- Je saurais que c'est la bonne parce qu'il y aura un lien entre nous, tenta-t-il de m’expliquer calmement, mais je voyais bien que mes propos venaient de le choquer. Un lien étroit, une douceur extrême... Bref, de l'amour... conclut-il tout simplement, et je voulus l’interrompre dans le but de l’informer que l’amour – comme il disait si bien –, ça n’existait que dans les films ; mais mieux valait que je me la boucle si je ne voulais pas encore une fois empirer les choses. Et si jamais je dois passer ma vie aux côtés de cette personne sans avoir de relations sexuelles, c'est la même chose, je saurais qu'elle est la bonne, celle pour qui mon cœur bat le plus. Celle pour qui mon cœur a été marqué.

Il était réellement prêt à passer sa vie aux côtés d’une personne sans jamais la toucher – d’une manière sexuelle, cela va sans dire – uniquement parce qu’il en était amoureux ? Eh bien, j’avais bien envie de le mettre au défi, tiens ! Après tout, comment était-il possible – même pour un croyant aux principes aussi sévères que Read – de passer sa vie sans sexe ? C’était tout bonnement impossible ! Et les nombreux incidents avec les prêtres qui faisaient tous vœux d’abstinence pouvaient en témoigner. Voilà pourquoi – si je devais « choisir » une religion – je préférais le protestantisme – ce dont semblait faire partie Read – car, au moins, chez eux, les pasteurs avaient l’autorisation de se marier…

- Tu verras, toi aussi, un jour, tu rencontreras une personne comme cela... Et là, même si elle se refusera d'avoir des rapports sexuels, tu l'aimeras... Le sexe pour le plaisir, ça n'a rien à voir...

Euh… alors, tout d’abord, cela m’étonnerait beaucoup que je rencontre « une personne comme cela », pour le citer, car il faudrait déjà que je crois en l’Amour avec un grand « A » – ou même, en l’amour tout court, à vrai dire –, avant de rencontrer cette soi-disant personne. Pas que je ne croyais pas que deux personnes puissent s’aimer sincèrement, en fait, mais ce dont en quoi je ne croyais pas, c’était que JE ne pouvais pas aimer quelqu’un – de manière amoureuse, bien sûr, car j’aimais beaucoup mes amis. J’étais un handicapé du sentiment et, même si on me l’avait de très nombreuses fois reproché, je ne l’avais jamais nié. Personne ne pouvait comprendre pourquoi j’étais comme ça. Et tout ce que j’avais à répondre à ces interrogations étaient que si des parents n’avaient jamais aimé leur enfant comme des parents normaux devaient normalement le faire, comment alors pouvait-on aimer une personne qui n’avait aucun lien de quelque nature que ce soit avec nous. Mes parents m’avaient détesté dès l’instant même où je m’étais confié à eux sur mon orientation sexuelle, pensant naïvement qu’ils m’accepteraient tel que j’étais. Il était donc impossible qu’une personne n’ayant aucun rapport avec moi puisse un jour m’aimer de manière pure et sincère.

- Chaque enfant est un présent de Dieu, tenta-t-il de nouveau de m’expliquer après mon intervention assez brusque, je devais bien le reconnaître. Un enfant, c'est la vie ! Cela ne se refuse pas, il est... toujours voulu d'une certaine manière.

Vraiment ? Je me demandais combien d’étudiantes à Harvard étaient tombées enceintes sans qu’elle ne l’ait souhaitée au départ. Sûrement une bonne dizaine, voire même vingtaine, ce qui était tout de même énorme proportionnellement à l’ensemble de la population Harvardienne. De toute façon, j’aurais beau choquer certaines personnes, j’étais pour l’IVG. Je ne voyais pas pourquoi une fille se forcerait à garder un enfant qu’elle ne voulait pas, seulement parce que – comme l’expliquaient avec ferveur les défenseurs de la vie – c’était un crime envers la vie. Mais il fallait qu’on m’explique à partir de combien de mois le cœur du bébé se formait et se mettait réellement à battre. Après tout, la vie passait d’abord par les battements d’un cœur, aussi petit était-il.

- Eh bien, je n’aurais qu’une seule chose à dire pour conclure tout ça, intervins-je alors en espérant mettre un terme à ce débat qui, de toute façon, ne mènerait nulle part car j’avais des œillères sur les yeux, je ne pourrais jamais être père, même pas accident !

Au moins un avantage à être gay dans son monde homophobe. Bien que cela soit le problème numéro un chez les couples homosexuels qui souhaitaient fonder une famille. Donc, en fait, il faudrait peut-être aussi que je remercie mon absence de fibre paternelle. Et puis, au moins, j’étais sûr de ne pas faire souffrir un être innocent.

