Noah le diplomate. C’est vrai que c’est plutôt risible. Moi qui suis incapable de décoller deux mots aux personnes que je ne connais pas, qui monte tout le temps sur mes grands chevaux et part sans arrêt au quart de tour … j’espère que le Pays-Bas s’attend à connaitre mille et unes guerres. Et tout à coup, quand Ivy semble interloquée par mes révélations sur mon avenir, je me sens envahis par un étrange vertige. Rien dans ma vie ne me ressemble, pas même l’histoire qu’on m’a écrite pour mes vieux jours. En fait, tout n’est qu’une putain de mascarade, je passe mon temps en faux-semblants, à attendre … je ne sais pas trop quoi. Peut-être que ça se tasse, que ça se casse, que ça se termine et que je m’épuise enfin six pieds sous terre. Bien trop moroses comme pensées pour un soir comme celui-ci, alors d’un haussement d’épaule résigné, je poursuis : « Que je sois ok ou pas, ça ne compte pas vraiment dans mon milieu, encore moins pour mon père … ». Je lève les yeux vers elle et feint un sourire assez mélancolique, histoire de détendre l’atmosphère : « Au moins, ça m’aura appris le français, et rien que pour les yeux épatés que t’avais il y a deux secondes, ça valait le coup », riant légèrement, la taquinant clairement d’un petit coup d’épaule sur son épaule. Mes mains jointes sur ma bière, mes yeux tantôt sur son visage, tantôt sur le sable et l’océan, je me perds un peu dans nos confessions. C’est étrange, comme s’il y avait un truc qui fonctionnait bien dans notre relation, une sorte de pré-amitié inavouée. En fait … je crois qu’on se ressemble elle moi. Deux cons trop gentils dans le fond, ce qui les rend encore plus cons : « Et on aime la bière », finis-je par ajouter en levant ma bouteille dans sa direction avant d’en boire quelques gorgées. Mes yeux pendus à l’océan, j’écoute la suite de son propos, un brin culpabilisant. Ouai, elle est vraiment gentille Ivy, et elle est entrain de m’avouer qu’elle me laisse une seconde chance. Et moi … moi j’ai un peu fais le con avec son téléphone. J’élague, évite le sujet, cache mes lèvres qui se pincent en un geste de crispation : « Moi j’ai pour règle de toujours décevoir les gens en premier. Une fois qu’ils sont déçus, ils ne s’attendent plus à rien … c’est à ce moment là que je peux les surprendre ». Une manière bien conne de se protéger de l’abandon, j’ai tellement peur d’être rejeté par les autres que je suis obligé d’être un connard. Au moins ça les fait fuir, au moins je ne m’attache pas dans le vent. Et on se détend par un puéril je n’ai jamais tandis que ma nouvelle affirmation semble la choquer. Eclatant de rire, manquant de m’étouffer avec la bière que j’ai dans la bouche, j’hausse les épaules : « Bah quoi ? Et je peux te dire qu’elles sont vraiment vraiment très appétissantes », j’enchéris comme un gros lourd avant de calmer mon rire et d’écouter sa prochaine affirmation. Et elle boit aussitôt. Pas de réaction subite. Je baisse le regard un instant, avant de le relever vers l’océan : « ça ne va sans doute pas te surprendre, mais en réalité, je n’ai jamais vraiment été en couple … alors, instinctivement, je dirais non, mais … ça serait mentir. On n’a pas besoin d’être en couple pour tromper, et je crois que ce que j’ai fais est pire … J’ai trahis la fille dont je suis amoureux, donc … ». Et je baisse mes yeux vers mon entre-jambe. Sage, Méline. Puis cette histoire avec Wade et Ivy. Tout me revient à la gueule comme un boomerang. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir été à la messe tous les dimanches de ma vie, mais je sens la pression dans mon estomac et le besoin de me libérer de quelques fardeaux. Je finis par boire ma bière cul sec, tend mes jambes, et tourne ma tête vers Ivy : « Pouce, Ivy. Je … dois te parler d’un truc ».

