Ma mâchoire se crispa en entendant les mots de ma soeur, me rappelant de la discussion que nous avions eue au téléphone quand elle m'avait appris la nouvelle. Je voyais le visage de Briony se décomposer alors que moi, j'avais juste envie de m'en aller. Tout ça me mettait sur les nerfs, plus que de raison. Le fait était que je refusais toutes les émotions qui m'envahissaient pour ne retenir qu'une chose: la désinvolture. Mon père allait mourir, ok. Et alors ? Comme si j'en avais quelque chose à foutre, alors que lui avais passé sa vie à pourrir celle des autres et ne penser qu'à lui. Je n'avais pas l'empathie de ma soeur, ni son humanité. Je n'avais jamais compris pourquoi elle s'était entêtée à garder notre père avec elle alors qu'elle aurait pu l'envoyer en maison de retraite pour ne plus en entendre parler. Et pourtant, elle en avait bavé à cause de lui, peut-être même plus que moi. Alors pourquoi est-ce qu'elle s'entêtait ainsi ? Je vis Briony attraper la main de Joan et je me détournais de cette scène, attrapant mon verre pour le vider d'une traite. J'avais envie de fumer. De partir loin d'ici, du regard lourd de sens que Briony posait sur moi. Wade, tu devrais aller lui parler. Tiens, je m'y était attendue à celle-là. Pourtant même si j'aurais mis ma main à couper que Briony irait dans le sens de ma soeur, ça n'empêchait pas que ça m'énervait encore plus. Je soupirais d'énervement, sentant ma patience mise à rude épreuve. Cette discussion pourrait peut être permettre de cloturer toutes les conversations que vous n'avez jamais fini, qu'il n'y ait pu de non-dits. Tu le détestes, je le sais. Mais il reste ton père et tu.. tu.. peux pas le laisser partir comme ça, dans l'indifférence totale. Ses mots me piquèrent au vif, et je me tournais vivement vers elle, sourcils froncés. Ya rien à clôturer, j'ai rien à lui dire répondis-je sèchement. J'ai vécu dans son indifférence totale depuis ma naissance, et maintenant qu'il va crever je devrais aller lui parler ? J'en ai rien à foutre dis-je durement. Je pensais à plein de choses, à mon enfance qui resurgissait d'un coup dans mon esprit. A ma mère qui était morte sans pouvoir être soignée parce qu'on avait plus un rond. A cause de lui. A mon enfance pourrie de délinquant et aux vols que j'avais fait, à cause de lui. A cet homme qui était mort à cause de moi... Je devenais fou. Wade.. commença Joan, l'air inquiet. Si tu n'y vas pas, tu le regretteras.

Son père allait partir rejoindre les anges au ciel, au sens littéral du terme. Après est-ce qu'il était vraiment angélique, je me doutais que non après tout ce que Wade avait pu me raconter. Mais néanmoins, on ne pouvait pas faire comme si c'était quelque chose d'ordinaire qui était en train de se passer. Ca me tuait, sans mauvais jeu de mot, que mon copain refuse d'aller le voir une dernière fois, pour fermer le chapitre de sa vie. Je ne comprenais vraiment pas et je pense surtout que je n'arrivais pas à être assez objective, pensant plutôt à ma position et à moi qui aurait voulu dire quelques mots à mon père avant qu'il ne meure dans un accident de gaz chez moi. Mais c'est un autre soucis ça. Il fallait que je tente de rester sobre, de ne pas laisser mes émotions empiéter sur mon discours envers Wade. Je me doutais que sa soeur avait déjà tout fait pour le convaincre d'aller voir leur père mais elle n'était pas moi je suppose. Je savais que j'avais un pouvoir particulier sur le mather, je savais qu'il pouvait m'écouter et aller dans mon sens si je choisissais bien mes mots. Fallait que je fasse ça bien, je sentais déjà la pression. Je jouais gros, je le savais. Ya rien à clôturer, j'ai rien à lui dire Le ton qu'il employait ne me laissait pas