Je ne lâcherais pas cet enfoiré de Wade. Qu’importe que les gens disent qu’il s’agit d’une obsession, que je suis jaloux ou envieux. Je n’en ai strictement rien à faire. Tout ce que je sais, c’est que ce mec matérialise absolument tout ce que je méprise et déteste dans ce monde : l’infidélité d’un père envers sa famille, puisqu’il n’est qu’un putain de bâtard, la fausse modestie, la lâcheté, la mauvaise fois et l’arrogance déplaceé. Bref, tout ce qui me donne envie de cogner dedans. Alors, entre la Mather Party, son attitude avec Sage, la Cole-Girls, et par principe, évidemment que je n’allais pas lâcher l’affaire. Ce mec est un con, je l’ai désigné ennemi numéro 1, ce n’est pas pour me tourner les pouces pendant qu’il se tire d’affaire sans arrêt avec son sourire médiocre. Même là, quand je le menaçais au téléphone de révéler ses frasques, il continuait de me prendre de haut. Qu’importe. Comme aux échecs, je préparais mes coups à l’avance. Et je savais que Cole détestait suffisamment ce mec pour lui en faire baver de son côté aussi. Moi, j’allais me contenter de la jouer fine. Quand j’ai une cible en vue, je n’aime pas faire de dommages collatéraux. Me servir d’Ivy stricto sensu ce serait … mal. Et même si je fais des choses aux finalités douteuses, je n’aime pas me servir des gens qui n’ont rien demandé à personne, qui se retrouvent juste au mauvais endroit, au mauvais moment. Même si elle m’agace avec ses réflexions incessantes (faut dire que je les mérite vu comment je joue les lourds avec elle), je n’ai pas envie de la blesser gratuitement. Tout ce que je veux, c’est obtenir de quoi faire chanter et humilier Wade. Alors, j’envoyais un texto à Ivy, l’invitant à me rejoindre sur la plage : « Allez, je sais que t’as envie d’arrêter tout ce que t’es entrain de faire pour rejoindre le gentil Noah sur la plage et boire des bières avec lui ». Preuve à l’appuie, je lui envoyais une photo du pack dans ma main.  

Et je souris, satisfait, une fois que le message est envoyé est qu’un « lu » apparait. Elle ne me répond pas, mais ce n’est pas grave. J’insisterais jusqu’à ce qu’elle se décide. Je m’assois vers l’entrée de la plage, face à l’océan, le pack de bière entre mes jambes écartées. J’enlève une chaussure, une chaussette, puis l’autre, et encore l’autre, avant d’enfoncer mes pieds dans le sable et de parcourir des yeux la plage et les différents groupes de jeune installés. Pas très loin, il y a une bande de cinq personnes avec un mec qui joue de la guitare, un autre qui s’amuse à faire des percussions sur un cubi de rosé, et les autres qui ne l’écoutent qu’à moitié. J’ai presque envie de la lui piquer et de me mettre à jouer. Inutile de préciser que j’adore la musique. C’est même ma principale activité, écouter, imiter. Grand fan de Radiohead, Arctic Monkeys, les Cure et aussi les Sex Pistols et tout le mouvement punk en général, je me sens … apaisé, léger, quand je laisse les notes caresser mes tempes. Il y  a cette théorie géniale, la musique des sphères, selon laquelle tout dans l’univers s’ordonnerait en une mélodie. Même dans la religion indou, ils parlent d’un ohm originel. Je ne sais pas pourquoi ça m’intéresse, pourquoi je suis à ce point amoureux de la musique mais c’est comme ça. Je souris quand le mec s’arrête de jouer et au même moment, des jambes féminines apparaissent à côté de moi. Ivy. Ha, je suis obligé de reprendre mes airs de petit con, me montrer aimable ? Jamais. Alors, je la laisse s’installer à côté de moi avant de répondre en un sourire sarcastique : « C’est toi qui me fait cet effet Ivy ». Et le mec se met à jouer ça . Je tourne le visage dans sa direction, m’amuse à fredonner le refrain amusé, avant de me re concentrer sur Ivy : « Je trouve ça assez dommage qu’on ne se soit jamais retrouvé en tête à tête tout les deux », faussement mielleux, la taquinant clairement, j’ouvre le pack de bière et lui en tend une : « T’as de la chance d’être arrivée aussi vite, elles sont encore fraîche ». Ouai, elle n’allait pas ouvrir sa bière toute seule, alors je me rétracte, la lui ouvre avec un briquet avant de la lui rendre, m’en ouvrant une à mon tour. Que je lui tends pour trinquer : « A notre amour indéfectible », haussement de sourcil provocateur, sourire narquois sur les lèvres.

