Qui croit encore aux 'il était une fois' et 'ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants?' ? Ces deux phrases sont juste bonnes à vendre du rêve à des petites filles de douze ans. Elles attendront leur prince charmant et finiront par se rendre compte qu'il n'existe pas. Fin de l'histoire. La mienne ne déroge pas à la règle. Un homme en cheval blanc n'est pas venu enlever ma mère -bon d'accord, elle ne vivait pas avec sept nains - Toujours est-il que la vie n'a pas épargné ma mère. Sara Woods, fille de vendeurs de chaussures, aurait très bien pu finir comme ses parents. Vendeuse à son tour, elle aurait repris le petit magasin qu'ils tenaient dans une rue de Boston. Sauf que Sara avait plus d'ambition que cela. Elle, elle voulait se sortir de cette vie de gens moyens, elle voulait pouvoir vivre sans toujours se contrôler. Alors elle avait enchaîné les petits boulots et avait même eu le droit à une bourse. Jusque là, tout allait bien. Elle s'était inscrite à l'université, dans le domaine du droit. C'était un peu loin de chez elle -Harvard n'avait pas retenu son dossier alors elle avait opté pour Berkeley- mais qu'importe, elle croyait en ses rêves. Puis son chemin avait croisé la route d'Alejandro Moretti. Ou je devrais plutôt dire Monsieur Moretti, brillant avocat et accessoirement chargé de cours. L'histoire entre un prof et son étudiante, cela fait tellement cliché. Et pourtant, c'était ce qui s'était passé. Sara était une étudiante acharnée et il avait fallu un certain temps pour que le professeur arrive à apprivoiser l'étudiante qu'elle était. Elle avait fini par se rendre compte que le gentil professeur toujours là pour l'épauler aurait aimé un peu plus. Elle n'avait pas refusé. Ils avaient vécu une belle idylle. Ce qui est interdit attire c'est bien connu. Mais quand l'imprévu s'invite, cela tourne souvent au drame. Une petite indigestion, une pilule recrachée, un retard. Et Sara entendait un médecin lui annoncer qu'elle était enceinte. L'euphorie l'avait gagné. Elle était amoureuse et elle voulait garder ce petit bout de chou. Elle n'avait certainement pas prévu la réaction d'Alejandro. Il n'avait pas pris la fuite non. Il lui avait même dit qu'il serait présent pour l'enfant. Mais sans aucune explication convaincante, il avait décidé de mettre un terme à leur histoire. Sara avait eu le coeur brisé. De nombreuses fois elle avait pensé à l'avortement. De nombreuses fois, elle s'était raisonnée. Elle avait arrêté ses études mais n'avait pas eu le courage de l'avouer à ses parents. Ce fut donc toute seule qu'elle accoucha. Alejandro avait voulu reconnaître le bébé. Me reconnaître. Il avait juste signé un bout de papier. Et il avait promis à ma mère de verser une pension chaque mois. Voilà ce que j'étais pour lui: une simple signature et quelques liasses de billets. Quelques mois plus tard, Sara avait épuisé toutes ses économies. Elle était donc retournée chez ses parents, m'emmenant avec elle. Cela ne s'était pas fait sans cri -les Woods avaient eu du mal à digérer les mensonges de leur fille- mais ils avaient fini par accepter la situation. En avaient-ils seulement le choix?

