Cody n'avait jamais été fan de sciences, de vie, ou de junior. Donc 'sciences et vie junior' n'avait et ne serait d'ailleurs jamais sa cam. Jamais il n'offrirait ce genre de revues à Jess, ça pourrait la pervertir. OK, vu comme c'était parti avec Maggie, il risquait de ne plus jamais rien pouvoir lui offrir, telle était la dure loi de la Clayton. D'ailleurs j'ai pigé que ses initiales étaient MC, genre une dédicace inconsciente quoi. Mais on s'en fiche un peu, je rp avec Joan, nom de non. Autant, il se traitait sans pudeur de gros sac mais, venant de Joan, il trouvait ça limite blessant qu'elle l'incite autant à faire un régime. En plus, elle avait l'air tellement sérieuse qu'il ne se demandait pas s'il ne devait pas participer à cette émission sur W9, qui s'appelle genre 'les régimes de l'extrême' avec de charmants petits gros qui perdent 70 kilos en moins d'un an. Ça en faisait de la peau en trop, comme sur les chats, mais les chats il y avait toujours un petit côté pratique à ce surplus de l'épiderme ; on pouvait se servir de leurs poignées d'amour comme … Poignée ! Ah, magie. Du coup, Cody se demandait si Joan n'avait pas envie qu'il maigrisse pour ne plus avoir d'attache envers lui, puisqu'elle ne pourrait plus le tirer par sa graisse autour du cœur. Cœur qui était artichaut, si bien qu'il fit une moue triste à sa critique ; « Pourquoi t'as à ce point envie que je pécho ? J'en ai pas besoin, merci, je suis très bien comme je suis, j'peux me contenter de t'embrasser chaque fois que je te revois, c'est peut-être ça ma destinée. J'suis un peu un bout-en-train en fait, je prépare la jument avant l'arrivée de l'étalon. » Oh putain, il venait vraiment de comparer Joan à une jument ? Le summum du compliment dis donc ! Parfois, Cody oubliait que Joan était une femme, il la prenait comme un bon pote. Un bon pote qui l'a laissé béton du jour au lendemain, le plongeant ainsi dans une profonde dépression, certes, mais un bon pote quand même. « Non mais t'inquiète pas, à moi ils m'ont toujours convenu. Complexe pas, j'disais ça pour ta carrière. » Trop attentionné. Vous comprenez, les promotions-canapé sont monnaies courantes dans le monde de l'espace. Il fallait donc peut-être que Joan abandonne le look de petite fille modèle si elle voulait décrocher la lune.

Comme dirait ce grand poète – injustement non cité dans le RP de Joan, franchement, c'est une honte – Enrico Macias, 'il n'y a pas de honte à être un mendiant de l'amour'. Voilà, tout est résumé en une petite dizaine de mot. En l'occurrence, Cody, il était le producteur, celui qui donnait son surplus pour le bien-être de la société, du moins, de la société de Joan. Cette dernière était la mendiante de l'amour, inconsciente évidemment, puisqu'elle semblait découvrir l'acte de générosité qui se cachait sous chacun de ses baisers. Si ça pouvait faciliter ses relations avec les hommes, les femmes ou les chats, Bleeker ne s'en retrouverait que plus ravi. Il aimait bien son statut de bout-en-train, du moins, il s'en contentait. Il savait qu'il n'aurait guère plus avec Joan et pour cause, ni l'un ni l'autre n'était foutu de faire le premier pas. Enfin si, le pas, aucun souci, mais il faudrait systématiquement bâtir un mur derrière eux pour arrêter une bonne fois pour toute leur manie d'avancer d'un mètre pour reculer de trois juste après. C'est tout naturellement qu'il déclina – plus ou moins – la proposition de Joan. Elle ne proposa rien en fait, mais voilà, il déclinait quand même avec cependant une petite ouverture comme dans toutes les meilleures conclusions en dissertation. « Tu sais, moi je fais ça gratuitement. Après si ça te gêne cette forme de 'charité' – même si t'as pas à te sentir assistée, je fais ça pour le plaisir – tu peux donner quelque chose en retour. » Un DVD par exemple, tout le monde savait l'amour de Cody pour son canapé et un petit film assurerait la pérennité de cette idylle. Divineeeee idylle, mon homme idéaaaal. Rien à voir. Il s'offusqua quand Joan parla de l'avenir. Il n'en voulait pas, il lui crachait à la gueule de ses projets débiles. Il attrapa le gobelet vite reposé et le serra dans le creux de sa main. « Non. La seule télé où je veux te voir c'est à la météo. »  Qui dit serrage de gobelet dit bien sûr éclaboussure sur le pantalon. Génial Cody, ça t'apprendra à te prendre pour Scarface. Il termina en baissant le ton, déconcentré par la tâche mal placée, qui serait genre mal perçue s'il sortait de l'infirmerie avant qu'elle ait séché. « Parce que c'est le seul programme que j'ai envie de voir tous les soirs sans m'en lasser. » Il est mignon. Il prit le drap de son lit avec lequel il tenta de s'essuyer, se stoppant trente secondes juste pour placer ; « Je l'étais. Je le serais toujours aujourd'hui. » Ses pupilles s'illuminaient dès lors qu'elles croisèrent celles de Joan. Mais attention, le feu ça brûle. Il s'en détacha systématiquement.