Le jeune ambulancier ne voulait surtout pas entrer dans un débat sur la religion avec Tyler. Il savait que ce genre de débats se terminaient vraiment mal dans la plupart des cas. Parfois simplement par une petite engueulade vite oubliée, mais parfois par une sorte de rupture incompréhensible. Parler de religion avec un athée, c'était comme se frotter à un titan et espérer ne pas se faire écraser. D'autant plus, que même vexé par la remarque de son interlocuteur, Read n'était pas un bon orateur. Il avait des arguments qui se tenaient plus ou moins, mais il n'était pas du genre à être incisif. Et cette rencontre, il l'espérait, se terminerait sur une touche aimable.
Baissant le regard de nouveau sur le livre qu'il avait apporté, Read fit mine de lire quelques lignes face au mutisme de son interlocuteur. Il se sentait gêné. Il avait un peu peur que l'autre ne le prenne pour un simple bigot qui ne voyait pas plus loin que les saintes écritures. Mais justement, pour être un bon catholique, il fallait lire les textes de manière intelligente et les comprendre dans le bon sens. Il fallait aussi savoir passer outre certain préceptes ordonnés par l'Eglise si cela pouvait aider qui que ce soit. Se grattant nerveusement la tête, il releva le regard sur son interlocuteur lorsque celui-ci reprit la parole, presque subitement. Décidément, c'était un être étrange que ce Tyler. Il avait foi en quelque chose, cela se voyait, mais ce n'était pas une religion... peut-être une règle ? Un état d'esprit ?
Read finit par lui sourire de nouveau, fermant le livre. Il n'avait rien travaillé à la bibliothèque, ce n'était pas sérieux, c'était même déstabilisant mais, au moins, il s'était fait une nouvelle connaissance... Un potentiel ami ?

« Oh tu sais, on ne sait jamais ce que Dieu nous réserve... » finit-il par déclarer en lâchant un clin d'oeil malicieux. Si cela se trouvait, la flèche de Cupidon transpercerait un jour le cœur du Winthrop et lui donnerait l'envie d'avoir une famille. Il n'y avait rien de plus précieux aux yeux de Read que la famille.
« De toute manière, moi-même, je ne sais vraiment pas comment je réagirais le jour où... je serais papa. J'ai su m'y prendre avec mes frères et sœurs, mais... Ce ne serait pas vraiment la même chose, non ? » demanda-t-il doucement, toujours en chuchotant afin de préserver le calme des lieux. Il jeta cependant un œil sur la porte. Peut-être qu'il vaudrait mieux qu'ils aillent discuter dehors, puisque, de toute manière, leur conversation était tellement prenante qu'ils ne parvenaient pas à se concentrer sur quelques cours que ce soit.

- Oh, tu sais, on ne sait jamais ce que Dieu nous réserve... déclara-t-il alors avec un petit clin d’œil complice qui m’étonna sincèrement car c’était la première fois depuis que j’avais fait sa connaissance quelques longues minutes plus tôt qu’il semblait assez à l’aise pour faire ce genre de choses.

Par contre, je ne compris pas vraiment pourquoi il me faisait cette remarque chrétienne – la version athée étant « On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. » – parce qu’il ne semblait pourtant pas avoir loupé la moindre de mes paroles. Donc, que Dieu ou le destin s’en mêle, jamais il ne me sera possible de me retrouver avec un bébé sur les bras par accident étant donné que j’étais gay comme un phoque – comme certains pourraient en faire la remarque – et qu’il était encore impossible pour des hommes de procréer – qui sait ce que le futur nous réservait… Au vu des nombreux progrès de la technologie et de la médecine, cela ne m’étonnerait même pas qu’ils y arrivent un jour… Mais pour le moment, nous ne vivions pas encore dans le monde de Harry Potter et la réalité était que je pouvais coucher avec n’importe qui sans protection – ce que je ne ferais bien évidemment jamais car je n’étais pas non plus inconscient –, aucun de mes partenaires ne pourraient m’annoncer une nouvelle du genre bébé.

- De toute manière, moi-même, je ne sais vraiment pas comment je réagirais le jour où... je serais papa. J'ai su m'y prendre avec mes frères et sœurs, mais... Ce ne serait pas vraiment la même chose, non ? me demanda-t-il, comme si je pouvais avoir la réponse à cette question.

Ce qui n’était pas le cas. Après tout, comment pouvais-je savoir si éduquer un peu ses frères et sœurs étaient la même chose que d’élever son propre enfant. Très certainement que non, mais je ne me basais pas sur ma propre expérience pour pouvoir dire cela. Je n’avais qu’une seule et unique sœur et c’était elle l’aînée, je n’avais donc jamais eu à m’occuper d’elle d’une quelque façon que ce soit. En tout cas, j’avais beau être inexpérimenté dans ce domaine, j’étais tout de même capable d’affirmer avec plus ou moins de certitude qu’on n’avait pas la même responsabilité en tant que frère et en tant que père, ce qui répondait donc sûrement à sa question.

- Je ne pense pas, donnai-je tout de même mon avis avec un petit haussement d’épaules. Mais je ne suis certainement pas la meilleure personne pour répondre à cette question, l’informai-je avec un petit rire amusé car il s’adressait à un type qui n’avait aucune fibre paternelle.

Puis, la sonnerie qui annonçait la fin de l’heure se mit soudain à sonner à travers tout le campus, interrompant ainsi notre conversation sur la religion et le fait d’être parent.

- Bon, eh bien… C’est l’heure de retourner en cours, déclarai-je alors avec un petit sourire, tout en rangeant mes livres et cahiers que je n’avais finalement pas ouverts. J’ai été ravi de t’avoir rencontré et d’avoir discuté avec toi – même si nous avons des avis qui divergent sur certaines questions, rigolai-je, espérant de pas l’avoir vexé avec mes opinions très arrêtés. Et puis, on se reverra sûrement, à la bibliothèque ou ailleurs.

Je lui lançai un dernier sourire amical, avant de sortir de la Widener Library afin d’aller à un de mes cours de Relations Internationales. J’allais emmerder River, tiens !

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