A mes yeux d'enfant, j'avais la maman la plus belle du monde et ce malgré ses grands yeux tristes. Elle avait fini par travailler dans le magasin de chaussures. Ce n'était pas le rêve mais c'était suffisant pour payer le loyer d'un petit appartement. On était peut-être pas riche mais j'étais entouré d'amour et c'était probablement le principal. Ma mère était beaucoup plus radieuse et cela n'échappait à personne. Pas même à lui. Pourtant au départ, il cherchait surtout une paire de chaussure allant avec son costume. Il était le témoin de son meilleur ami. Ils avaient parlé. Et il était repassé quelques jours plus tard pour l'inviter à boire un verre. Tout avait été très simple avec Kenneth Hastings. Il était tombé sous le charme de ma mère et il avait fini par lui rendre confiance. En elle et en lui. J'avais seulement un an quand elle me l'avait présenté pour la première fois. Il était grand, un peu plus vieux qu'elle. En un mot: impressionnant mais à mon âge, rien n'impressionnait vraiment. De plus, il savait y faire avec les enfants. Normal me diriez-vous, il était instituteur maternel. Ha les profs. Même loin d'une école, ma mère les attirait toujours. Kenneth se révéla être un homme bien. Je l'avais très vite adopté. Et puis j'avais grandi. Les années passaient si vite. J'avais prononcé mon premier mot. Comme la plupart des enfants, j'avais dit papa. Sauf que ce papa je ne l'avais pas prononcé pour mon véritable père. Mon père biologique, je ne le connaissais pas. Et j'étais encore bien trop petit pour comprendre que Kenneth n'était pas cet homme. C'est donc sur ces genoux que je prononçais mon premier mot. Après tout, c'était lui qui m'élevait, lui qui m'aimait et lui qui rendait ma mère heureuse. Les larmes étaient d'ailleurs montées aux yeux de ma mère. L'émotion? Ou la tristesse? Je ne le saurais jamais. Mes premiers mots furent bientôt suivi de mes premiers pas. Toutes les premières découvertes sont enrichissantes et émouvantes. Surtout pour ma mère. Elle avait encore versé une larme. Son fils grandissait si vite, répétait-elle à qui voulait l'entendre. Tout se passait donc très bien. Pendant que je grandissais, la relation entre ma mère et Kenneth évoluaient aussi. Ils s'étaient mariés et m'avaient donné deux petits frères, à deux années d'intervalle: Manàel et puis Hermès. J'avais fini par rentrer à l'école maternelle et dejà je me révélais être un petit garçon fort sociable. Souriant, je jouais avec tout le monde et je n'avais aucun mal à me faire des amis. J'avais même une petite amoureuse et on avait de grands projets nous aussi. Après tout c'était un peu normal, on aimait bien jouer à faire comme les grands et à se voir marier avec des enfants. Même qu'on se faisait des bisous sur la joue. Si c'était pas mignon.

Mon enfance s'était donc déroulée sans heurt. J'étais un bon élève, mes amis étaient sincères, la complicité avec mes frères était bien présente. En gros j'étais heureux. Et je ne me posais pas vraiment de questions. Les questionnements arrivèrent cependant avec l'adolescence. L'âge de la rebellion, l'âge où on se construit une identité. Et pour le coup, j'avais du mal à construire la mienne car je ne savais pas d'où je venais réellement. Qui était cet Alejandro Moretti? Pourquoi avait-il abandonné ma mère et son bébé? Penser qu'il avait peut-être constituer une autre famille et qu'il les aimait me brisait le coeur. Pourtant j'avais tout pour être heureux. Tout, vraiment. Mais à cet âge j'étais plutôt du genre insatisfait et le tout n'était pas encore suffisant. Pourtant, je n'avais pas osé faire des recherches sur lui, et encore moins envisagé sérieusement de me rendre à son domicile afin de le connaître. Alors je me contentais de rêver à cette rencontre. Les rencontres changeaient la vie parfois. Et dès fois, on ne savait pas vraiment que ce serait le cas quand on croisait le regard de la personne pour la première fois. C'était ce qui s'était passé quand j'avais rencontré Charline. Elle avait seize ans, tout comme mon frère. Et elle était devenue sa correspondante. La tradition obligeait dans ce cas à ce que les correspondants aillent loger l'un chez l'autre. C'est ainsi que Charline avait débarqué chez nous. J'avais dix-huit ans et je venais d'empocher le bac. Pourtant, je voyais d'un mauvais oeil l'arrivée d'une demoiselle dans ma