C’était une journée absolument comme les autres, à la différence près que je n’avais absolument aucune envie de sortir du chalet. Heureusement, j’avais amené mon ordinateur portable avec moi et les chalets étaient dotés d’une wifi gratuite, alors j’en profitais ! C’est vrai, toute l’année, je n’avais pas une minute à moi entre les cours, les révisions, les stages en hôpital et depuis tout récemment, Roxanna. Alors je profitais de ce petit moment pour moi, même si le beau temps dehors aurait dû me donner envie de sortir dehors et de profiter du soleil, ça n’était pas du tout le cas. Les garçons avec qui je partageais la chambre venaient et repartaient toute la journée pendant que je regardais un film ou alors que je me mettais à l’avance sur le programme de l’année prochaine à la fac. Il était presque dix-neuf heures quand quelqu’un commença à toquer à la porte, de manière plutôt violente. De plus en plus violente même. Je fronçais les sourcils et je posais mon ordinateur sur mon lit avant de me lever et d’aller vers la porte pour l’ouvrir, laissant découvrir Roxanna, face à moi, qui était dans un état pas croyable. Je revoyais l’expression sur son visage que j’avais déjà vu une seule fois : lorsque nous étions en Arizona, ce qui ne me rassura pas tellement. Je n’eus même pas le temps de lui poser de question qu’elle me sauta dessus, agrippant mon t-shirt alors qu’elle se logeait dans mes bras, étouffant plusieurs sanglots. « Jude ... Billie .. Elle est ... » Je fronçais les sourcils et je la gardais contre moi, fermant la porte d’entrée derrière elle. Je me pinçais la lèvre, et mon pouls s’accélérait, j’avais peur de ce qu’elle comptait m’annoncer. « Chut…calme-toi chérie… », murmurais-je doucement avant de reculer un peu, gardant Roxanna contre moi. Je me reculais un peu pour la regarder, découvrant son visage complètement meurtri par les larmes, « Respire un grand coup… »

Dès que j’avais vu le visage de Roxanna en ouvrant la porte, j’avais compris que quelque chose de grave c’était passé. Je dois avouer que je n’avais pas beaucoup parlé à Billie depuis la greffe, mais c’était toujours comme ça entre nous : pendant une semaine nous pouvions nous voir sans arrêt, et arrêter de se donner de nouvelles quelques semaines. Mais ce qui était sûr, c’est que nous n’avions jamais perdu contact, surtout que depuis son don, nous étions liés à jamais. Il était impossible de calmer Roxanna, celle-ci pleurait à chaudes larmes et ne pouvait pas s’arrêter, même si j’essayais d’être le plus calme possible pour essayer de la rassurer. Malheureusement, tout ça ne servait strictement à rien et je commençais à comprendre que plus rien ne pouvait changer ce qui c’était passé et qui mettait ma fiancée dans un état pareil. « La police de Boston vient d'appeler ... » Je fronçais les sourcils et je regardais Roxanna qui tentait tant bien que mal de prononcer deux mots censés l’un derrière l’autre. « Sa mère s'est échappée de prison, et l'a trouvée ... » Je sentais mon cœur battre de nouveau de plus en plus vite, tellement que je pouvais l’entendre se claquer contre ma poitrine. La jeune femme se recula un peu pour caller son dos contre la porte derrière elle. Je redoutais la suite, qui arriva d’un coup, à la vitesse d’une claque en pleine figure. « Elle l'a tuée ... » Deuxième claque, qui fut encore plus violente. Une grosse boule se forma au niveau de mon estomac, j’étais tiraillé entre l’envie de lui répéter, et celle d’accepter la vérité. Des milliards de questions fusaient dans mon esprit, mais les pleurs de Roxanna m’empêchaient de penser. Je regardais Roxanna se laisser glisser contre la porte jusqu’au sol et mes yeux furent en un quart de secondes voilés de larmes. Je déglutis, sentant mes mains presque trembler. Billie, cette fille géniale qui avait su me donner le sourire dans des situations terribles, qui m’avait aidée à arrêter la drogue et qui m’avait sauvée la vie un mois plus tôt. Ça n’était pas possible, pas elle aussi. Je fermais les yeux, me mettant doucement à croupie face à Roxanna avant de les ouvrir à nouveau, demandant la voix tremblante, « Tu…comment…comment ils peuvent être sûrs que c’est elle… ? Ils…ils se sont peut-être trompés… » Je déglutis, laissant couler les larmes sur mes joues. Si je n’avais pas pleuré tout de suite ou en public pour mon père, ma mère et mon fils, cette fois, je laissais tout paraître. « …elle était censée être ici, comment elle a pu se retrouver à Boston ?! », lançais-je en criant presque. Je passais mes mains sur mon visage avant de me relever, attrapant mon téléphone dans ma poche, « Ils se sont trompés…c’est…impossible, impossible… », lançais-je nerveusement en cherchant le nom de Billie dans mes contacts pour essayer de l’appeler vérifier que tout ceci n’était qu’un mauvais canular ou tout simplement une erreur.