Un élan absolu de romantisme ou une prise de conscience soudaine de son irrévocable attachement à l'égard de Joan, qu'importe ce qui animait réellement Cody, il savait juste que c'était fort. Plus fort que lui. À tel point qu'il se voyait parler, qu'il aurait bien aimé se crier ta gueule, se bâillonner de sparadrap, s'empoisonner de somnifère voire carrément s'entailler la carotide si telle était la solution. Mais rien n'y faisait, il lâchait – à sa manière – ce qu'il contenait, ce qu'il ne savait pas dire à la jeune femme. Bien sûr, sa maladresse l'emportait. Les comparaisons animalières, il y a longtemps qu'il les pratiquait sur Joan parce que honnêtement, les femmes à frange lui rappelaient les équidés. Et Kate Moss, parfois, mais pas souvent, ça dépend. Et Lindley alla plus loin. Il y avait parler et embrasser. Et elle l'embrassa. Pendant une seconde, il eut l'impression de faire un micro-coma, il était là, puis plus là, tu m'vois, tu m'vois plus, tu m'vois plus, tu m'vois, style Cartapuce dans Asterix mission Cléopâtre quoi. Ou alors, d'être sous l'emprise de LSD, délirer sur un baiser qui n'avait pas eu lieu. En même temps, on pouvait se poser la question. Elle enchaîna en parlant d'astrophysique mais, putain, ça venait foutre quoi dans la conversation MAINTENANT ? Il avait hiberné combien de temps ? Hého, ourson, oursooooon, ton moulin ton moulin va s'éteiiiindre. Oui je sais, un ourson n'a pas de moulin, mais je n'ai pas réussi à adapter entièrement la chanson. Il se frotta les yeux avec le drap, soigneusement, puis plus grossièrement, remettant ses idées en place. « Il faudra que tu m'en apprennes plus sur la gravitation. Tu sais, les corps systématiquement attirés l'un par l'autre. Genre tu lances une pomme, elle tombera forcément au sol, on ne peut pallier cette loi de la nature. C'est comme ça. C'est scientifique, purement scientifique. » Oui, que Joan lui parle de Newton, il avait besoin de ça pour se remettre les idées en place. Ou elle pouvait l'embrasser, ça marchait aussi.