fratrie. J'avais cette peur qu'elle dérègle notre petite vie. Je m'étais bien trompé. Elle avait mis du peps dans notre petit groupe. Et bien évidemment, elle s'était rapprochée de Manàel. Je les observais d'un oeil amusé. Ils étaient beaux à voir ces deux-là. A la fin de son mois, Charline était repartie chez elle, emportant Manàel dans ses bagages. C'était à cette période qu'ils avaient concrétisé. Elle était la première fois de mon frère. Et je l'avais retrouvé assez changé, plus mature, à son retour. Il était resté en contact avec la demoiselle. Tout comme Hermès et moi. Plus le temps passait, plus Charline se faisait une place dans nos vies. J'en étais venu à la considérer comme ma petite soeur, celle que je n'avais jamais eue. Et puis elle nous avait proposé de faire un voyage. Un mois en Australie. Juste un rêve pour moi. J'avais accumulé les heures de travail au Starbuck Coffee histoire de pouvoir me payer ces vacances. Ca en plus de mes études de médecine. Parce qu'entre-temps, j'avais été accepté à Harvard, m'était engagé dans la musicologie avant de changer de cursus. J'avais donc réussi à accumuler mon job et mes études sans trop de problème et on était parti pour le pays des Kangourous. Charline avait bien changé en deux ans. D'adolescente, elle était devenue une belle jeune femme et j'avais très vite ressenti une attirance envers elle. Pourtant, par respect pour Manàel, je n'avais rien dit, j'avais caché cette vérité aux yeux de tous, même à la principale interressée. On s'était pourtant rapproché lors de ce voyage. C'était inévitable. Mais je disais à qui voulait l'entendre qu'on était juste une bande de potes, comme les quatre mousquetaire, unis envers et contre tout. Et comme j'étais l'aîné du groupe, je me devais de les protéger. A mes risques et périls dès fois. Un soir, alors qu'on était sorti et que j'avais un peu trop bu, j'avais même provoqué une bagarre. C'était une première. Et une dernière aussi. Ma nuit en cellule de dégrisement chez les policiers du quartier et l'état de ma tête écchymosée m'avaient suffi à me donner une bonne leçon. Avec Charline, on s'était quitté à l'aéroport et on ne s'était plus revu. Je continuais de garder le contact par mail et réseaux sociaux mais nos vies semblaient à présent nous séparer.

Je passais donc ma vie entre mes cours à l'université et mon job de serveur dans un starbuck coffee non loin d'Harvard. J'étais l'étudiant studieux mais aussi le bon copain, toujours là pour positiver ou encore pour aider. Pour certains, j'en devenais énervant tellement je donnais cette impression de ne pas avoir de problèmes, moi et mes sourires. Bien entendu, ce n'était pas le cas. Des problèmes, on en avait tous. Je les gérais différemment. Pour moi, ce n'était pas la peine de déballer sa vie à n'importe qui. Et puis un sourire, c'était une plus belle grimace qu'une tête d'enterrement. J'étais donc quelqu'un de normal, qu'il fallait un peu pousser pour sortir faire la fête. C'est pourtant lors d'une de ces fameuses soirées que je l'avais rencontrée. Une belle demoiselle aux yeux pétillants de malice. Elle m'avait de suite plu. Et j'avais de la chance puisque c'était réciproque. Et ce petit coup de foudre s'était transformé en belle histoire. J'avais 21 ans et cette impression que rien n'était impossible et que la vie était à nous. Elle était mon tout premier amour, un de ceux dont on croit vraiment. Notre relation avait duré deux ans. Deux ans de pur bonheur, mélangé à quelques doutes, et crises. La vie n'est jamais toute rose. Et puis, elle m'avait plaqué, comme ça, sans aucune explication. Je m'étais senti abandonné et pour cacher ma peine, je m'étais acharné sur mon travail scolaire. Mes notes avaient encore grimpé de quelques points cette année-là. Et puis la douleur était passée, tout doucement. A 23 ans, on a encore toute la vie devant soi. J'avais donc continué mon petit bout de chemin. A présent, je suis âgé de 24 ans et ma vie est toujours un peu pareille. Je suis toujours étudiant en médecine avec une mineur en musique. Et je suis toujours serveur au Starbuck Coffee. L'année prochaine, j'entamerais même un internat. Ma vie semble toute tracée. Et je suis loin de me douter qu'une demoiselle à qui je tiens énormément va venir chambouler une partie de cette petite vie. Loin de me douter que Charline étudie aussi à Harvard.