Ce qui ne me tue pas me rend plus... bizarre.
 

Zoïa, Jacks' & Clay / Déc 2015

« Hors de question »  Le combiné raccroché, je lâche un soupir le regard dans le vague. Depuis plus d'une semaine, Clea semble bien pressée que je reprenne contact avec les parents que je n'ai revus depuis mon accident il y a déjà trois ans. Je la sens arriver grosse comme une maison cette invitation à un repas de famille pour rattraper mon absence à Thanksgiving. Mais à chaque fois qu'elle émet l'hypothèse d'aller se promener du coté de Fresh Pond, je me refuse catégoriquement à l'accompagner. De plus, mon travail fait que depuis quelques temps, je suis véritablement débordé, n'ai plus une seule minute pour souffler. Alors les pieds sur mon bureau je scrute les dossiers ne sachant plus par lequel commencer et me vient l'idée d'en refourguer quelques uns à Cass'. Mais non raté, son domaine c'est la criminelle, pas les abus d'ado dérangés ni les histoires de trafics de Coke et de deals arrangés. Un coup d'œil sur l'horloge suspendue au mur juxtaposé et un sourire finalement me déforme petit à petit les traits.... l'heure de midi. Au moins une activité qui ne me répugne pas et j'en profite alors pour déserter mon poste de travail. Très rapidement, je passe devant le service de mon ex et m'hasarde une seconde à y jeter un œil furtivement pour la voir toujours penchée sur un dossier... Têtue, effrontée et acharnée, O'Connor a décidément tout de la femme dont il ne faut surtout pas s'amouracher.  

Et comme tous les vendredis midi, je vais à la boutique qui fait l'angle de la rue, modeste petit restaurant vietnamien dont je connais très bien le gérant. Cette fois-ci ma demande le surprend puisque je ne prends pas un mais deux menus contrairement à mes habitudes. J'ai dans l'optique d'inviter une demoiselle à déjeuner et reviens donc au poste pour emprunter d'emblée un tout autre chemin que celui par lequel je suis venu. C'est dans la salle d'autopsie que je vais la trouver, lieu peu propice à ce genre d'entrevue mais qu'importe. Alors la voyant de dos, toujours affairée sur ses caissons frigorifiés, je me permets de la déranger étant adossé contre le mur et brandissant les deux paquets. « Auriez-vous un peu de temps à me consacrer Zoïa ?  »

Ce qui ne me tue pas me rend plus... bizarre.
 

Zoïa, Jacks' & Clay / Déc 2015

 « C’est quoi ? »  que je répète en écho à sa question délicate. Mon attention s’égare sur les deux sacs suspendus à mes doigts dont j’entrouvre le premier pour mieux en déterminer le contenu. Il est vrai que depuis quelques temps, j’accorde une confiance aveugle au cuisto de ce restaurant concernant la qualité de mets sans savoir de quoi ils sont exactement constitués. Alors ne visualisant que des boites refermées, contenants aux formes atypiques mais si caractéristiques de ce genre d'établissements, je tente tant bien que mal de me remémorer ce que Chao Maye le gérant a baragouiné - lorsque de ses yeux bridés - il a ré-énuméré la commande avant de tout décréditer de ma carte bleue. Mais rien. A défaut d’avoir une bonne  mémoire, j’ai cependant pour moi l’art de la ruse et vais tenter d’y répondre de manière détournée. «  De quoi vous dépayser »  C’est un trait de caractère, une facette de ma personnalité à laquelle Zoïa à présent doit être plus qu'habituée.

Cependant, en parlant d’accoutumance, je conçois parfaitement que la jolie rouquine soit insensibilisée au parfum de la mort mais il n'en n'est pas de même pour moi et bien que les chambres de conservation soient toutes refermées, il règne encore cette étrange odeur nauséabonde. Toujours flanqué contre un pan de mur et me voyant perdre petit à petit l'appétit, je ne peux que lui proposer une autre alternative: « Si vous préférez monter au premier, peut-être pourrions-nous aller dans mon bureau. »  Et je tique dans l’attente de sa réponse car mes mots sonnent comme une proposition plus déplacée que je ne l’ai souhaitée. Je me sens alors obligé de rapidement me reprendre et de lui préciser «  pour déjeuner » , bien évidemment.

Ce qui ne me tue pas me rend plus... bizarre.
 