Ouuuuh je crois que mes piques rébarbatives et mon insolence exacerbée viennent endiguer l’inimitié qu’elle me porte. Mais je n’y peux rien, c’est ma façon d’être, arrogant, chattemite, insolent,  surtout quand j’ai quelqu’un dans le viseur. Alors, j’esquisse un rire quand elle s’offusque de mes fausses avances. Un tête à tête ? Bien sûre que non, j’avais juste envie de profiter un peu de l’agora estivale, le sable, le bruit des vagues qui s’échouent sur la grève et l’ambiance bon enfant générale : « Cesses de jouer les agélastes Ivy, où est ton sens de l'humour ? Détends-toi ! Et de toute façon, tu n’es pas vraiment à mon goût», pique sarcastique cette fois, la tête à peine baissée, le sourcil haussé, le sourire narquois. Avant de reprendre d’une voix taciturne, faisant presque roucouler mes amygdales : « Et puis, je ne suis pas le genre de sacripant à se contenter d’une bière sur la plage quand je veux charmer une fille ». Je résorbais un peu ma lourdeur, juste un peu. Parce que je sentais que j’arrivais au point de rupture, et en vrai de vrai, je n’avais pas envie qu’elle parte.  Loin de rendre grâce à l’abstème et la sobriété, je lui tends la première d’une longue série de bières en espérant que ça rendra sa conversation plus prolifique. Oui, dans le fond, je suis toujours à l’affut de quelques révélations concernant le mother wader. Et puis même, boire la rendrait sans doute moins voltaïque. Je la regarde avaler sa longue gorgée, les yeux écarquillés de surprise, l’air abasourdi. Et bien, on dirait que c’est tout ce dont elle avait besoin. Je réussis à la faire trinquer, et me fige un instant quand elle me lance sa tirade. Je l’agace ? Un truisme, Monsieur de Lapalisse en aurait dit autant, tant ma lourdeur assomme le peu de sympathie qu’elle pouvait me témoigner. Et je cesse de sourire hypocrite, dérouté par ses raisonnements abscons : « Arrête d’être aussi irascible, c’était pour rire ! », remuant les mains au ciel, frénétiques, comme un pantomime grossier qui jouerait l’ahurie offusqué. Je finis par baisser les bras, hausse les épaules, et les entourent autour de mes genoux repliés, ma bière au bout des doigts, mes pieds enfoncés dans la sable. Avant de planter mes yeux dans le décor d’en face. L’océan noir et le ciel éclairé. J’écoute d’une oreille les saltimbanques qui changent de répertoire et passent à des rythmes plus reggae, regagnant mon sourire léger. Et d’une voix plus calme, d’un air moins sur joué, je tourne le visage vers Ivy désignant sa guitare d’un signe de tête : « Je peux essayer ? ». Si j’avais été vraiment con, je l’aurais pris sans demander. Mais je respecte trop les musiciens et leurs instruments pour me permettre un tel flegme. Et j’ajoutais en suivant : « Tu joue depuis combien de temps ? ».  

Elle me repousse franchement, c’est presque mignon, surtout quand elle dit qu’elle serait devenue lesbienne à la seconde. Ah, je me suis trompée, elle a de l’humour, elle me fait même rire. Et remarquant que je l’agace un peu plus qu’à la normal, qu’elle est peut-être plus énervée que d’habitude, va savoir pourquoi, je radoucis le ton, essaye de me montrer … un peu plus naturelle avec elle. Je lui demande de me prêter sa guitare, elle a l’air d’hésiter, mais finit par me la donner. Je souris en acquiesçant, je sais quel rapport émotionnel on peut avoir avec ce genre d’instrument : « Ne t’inquiète pas, je ne suis pas qu’une brute épaisse », me moquant gentiment de moi-même, j’installe la guitare entre mes bras comme on allonge une fille. J’ai toujours donné des prénoms à mes guitares, la dernière s’appelait Lola. Je ne sais pas, je trouve que cet instrument a quelque chose de spécial. A la fois très facile et très compliqué, une propension à l’évolution immense. Il n’exclue personne dès lors qu’on travaille, et cette mentalité me plait. Je me mets à jouer quelques notes pincées histoire de m’accoutumer à son acoustique et dans le même temps lui demande depuis quand elle joue. Dix ans, c’est pas mal, elle doit être vraiment doué : « Mmmh … depuis mes seize ans je crois. J’ai commencé par le violon, puis le violoncelle, mes parents sont très branchés musiques classiques. Ils voient la guitare comme un instrument … pauvre, trop ordinaire. J’ai eu le droit d’y jouer grâce à ma crise d’adolescence », dis-je en riant légèrement, tandis que ma main gauche s’alignait sur un premier accord : « Et à Thom Yorke. Mon père a finit par céder quand je lui ai fait écouter l’album Ok Computer. Il a dit que ce n’était plus si laid, alors... », haussement d’épaule bref. Et je me met à jouer.  Une brève minute seulement avant de reprendre : « Tu écoute quel genre de musique ? Quels groupes, quels compositeurs ? ». Et je lui rends sa guitare délicatement avant de rattraper ma bière que je bois.

