Brume matinal. Grisaille dans les cieux. Plonge la citadelle dans la nostalgie. Ombre s’échappe. AirPod dans les oreilles. Immerge la silhouette dans l’ailleurs. Garage loué ouvert sur la rue, le brun bricole sa moto. Occupe son esprit. Oublie les problèmes qui s’enchaînent. L’inquiétude qui prend de l’ampleur. Mis en parenthèse. Déchaîne sa frustration sur les pièces bricolés. Pense à l’envie de se dérober. D’esquiver les responsabilités. Lunatique garçon. Prend ce matin, le dessus. Le sombre. Celui qui le baigne dans la morosité.

@Scott Guerin/tw: ras

La sueur perlait sur mon front et coulait en fines gouttelettes le long de mon visage, mon carré était ébouriffé avec quelques mèches rebelles collées sur mes joues empourprées, et mon souffle était court et irrégulier. Je venais de quitter l'université en ayant déposé dans ma caisse, l'entièreté de mes affaires. Les pas qui s'adonnent maintenant à un petit footing de passage. Des émotions contradictoires m'assaillaient, tous les souvenirs du campus, émergeaient. Je réfléchissais à toute vitesse, écouteurs d'ipod dans les oreilles, lorsque mes prunelles tombèrent d'elles-mêmes sur sa silhouette. Ombre en plein bricolage. Instinctivement, le sourire fend. Ma silhouette s'approche doucement, surplombe son dos large. Aucun mot, juste un petit raclement de gorge pour marquer ma présence.

Se lie sur ses traits, la concentration. Il ne l’entend pas arriver. L’intruse. Ni ne l’entend. C’est cette sensation qui l’éveil. L’intuition qu’une ombre pèse derrière son dos. D’abord, il ne dit rien. Se contentant de mettre un terme à ce qu’il faisait. Alors seulement, il tourne son profil. Découvre la silhouette en jogging. Les joues rougies par l’effort. Détournant ses orbes d’elle, il retire calmement ses airpod. “T’sais, les gens normaux disent bonjour, avant d’se ramener.” De sa place, il se redresse. Contournant la brune, il attrape un chiffon sur une caisse pour essuyer ses mains tâchées. Enfin seulement, il revient à elle.

@Scott Guerin/tw: ras

Présence enfin démasquée, sourire qui loge le coin des lèvres lorsque son ovale tourne vers le mien. — Les gens normaux... Pulpeuses qui répètent sa phrase, posant l'accent parisien sur le dernier mot. — Je ne suis pas normale alors. Âme touchée dans le mille. Pas qui s'éloignent et trouvent refuge sur un grand pneu, laissant l'ombre dans l'incompréhension. Assise, je remonte une jambe sur le pneu, les prunelles rivés sur la ferraille. Ça remonte à tellement loin, la dernière fois que j'ai grimpé sur sa bécane. Son moteur, un cœur battant dans la nuit, au rythme des étoiles qui luit. Le ronron devient un refrain et lui, le motard, chevauchant agile, à travers l'horizon. Cherche dans les méandres de mes souvenirs, l'image de mes courbes parfaites, à l'arrière de sa moto. — Fascinante... Elle n'a pas changé cette bécane.

« Apparemment » Eclat malicieux qui rapidement disparaît. Pas d’humeur à plaisanter. À trouver un quelconque intérêt en faisant le con. Mains essuyées. Tache de graisse le chiffon. S’approchant de sa caisse à outil, il le laisse retomber dedans. Trouve le regard perdu de la brune. Perchée sur un pneu, l’air ailleurs. Résonne alors les mots. « Tu trouves. » Rive son regard dessus.

@Scott Guerin/tw: ras

Le proche et le lointain se confondent, dedans et dehors glissent l’un dans l’autre, les souvenirs. Le regard hypnotisé par sa bécane, l'envie de réveiller à nouveau ces souvenirs. — Je trouve. De l'extérieur en tout cas. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue de l'intérieur. Scott et sa moto, grande histoire d'amour. Il en prend toujours autant soin. C'est elle, sa véritable meuf. Son bébé. Battements de cils qui cherchent aussitôt le regard de l'ombre. Le trouve et s'y accroche. La pulsation qui résonne dans ma tête, résonne par-delà mon âme qu’elle enlace. Qu'est-ce que je fous là en fait ? Fesses qui se redressent du pneu. — J'ai l'impression d'avoir interrompu ton tête-à-tête. J'vais y aller. Brise de vent qui me tord la peau, pas le courage de réclamer une nouvelle balade sur sa ferraille.

« Pourquoi tu t’es arrêté ? » Question résonne. Les orbes vert feuille toujours rivées sur elle. Sur un tas de caisses vides, il vient prend appuie. Croise les bras devant lui. Retombe sur le haut de ses cuisses, ses poignets, tandis qu’une jambe se met légèrement en avant pour prendre appuie. « Juste pour m’dire qu’elle a pas changée ? »

@Scott Guerin/tw: ras

Pas qui stoppent leurs courses à l'entrée, question fatidique posée, celle à laquelle je n'y étais pas vraiment préparée. Une lueur de folie traverse mon regard, juste avant de pivoter ma carcasse, portant toute mon attention sur l'ombre. Que suis-je censé répondre ? Mensonge ou vérité ? — Non... Mot pensé trop fort. — Je me suis juste arrêtée... En vrai, j'ai juste laissé mes pas me guider mécaniquement vers lui. Le corps s'approche dangereusement du sien, caresse du bout des ongles, les courbes de sa bécane. — Il doit forcément y avoir une raison ? Reprends ses propres mots, il aime bien me la sortir cette phrase, n'est-ce pas ?

Le diable dans les doigts. Glisse sur la mécanique. Avance à pas silencieux vers son ombre. Ses mots dans sa bouche. Questionne sans le regarder. Il les reconnait. Les siens. Léger ricanement. Trop subtil pour vraiment s’appuyer dans l’atmosphère. “Dis moi que y en a aucune” Les traits redevenues sérieux. Ecarte de ses lippes, le sourire. Appose franchement son regard sur elle.

@Julia Steiner

@Scott Guerin/tw: ras

Piégé dans son regard, il arrive toujours à me clouer le bec, à m'ôter les mots, à me mettre dans une situation que je ne contrôle guère. Pressant ma lippe inférieure, je lève l'ovale dans un hochement de tête. — Il y en avait aucune, les minutes précédentes. Mais maintenant... Douce amertume, je ne voulais pas entrer dans les détails de mes souvenirs, ceux qui remontent en mon être. Pas qui stoppent devant sa carrure imposante. Les yeux qui se perdent dans les siens. Duel des regards sombres. — Tu me fais un tour sur ta bécane ? Demande docile, les cils battants et le regard mielleux. Paume qui tapote délicatement sa faraille.