Si elle a gardé la tête haute, si elle a réussi à répliquer à Wendy, c’était seulement pour éviter de s’effondrer. Désireuse de ne pas se montrer faible face à elle. De lui prouver qu’elle a confiance en Sheng et que rien ne saurait – à présent – contrer ça. Elle a été fière, même, d'avoir réagit de cette manière là. Pourtant tout ce qu'elle insinuait lui donnait la nausée. Mais maintenant qu’ils rentrent tous les deux dans la chambre qui est la leur, elle en a comme un poids lui compressant le cœur.  

Durant presque tout le trajet, elle a gardé le silence, commentant à peine le paysage ou leur activité, comme elle avait pu le faire lors de leur soirée de « saint Valentin » décalée. A ruminer les informations, à se refaire les dialogues mentalement, les différentes réactions. En particulier celles de son compagnon. Et parce que fuir les conflits, jouer sur les mots et l’honnêteté fait partie intégrante de son caractère, elle n’est même pas étonnée qu’il n’ait pas cherché à se justifier. C’est simplement sa façon d’être, de fonctionner.  

En quelques pas la brune s’approche de la table de chevet, récupère un élastique afin d’attacher ses boucles d’un mouvement habile. Sans le regarder, elle se dirige à présent vers sa valise, récupère de quoi se changer, « Tu me préviendras quand tu voudras en parler, » quand tu auras trouvé des arguments qui pourraient justifier les révélations de cette journée et toujours aucune œillade à son intention décochée, « en attendant je vais me doucher. » Peut-être que l’eau saura, pour elle, calmer, le bouillon de ses pensées.

Elle traverse la chambre, franchit la porte de salle de bain, elle se conditionne tout en posant ses affaires sur la surface à côté du lavabo. Tente de maitriser les tremblements de ses mains dû à son agacement croissant. Et tout en retirant la première couche de ses vêtements, elle expire en fulminant, sa présence dans son dos, elle la ressent. « Parler ? » Articuler des mots oui, normalement c’est ce qu’on fait lorsqu’on est en couple et que l’un des deux est contrarié. La communication, il paraît que parfois, ça peut aider. Apaiser les tensions et rassurer l’autre sur son affection.

Pour toute réponse à son interrogation, elle secoue le visage et se refuse toujours à l’affronter, peureuse quant à ce qu’elle pourrait lire dans son regard, tous les non-dits de leur histoire. « Tu sais que ce n’est pas mon fort. » Bien sur qu’elle le sait, leur relation, ce n’est pas d’hier qu’elle est datée. Ca fait trois ans qu’elle s’en est amourachée, dès le départ elle ne pouvait pas se méprendre sur ses façons de fonctionner… Directement dans l’action, à bousculer l’entièreté de ce qu’elle avait pu expérimenter avant lui. Néanmoins tout comme elle le connaît par cœur, lui a parfaitement conscience qu’elle est du genre à se contenir jusqu’au point de non-retour… Et lorsqu’elle dégoupille, peu de choses arrivent à l’arrêter. « Parler non, » elle confirme comme si ça en valait la peine de le faire et poursuit sur sa lancée tout en déboutonnant son jean avec difficulté parce qu’elle bute sur l’attache et ça lui fait on ne peut plus chier, « Mais me faire passer pour une conne par contre… » Pour ce faire, là, l’étudiant est expert en la matière.

Derrière elle, elle entend le martèlement de sa paume contre le bois, et même si elle s’attendait à une réaction de ce genre, un léger sursaut l’étreint. « Tu n’passes pas pour une conne… » Un soupir mauvais s’échappe des lèvres amérindiennes, si elle n’est pas passée pour une idiote à prôner sa confiance en lui, à croire que depuis qu’elle lui a demandé, il ne lui a plus jamais menti, il faut qu’il lui explique dans quel cas elle se sentirait plus stupide que maintenant. Enfin… Le scénario pire que celui-là, elle ne le connaît que trop bien. S’il s’était aventuré dans le creux d’autres reins.