Quel dommage qu’elles soient une amie, amante, on ne sait pas trop, de Wade. Dans d’autres circonstances, on aurait pu devenir bons potes je pense. Enfin, si tant est que je calme mes ardeurs et qu’elle finisse par supporter l’insupportable Noah. Gentiment, elle m’accorde le privilège de sa guitare et je me mets à pincer les cordes histoires de m’accoutumer à l’acoustique. Et je me mets à sourire sincèrement, les yeux dans le vide, concentré sur les cordes, quand elle me dit qu’elle n’imaginait pas ça de moi. C’est vrai, je ne respire pas le mec cultivé où sensible aux instruments tel que le violon et le violoncelle. Et pourtant, je suis un fan inconditionnel d’Adam Hurst, de Rostropovitch et d’Alexandre Kniazev. Mes parents ont toujours écouté de la musique classique, c’est comme ça, probablement un truc élitiste mais il n’empêche que c’est beau. Quoiqu’on en dise c’est beau. Batteur, j’aurais peut-être pu. Quoique je préfère largement la mélodie d’une corde que le rythme effréné des percussions. En fait, je préfère flotter sur la musique plutôt que de la soutenir, comme le fait un batteur ou un bassiste : « Je t’ai dis, je ne suis pas qu’une brute épaisse. Et même si c’est surprenant, j’ai appris à aimer la douceur ». Je lui rends sa guitare et l’écoute me parler de ce qu’elle aime dans cet instrument. Ouai, elle marque des points Ivy, en fait, quand on prend le temps de la connaitre, c’est quelqu’un de plutôt sensible et intéressant. Je replis mes genoux et pose mes avant bras dessus tandis que ma tête est tournée vers la jeune fille : « Si t’es amis te trahissent, c’est que de base, ce n’étaient pas vraiment des amis », surpris par cette révélation, j’enchaîne : « Mais je comprends ton ressentis. Tu envisage la guitare comme une meilleure amie, moi je les vois comme les plus belles des amantes », et je lève les mains comme pour prévenir une moquerie : « En tout bien tout honneur ! ». J’attrape ma bière et bois une longue gorgée manquant de m’étouffer quand elle cite les groupes qu’elle aime : « Sérieux ?! », et je m’essuie la bouche, plein d’entrain, presque exalté : « Mas j’adore les Cure ! Regarde », et je tourne mon bras, lui montrant un de mes tatouages au dessus du coude où il est écrit « Boys don’t cry ». Je me repositionne et reprend : « Et Roméo et Juliette de The Killers, je crois que c’est une des plus belles chansons que j’ai entendu. Juliet, when we made love, you used to cry. C’est juste … trop, beau ! ». Parlant avec mes mains comme un passionné. Et je fronce les sourcils quand je l’entends continuer en français. Elle n’a même pas d’accent, c’est bizarre. Ça me plait. Ce dont elle me parle me plait. Alors, je me mets à dire en français, avec un accent tout de même bien marqué : « Bien sûre nous eûmes des orages, vingt ans d’amour c’est l’amour fol, mille fois tu pris ton bagage, mille fois je pris mon envol », et je baisse les yeux. Presque timidement. Presque gêné. Je ne suis pas sûre d’aimer qu’on voie ma sensibilité mais … tant pis, je crois que ce moment s’y prête : « J’adore Brel … », dis-je doucement, d’une voix presque éteinte. Et comme je commençais à être vraiment gêné, à son « et toi », je finissais par tendre mes jambes croisées dans le sable, appuyé sur mes mains, essayant de reprendre mon assurance : « Il y a plein de choses que j’aime, ça peut aller de Radiohead, Velvet Underground, ou les Doors, à des choses plus jazz comme Melody Gardot, à du classique comme Vivaldi, Wagner ou Max Richter, à de la nouvelle chanson française comme Beaupain. Tant que c’est bien fait, j’aime bien ». Et je me livrais trop. Un peu trop. Alors me redressant, attrapant ma bière, je lançais : « Bon ! ». J’avalais quelques gorgées de ma bière avant de dire : « Je n’ai jamais écouté Tokyo Hotel », l’invitant subtilement à jouer au jeu de je ne jamais.