l'air. Je tousse, me rendant à l'évidence: Je peux pas mentir. « Je suis à la Lowell. » Pleure pas, Margot. Reste calme, et tout ira bien.

Elle avait soigneusement évité de répondre et avait même changé de conversation, ce qui aurait dû faire tilt à Eliot. Ce qui fit tilt à Eliot. Il avait insisté, voulant obtenir une réponse claire nette et précise sur sa location, sur sa sécurité. Qu'il ne se ronge plus l'esprit de la savoir enfermée dans une maison en feu, en danger à chaque seconde. Il avait insisté et il avait bien raison parce qu'alors qu'elle s'apprêtait à répliquer quelque chose, des bruits de fond se firent entendre au téléphone et des bruits loin d'être rassurants. Inconsciemment, les battements de coeur d'Eliot reprirent de plus belle. Margot, qu'est-ce que c'ét... Mais il n'eut pas le temps de finir sa question qu'elle avoua enfin la vérité. Et son sang ne fit qu'un tour. A la Lowell ?? Dis-moi que c'est une blague, Margot ! Putain, t'es où ? Dis-moi où tu es précisément, s'il te plaît ! Il criait presque au téléphone maintenant, la panique refaisant surface.

Je suis incapable de mentir, de lui mentir. Il est pas dupe, et aux bruits derrière moi je suis rapidement contrainte de dévoiler la vérité à Eliot. Sa panique n'en est que décuplée, et à l'entendre crier ainsi dans le combiné, je me pelotonne dans un coin de la pièce, genoux contre ma poitrine. « J'suis au dernier étage, dans une chambre. On a bloqué les entrées de fumée. » J'essaye de garder un ton calme, de ne pas laisser transparaître la terreur que me file cette situation. « J'ai voulu descendre, Eliot, mais... Les marches se sont dérobées... » Je craque, un sanglot m'échappe, mais je reprend vite la parole pour rassurer le brun. « Je vais bien, j'suis pas blessée, du moins rien qui soit grave... »

Le moment de calme n'avait duré qu'un court instant parce qu'Eliot était redevenu aussi inquiet et paniqué qu'il y a cinq minutes maintenant qu'elle avait avoué être tout sauf en sécurité. Il se mordait la lèvre inférieure, se passait la main non stop dans les cheveux en signe de stress, s'était éloigné d'Elias et compagnie pour faire les cents pas dans le couloir et tenter de s'apaiser. A croire que c'était lui qui était pris entre les feux, alors que non. Il ne savait pas pourquoi il réagissait aussi extrêmement, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Et entendre la voix de Margot qui tendait à craquer à un moment ou à un autre alors qu'elle dévoilait tout, n'arrangeait rien. Et il ne pouvait rien faire. Alors il ne disait rien pendant un long moment, il soupirait, marchait, s'inquiétait, en silence. Puis : T'es toute seule ? Sa voix était rauque et il peinait difficilement à avaler sa salive. Un soupir. Tout va bien se passer Margot, je te le promets. Murmurai-t-il ensuite, lorsqu'il entendit un sanglot, prenant conscience qu'elle devait être encore plus apeurée que lui.