Au début de sa tirade, Cody se demandait dans quel pétrin venait-il de se fourrer en réclamant un approfondissement de sa thèse sur la gravitation à Joan. C'était long, long, incompréhensible et … Si … Compréhensible. En se concentrant – c'est-à-dire en dégainant sa grimace à base de sourcils froncés, de traits tirés, de duck face et rides en V au-dessus du regard – il apprit que Joan avait une autre planète. Elle avait quitté l'orbite de Bleeker pour s'insérer sur une autre (je vous surveille, les esprits déplacés, n'oubliez pas le or) mais que ça ne changeait rien à l'irrémédiable attraction terrestre entre eux. Mais elle avait changé de planète. Cody se surprit à trouver son esprit partagé entre deux sentiments. D'abord, la jalousie intense. Oui, il était jaloux, jaloux à l'idée qu'un autre homme ait pu s'emparer du cœur de SA Indiana Joan, SA Marie Frances, SON lapin Lindley. Merde. Il avait loupé le coche. Il se retrouvait seul comme un con. Enfin pas seul, si on y pense, un seul coup de fil suffirait pour qu'une étoile entre dans son orbite et y reste, comme la Terre tourne inlassablement autour de cette grosse boule de fumée qu'on appelle Soleil. D'un autre côté, il fut soulagé. Peut-être tirerait-il finalement un trait sur Joan, non … ? Il faudrait qu'il trouve une autre bouche à embrasser, même s'il faut dire que sa bouche de canard et sa frange de poney étaient totalement irremplaçables. Trouver une bouche de canard, no souci. Une frange de poney, pareil. Mais vous connaissez beaucoup de gens qui cumulaient les deux mandats à la fois ? Non, non, non. Joan était unique. Joan est unique. Non. Était. Il fallait qu'elle devienne comme tout le monde pour qu'il oublie l'idée qu'un jour, ils seraient réunis de nouveau. En y repensant, elle n'avait pas précisément défini l'étoile et la planète. Mais Cody, lui, il se sentait comme une planète. Il ne pensait pas être une étoile qui change d'orbite comme de caleçon. Tous les jours, hein, il respectait les règles d'hygiène les plus sommaires. « Après, il faut voir ce qui est mieux pour l'étoile et la planète. Le trou noir … Ou l'explosion. » À vrai dire, si le trou noir représentait la dépression post-rupture, il préférait de loin l'explosion, bien qu'il n'était pas convaincu de pouvoir en sortir indemne. Joan l'avait chamboulé. Cody baissa les yeux, vers elle, surveillant inconsciemment ses mains du coin de l'oeil. C'était sûrement la seule partie de son corps qu'il pouvait observé sans être submergé par des pulsions inconnues. Quoique.

Quiconque extérieur à la conversation aurait l'impression d'assister à une conférence privée entre une grande chercheuse-boxeuse (ses plaies témoignaient par elle-même) et le docteur Glamour des planètes. En soit, Joan et Cody discutaient de tout, de rien, mais certainement pas d'eux, si ? Et la jeune femme continuait, exposant ses théories farfelues dans lesquelles, pourtant, le papa s'y voyait affreusement. C'était eux, merde, eux, rien qu'eux, personne d'autres, ni de planète, ni de satellite, pas d'étoile non plus, juste eux. Applaudissez-les, ils avaient trouvé un moyen de communiquer, eux qui semblaient d'habitude tout le temps sur la défensive, à s'engueuler, s'embrasser, s'engueuler de nouveau, faire des tours de passe-passe pour finalement s'en aller en criant. Là, Cody n'avait pas envie de crier, il voulait connaître la fin, la fin de l'histoire, la fin de leur histoire. Qui sait, peut-être qu'un looooong chapitre du livre de Bleeker allait se clore aujourd'hui ? Lui qui, pris d'une panne d'inspiration, n'était jamais parvenu à tourner la page, lui qui, semaine après semaine, s'était battu contre les maigres souvenirs laissés par le poney après son départ. Elle était une étoile filante, le genre à voler à l'autre bout de la galaxie et à ne revenir que des années après. Et si c'était la fin ? Si elle filait encore, loin, loin, loin, maintenant qu'elle n'était plus sur le marché ? Maintenant qu'elle s'était parfaitement insérée sur le marché des biens et services, Cody se retrouvait seul comme un con sur le marché des invisibles, là pour rendre service et rien d'autre. Il soupira, cherchant néanmoins une lueur d'espoir dans le regard de Joan. « Un satellite, ça peut être mécanique. Pour qu'il arrête de tourner autour d'une planète, il suffit de claquer des doigts et voilà, il s'arrête. Il tombe. Ou alors on l'envoie sur une nouvelle orbite. Par contre, je crois qu'il est plus difficile d'empêcher une étoile de tourner autour d'une autre planète. » Après, il n'était pas monsieuuuur le scientifique, juste Cody Bleeker, le gars qui attendait de savoir si c'était définitivement mort ou si, par miracle, la roue allait tourner.