Pourtant, alors qu’il lui assure, elle ne peut se retenir de songer que c’est un nouveau mensonge à ajouter, « Parce que je n’ai rien fait. » D’accord, il ne l’a pas trompée, au moins, elle peut s’en rassurer… Mais et le reste ? Tout ce qui fait qu’en profondeur, ça la blesse ? Son corps traduisant pour elle, en quelques tremblements, le refus des paroles qu’il a énoncé, elle termine de retirer son pantalon, avant de se retourner et de lui faire face, s’indexant pour appuyer ses mots, « Moi, Sheng, » étrangement, ça lui donne des envies de pleurer, victime de sa colère autant que de sa nervosité, de fait, elle achève rapidement son idée ; « Moi je n’ai rien fait. » Même lorsque leur relation était au plus mal, elle n’a jamais bronché, loin de l’avoir trahie, elle pas bougé. C’est simple, en réalité ; Sur la liste des rendez-vous qu’elle a eu, des hommes qu’elle a connus… De prénom, il n’y en a qu’un, le sien.

Dans sa tête plus rien ne va, pourtant elle tente de se raisonner, de ne pas remettre en question toute leur histoire parce qu’elle refuse de croire qu’entre eux ce ne soit pas du concret. Les pièces du puzzle se mettent en place petit à petit, et forcément, elle en revient à cette Saint Valentin et aux jours durant lesquels il était absent, juste avant. Conne, vraiment. « Mais moi non plus. J’ai, » piètre façon de se justifier, elle le déclare d’avance bancal, son plaidoyer.

Elle l’observe, cherche à comprendre les mots que trahissent ses gestes, elle souhaite le lire puisque parler n’est pas son fort… Sa paume sur son visage, cela veut-il dire qu’il regrette ? « Tu veux vraiment l’savoir. » Evidemment, même si elle n’est plus sûre d’arriver à le croire maintenant, « J’ai participé à cette expérience sociale parce que je doutais. » De quoi ? D’eux ? D’elle ? « de moi, » De l’affection qu’il lui porte dans ce cas. « Un pari, c'était tout. » Mais pour elle, ça veut dire beaucoup. Alors pour rétorquer, elle ne tergiverse pas, elle l’invective sur le rythme de son martèlement du bois, « Et ce que t’as gagné c’est que maintenant c’est moi, qui doute de toi. » Parce que la confiance elle était là, bel et bien revenue, malgré tout, de sa sincérité, elle en était convaincue. Même l’épisode du jacuzzi, elle avait quasiment réussi à l’effacer.

Avant, elle supportait sa propre crédulité, à présent ça la débecte de se sentir si bête, « Pense à l’inverse, » si les rôles étaient échangés, si c’était elle qui avait décidé d’y participer, si elle s’était laissé aller à rencontrer des inconnus, à chercher à les draguer, à désirer les charmer, « Ose me dire que tu ne me jetterais pas. » Si avec des mensonges, elle l’avait bercé.

Malgré tout, c'est stupide, elle peine à réaliser que le venin craché par Wendy soit avéré… Un refus de croire qu’il aurait pu lui faire ça, pas après les derniers mois. Mais d’entre toutes les réactions que Sheng aurait pu avoir, il opte pour celle qui lui glace un tantinet le sang. A son tour de se pointer du doigt, mais si elle hurlait à avoir envie de pleurer, lui sourit et prend la chose à la légère, se moque ouvertement d’elle qui semble manque d’air. « Me jeter ? » Comme si c’était vraiment impossible à imaginer. Bien sur qu’elle ne le fera pas, son affection, elle est plus forte que ça. Mais il n’empêche qu’elle est blessée, une énième fois. « pour un truc que j’ai laissé tomber en cours de route ? » Pour ça et pour ce que ça génère et qu’à l’évidence, tu ne vois pas. « T’es pas sérieuse. » Alors c’est instinctif, comme ses traits se parent du dégoût autant que de la souffrance, de son désir de violence. « Fous toi de moi, vas-y. » au point où il en est, elle n’est même pas surprise en réalité. Les émotions qu’elle peut éprouver, il tend toujours à les tourner au ridicule, à les minimiser.
Et elle ? Elle est la fille naïve, elle est celle qui pardonne tout, jusqu’à la nuit qu’il a passé avec la fille qui adore la brimer, même s’ils n’étaient pas ensemble, il avait parfaitement conscience de ce que ça lui ferait. Elle est la tolérance. Celle qui lui a signé à maintes reprises son appartenance. « Pour le truc que t’as lâché en cours de route, pour les mensonges que ça a engendré, pour me penser tellement acquise… » qu’il se permet de jouer jusqu’à l’excès. « Je t’ai demandé de ne plus me mentir. » Il y a deux ans, lorsqu’il est venu la récupérer. Pour que la confiance, de se reconstruire, ait une chance. .