M’demandez pas pourquoi ça match autant, pourquoi quand je suis avec cette blonde j’arrive à déconner, à parler, à me livrer et me délivrer, j’saurais pas répondre. Peut-être qu’il y a un truc chez elle qui fait que malgré moi j’me sens en confiance, peut-être que c’est juste la situation, la bière, le fait qu’on soit visiblement l’un et l’autre mal dans nos vies. Je n’en sais rien. Mais le fait est que … ça fait du bien. Ne lui dîtes pas, mais, j’sais pas … j’crois que je suis entrain de vraiment l’apprécier. J’veux dire, depuis le début je lui parle dans l’unique but de récolter des informations sur Wade, comme j’ai fait avec son téléphone. Mais il semblerait là que je me fasse prendre à mon propre jeu, elle me fait rire, elle me fait vraiment rire et je n’ai même pas besoin de me forcer pour passer une bonne soirée. Bordel, dans quelle merde j’me suis encore fourré. J’me mets à culpabiliser vitesse grand v de ce que j’ai fais avec son téléphone, et ça me fait chier parce que tout lui dire c’est prendre le risque d’être rejeté alors …. Alors que j’commence enfin à admettre l’idée que j’aime bien me marrer avec elle. Et voilà que le grand imbécile de Noah d’Aremberg ouvre son cœur à une presque parfaite inconnue, lui parlant de choses dont il n’a jamais parlé. J’ai presque honte, j’suis presque gênée, je n’ose même pas la regarder quand elle me donne des conseils, les yeux baissés sur mon entrejambe, mes mains jointes autour du goulot de ma bière. Et mon système de défense naturelle reprend le dessus : « Ce que ça fait de quoi ? D’être amoureux à en perdre la tête ? », dis-je en relevant les yeux vers elle. C’que ça me ferait chier qu’elle me dise « oui, j’suis dingue de Wade ». J’ai envie de vomir à cette seule pensée. Et j’élague, évite, me lance en confession. Parce que de toute évidence, je ne peux plus lui cacher ce que j’ai fais. Tant pis si je prends le risque de la perdre, je ne peux … juste pas mentir aux gens que j’apprécie, c’est plus fort que moi : « Prends pas tes rêves pour la réalité ! », répondis-je feignant la plaisanterie, la taquinant légèrement. Mes mains enfoncées dans le sable, mes jambes tendues devant moi, je tourne le visage vers elle : « C’est … », je relève les mains, les dépoussière devant moi, et tente de poursuivre : « Je savais qui t’étais avant le SC. Je connais Wade. Et dire qu’on se déteste lui et moi, c’est un euphémisme …. ». J’appréhende sa déception, son regard noir, ses reproches, mais je soutiens le regard. Parce que c’est comme ça qu’on assume : « J’avais dans l’idée de lui faire payer une crasse qu’il m’a fait. Et pendant la soirée sur le bateau, j’ai piqué ton téléphone pour rassembler vos textos … ». Ma main frotte mon menton, je reprends : « S’tu veux, j’avais organisé une soirée d’anniversaire pour un ami, Wade a débarqué alors qu’il n’était pas invité. Les flics ont débarqué à leur tour, une longue histoire, j’ai finit au poste et tout. Et le lendemain le directeur de l’hotel m’a assez méchamment demandé de quitter les lieux. La seule manière pour moi de rester au SC était de trouver un bouc émissaire, quelqu’un qui se dénonce à ma place pour la soirée. J’voulais vraiment pas partir, surtout que la fille dont j’suis amoureux est ici … Alors, avec tes sms, j’ai fait chanter Wade … J’lui ai dis de se dénoncer à ma place et qu’en échange je ne parlerais à personne de vos petits secrets. Il n’avait rien à perdre, dans tous les cas il retournait à Cambridge avec sa copine …. ». J’hausse les épaules en me mordillant la lèvre inférieure : « Enfin … voilà … j’suis désolé que ça soit tombé sur toi, vraiment … ».