Zoïa, Jacks' & Clay / Déc 2015

Alors je lui laisse le plaisir de me prendre des mains mon bien, le plastique glissant de mes phalanges pour trouver nouvel acquéreur tandis que d'un déhanché elle m'ouvre le chemin et m'invite à rejoindre le monde des vivants, laissant au trépas et au silence son savoir lugubre. « Après vous. » J'ai beau la regarder et d'elle se dégage une ténébreuse aura, parfaite et de toute beauté, ombrageant de son spectre sur le sol à chaque pas. Nul doute qu'ici en ces lieux, la belle a trouvé sa voie. L'écho de son timbre me laisse quelques secondes  sans voix avant de reprendre mes esprits.  «  Je la connaissais déjà celle-là... L'âge avant la beauté. »  Mais même si la sulfureuse à voulu se montrer un tantinet ténébreuse, en aucun cas cette preuve de politesse - ou pas - n'est perçue de ma part comme un outrage. Bien au contraire même. Alors que je dépasse le pas de la porte chromée, je vais même pour la remercier, la félicitant d'un sourire s'accrochant au sien sans la moindre retenue et vais faire lentement quelques pas dans l'unique but de la laisser me rattraper.  Une fois chose faite nous montons cote à cote les escaliers.  «  Tenez, j'aurais une question  »  et la laisse un petit moment méditer avant de reprendre:  «  Que faites-vous lundi soir prochain?  » J'en conviens qu'à présent la rousse doit se poser de sérieuses questions quant à mes intentions alors qu'il n'en est rien cependant. Il ne s’agit que d'un repas d'affaires en compagnie d'un haut dignitaire et je sais à quel point en ce moment mon travail révulse celle qui d'habitude aurait pu partager avec moi cette entrevue. Zoïa est une jeune femme comme l'on en voit peu, raffinée, énigmatique et sophistiquée. Elle saurait, j'en suis sur et ce malgré son jeune age, les moucher. Et déboulant finalement dans le couloir desservant les nombreux bureaux, j'ouvre la porte du mien en attendant patiemment sa réponse.

Ce qui ne me tue pas me rend plus... bizarre.
 

Zoïa, Jacks' & Clay / Déc 2015

« Rien de spécial, je termine en fin d'après-midi les répétitions avec mon Partenaire. » Nous y sommes presque lorsqu'elle me confesse cet aveu suite à quoi mon regard interrogateur vient accrocher le sien à la recherche de plus de détails sur ce parfait inconnu. Un petit ami dans la vie de Zoïa Rosenbach? Je vais pour lui demander de façon détournée si tel est le cas quand elle me coupe. « De danse. » Mais l'un n'empêche pas l'autre alors l'énigme sera plus amplement étudiée, un peu plus tard, à un moment plus opportun. Et tandis que j'ouvre ma porte, elle répond enfin à la question précédemment posée de son timbre de voix si particulier, et que secrètement j'ai toujours apprécié: « Mais j'aimerais savoir ce que vous voudriez faire de moi lundi soir, ai-je le droit de demander? » Tente-t-elle de jouer aussi sur la subtilité des mots ou me fais-je des idées? D'une main, elle est invitée à prendre place face au bureau que je vais prestement débarrasser, empoignant la pile de dossiers pour un peu plus loin la déposer. Et m'éclaircissant la voix, je lui donne les informations qu'elle était en droit de réclamer. «  Un diner d'affaires. Disons que la jeune femme qui devait m'accompagner s'est décommandée et ...  » , d'un sourire enjôleur, je tente d'un dernier regard de l'attendrir lorsque mes yeux retrouvent les siens « Vous savez combien certains peuvent être sensibles à une présence féminine. » Rien à voir avec le domaine judiciaire cependant, il ne s'agit là que d'un engagement envers un plus gros promoteur qui pourra, lui, me conduire vers un titre international. J'en ai quelques remords d'ailleurs à l'utiliser de cette façon là mais après tout, rien n'oblige Zoïa à accepter ma demande.

Ce qui ne me tue pas me rend plus... bizarre.
 

Zoïa & Clay / Déc 2015

« Faibles surtout. » Inutile de le reformuler, nos pensées se sont trouvées. Il est certes exact que le sexe fort n'est pas toujours celui que l'on croit ou que nous, représentants masculins, nous nous plaisons à penser. Et tandis qu'elle goute déjà aux mets d'outre contrées, elle se permet à une réflexion quand je viens moi aussi à me poser, enfin calé dans ce siège d'officier pour ouvrir le second paquet. « Mais il faut qu'ils apprécient les femmes de mon genre non? Malgré tous mes efforts, je peux difficilement passer pour une potiche. » Ce n'est pas ce que je demande, bien au contraire même. Cet homme à des gouts bien particuliers mais inutile de les vanter puisque Zoïa ne fera pas l'objet de l'une de ses futures acquisitions. Du moins je l'espère et tenterais tout, quitte à la faire passer pour une concubine si tant est que lui prenne l'envie de vouloir l'acheter.

Puis l’intrigante se fait soudainement mutine lorsque de ses lèvres s'échappe une parole très insidieuse: « Et j'aurais quoi en échange Lieutenant? » Mes baguettes viennent subitement de lâcher les condiments que j'avais eu tant de mal à attraper et me fondant dans ses yeux taquins, je lâche l'un de ces ricanements incontrôlés dû à une gène certaine.  « Et... Que voudriez-vous en échange? » Attention, je ne la connais que trop pour savoir qu'elle pourrait s'oser à une demande indiscrète, exiger le pire tout en faisant toujours preuve de retenue dans ses paroles. Alors d'une main habile glissée dans l'air, je lui démontre mon dédain quant à une idée qui m'est venue suite à déclaration concernant son passe-temps nouvellement dévoilé. « Et si vous y pensiez une seconde, sachez que je suis un piètre danseur. »