de marbre et je tentais de le garder pour moi, de ne pas le prendre personnellement en fait. J'ai vécu dans son indifférence totale depuis ma naissance, et maintenant qu'il va crever je devrais aller lui parler ? J'en ai rien à foutre Il en avait pas rien à foutre. Il aurait évité cet endroit sinon, il aurait attendu que son père parte et puis voilà, tant pis pour Joan. Il savait qu'en m'amenait ici il aurait le droit à cette discussion. Il voulait qu'on le pousse. Wade.. Si tu n'y vas pas, tu le regretteras. Je soupirais aux paroles de la grande soeur. Je posais ma main doucement sur celle de Wade, appuyant légèrement dessus. J'étais là. T'en as pas rien à foutre. Il reste ton père. Il aura beau réussi à se construire tout seul, dans la douleur, il avait besoin de son père. Il allait devenir orphelin, il pouvait pas l'accepter ainsi. Je peux venir avec toi si tu veux. Je savais pas quoi dire. Tu peux me présenter, tu peux présenter notre bébé, lui montrer que t'as réussi à avoir une famille, à la construire et lui promettre que tu ne feras pas les mêmes erreurs que lui. Wade ne sera pas comme son père c'est certain. Et pardonnes lui Wade. Je sais que j'te demande beaucoup.. mais détester quelqu'un, ça prend beaucoup de temps et d'énergie. Pardonnes lui et tu te sentiras mieux, au dessus de tout ça. Tu pourras prendre un nouveau départ.. avec moi. Avec nous.

Mes nerfs et ma colère faisaient se contracter ma mâchoire et serrer mes poings, alors que je tentais de me contrôler. Je ne voulais pas rester ici. Je voulais m'en aller, loin. Fuir cet endroit et ces regards qui se portaient sur moi, cette espèce de compassion mêlée à la pitié de me voir aussi virulent vis à vis de mon père, même à la veille de sa mort. Je gardais les yeux détournés, essayant de me calmer tant bien que mal. Parce que je ne voulais pas leur imposer ça. Je sentais la main de Briony se poser sur la mienne, et je frissonnais légèrement, peu habitué à ce contact ces derniers temps. T'en as pas rien à foutre. Il reste ton père. Et qu'est-ce que ça représentait pour moi ? Mon père n'avait été qu'un parasite dans ma vie. Par le passé, j'avais cherché un souvenir, un moment, quelque chose que j'aurais pu avoir partagé avec mon père, une petite lueur d'espoir parmi tout le dégoût qu'il m'inspirait. Mais je n'avais rien trouvé. Le concept de "père" tel qu'on le voyait dans notre société restait flou pour moi, ce n'était qu'un mot, rien de plus. Et c'était encore plus le cas depuis que j'avais appris qu'il n'était pas mon vrai père. Mon regard se tourna lentement vers Briony, et je la voyais chez elle, cette lueur dans ses yeux. Son père avait dû tellement l'aimer. C'était cruel qu'elle l'ait perdu de cette manière. La vie était cruelle. Je peux venir avec toi si tu veux. Tu peux me présenter, tu peux présenter notre bébé, lui montrer que t'as réussi à avoir une famille, à la construire et lui promettre que tu ne feras pas les mêmes erreurs que lui. Je soupirai à ses mots parce qu'au fond, je savais que j'étais en train de céder. Pas parce que je voulais me prouver quoi que se soit, ou lui prouver quelque chose. Mais parce que je devais le faire pour Briony. Même si j'étais convaincu que tout ça ne servirait à rien. Je me crispais à nouveau en l'entendant parler de pardon, bien que les mots qu'elle employait me touchaient après les événements récents. Je peux pas. Je peux pas lui pardonner dis-je presque dans un murmure. Tout était de sa faute. Je le haïssais tellement. Si j'y vais.. c'est pour toi ajoutai-je néanmoins en soupirant, regrettant déjà ma décision. Du coin de l’œil, je vis le mince sourire de ma soeur. Toutes deux nourrissaient bien trop d'espoir dans tout ça.