C’était impossible dans mon esprit. Boston…Boston, c’était loin d’ici. Pourquoi aurait-elle été à Boston ? Pendant quelques secondes, je me demandais quand est-ce que c’était la dernière fois que je l’avais vu sur le campus, et je n’arrivais pas à répondre à cette question. Pourquoi est-ce que je ne m’étais pas inquiété ? Pourquoi est-ce qu’on ne s’était pas inquiété ? C’était insensé, délirant, inconcevable. On dit que la première réaction du deuil est le déni, et j’étais en plein dedans. Puis, la colère, je me levais d’un coup pour prendre mon téléphone que j’apportais à mon oreille alors que j’avais sélectionné Billie dans mon répertoire. Ça sonnait…une fois…deux fois….trois fois… J’inspirais un grand coup et je raccrochais avant de recommencer une deuxième fois, puis une troisième alors que j’entendais Roxanna me parler pendant ce moment-là. « Elle répondra pas Jude, j'ai essayé mille fois ... Tu vas tomber sur un flic... » J’hochais la tête négativement, entendant toujours le bruit incessant de cette sonnerie à la con mais je fini par tomber sur le répondeur. Entendre sa voix tout en sachant ce que je savais ne m’aida pas. Au contraire même. « Elle est partie... » Je fronçais les sourcils et je détachais le téléphone de mon oreille que je regardais quelques secondes. Je sentais à nouveau les larmes me monter aux yeux et d’un coup sec, je balançais mon téléphone contre le mur au-dessus mon lit. Il se fracassa contre celui-ci avant de tomber sur mes draps. Je tournais mon regard vers Roxanna et je me laissais tomber à genoux face à elle, m’approchant un peu plus pour faire en sorte de la redresser et de la prendre dans mes bras. Je n’arrivais pas à y croire, malgré tous les faits. Et je ne savais absolument pas quoi dire. Le déni, la colère et enfin, l’acceptation.

Contre Roxanna, je ne m’empêchais pas de laisser les larmes couler sur mes joues. Ç’en était de trop. La vie était totalement injuste. En un an, j’avais perdu trois personnes qui m’étaient chères. Alors quoi, la prochaine, c’était Roxanna ? Apple s’était toujours presque moquée de moi quand je lui disais que j’étais maudis et aujourd’hui, ce que je disais se confirmait à nouveau. Ah bien sûr, moi, j’avais le droit de vivre, droit de survivre pour la deuxième fois à une leucémie de merde, pour pouvoir bien morfler pendant que toutes les personnes que j’aimais mouraient une part une. C’était hallucinant, et j’avais presque peur pour ma fiancée maintenant. Heureusement, Roxanna n’eut aucun mouvement de recul, et elle me laissa l’attirer vers moi. Je sentais déjà la peau de mon cou s’humidifier sous ses larmes et je fermais les yeux en tentant d’empêcher les miennes de couler de trop, car ça allait me valoir un beau mal de tête. « Je ... Demain je dois aller à Boston ... Identifier le corps.. » Je déglutis et j’hochais la tête positivement, inspirant un grand coup mais gardant néanmoins la jeune femme contre moi. Je ne pouvais pas encore affronter son regard triste. L’entendre pleurer était déjà assez insupportable comme ça. « Je…j’vais venir avec toi… », murmurais-je avant de froncer les sourcils, caressant doucement son dos. Je reniflais légèrement et j’ajoutais, « Et pas de contestation... tu seras incapable de conduire… » Je reculais un peu mon visage pour la regarder, passant mes deux mains sur ses joues pour encadrer son visage délicatement et je murmurais à nouveau, « T’es pas toute seule…on reste ensemble… »

Il fallait absolument que je me calme, c’était primordial. Si nous voulions nous en sortir, et surtout, si je voulais aider Roxanna, il fallait que je me calme. Quitte à évacuer toute ma colère et ma tristesse plus tard lorsque je serais seul. Je savais qu’elle allait vouloir contester que le fait que je vienne avec elle, mais je ne lui donnais pas vraiment le choix, au fond. Je viendrais, quoi qu’il arrive. Quoi qu’il arrive, je serais là pour elle. C’était une promesse que je m’étais fait depuis ce jour où j’avais dû aller la chercher jusqu’au fin fond des Etats-Unis pour la ramener à Harvard. Roxanna était tellement sensible et émotive que je n’osais même pas imaginer les répercutions que cette énième épreuve allait avoir sur elle. Il allait falloir du temps pour qu’elle réussisse à oublier la douleur et je serais là, même si elle pleure, même si elle n’a envie de voir personne. Si elle a besoin d’une épaule sur laquelle pleurer ou de quelqu’un sur qui taper ou évacuer la colère, je serais cette personne. Je la vis hocher la tête alors que mes mains encadraient toujours son visage. « Merci... Je sais même pas c'qui m'attend là bas .. J'suis té.. Tétanisée ... » Je me pinçais la lèvre et la jeune femme essaya de virer quelques larmes, en vain. Je fis alors de même avec mes pousses qui glissaient sur ses joues humides. « J’ai déjà fait ça…identifier un corps…si tu veux, tu resteras dans le couloir et je le ferais, d’accord ? J’veux pas que tu ais cette dernière image d’elle…faut se souvenir d’elle comme la fille pétillante de vie qui, à Cancun, m’a fait sortir en pleine nuit uniquement parce que madame avec envie de tacos » Je ris légèrement, un rire triste et chargé de souvenir avant de poser mon front contre le sien, ne la quittant pas du regard, « J'ai pas été capable de la protéger... » Je fronçais les sourcils et j’hochais directement la tête négativement, il était hors de question qu’elle croit ça, « Non…j’t’interdis de penser ça Roxanna d’accord ? On pouvait pas ma protéger parce qu’elle ne nous laissait pas l’occasion de le faire…Sinon, quelqu’un serait venu avec elle à Boston… »