Un grand mariage, c’est la pensée qui ne la quitte pas depuis qu’ils sont arrivés. Sur quatre jours avec un nombre incalculables d’invités. Jeudi soir le diner de répétitions, qu’elle a vécu avec une tendre émotion, vendredi la soirée d’enterrement de vie de célibataire, qui aurait pu lui provoquer une crise d’urticaire, puis aujourd’hui la cérémonie, et demain un brunch aux jardins. Un château en décor, des chambres démesurées pour les convives les plus privilégiés. Quelque part ça la fait rêver, être en Espagne, sa cavalière, pour le mariage de son meilleur ami, forcément, à leur couple, elle réfléchit, au futur aussi. Ils ne sont peut-être plus en passe de devenir parents mais sa vie, elle ne la voit qu’avec lui. Même si elle n’a jamais songé se marier de cette façon là, liant l’extravagance et l’élégance, chez elle, c’est beaucoup plus simple, et évidemment, ça lui va. A chaque nouvelle tradition, attraction qu’elle voit ici, ça lui fait regretter celles qui régissent les unions à la Wind River. Et sans avoie été invitée en tant que demoiselle d’honneur, Valentina l’a tout de suite adoré – avec cette passion hospitalière que possèdent les hispaniques – si bien que c’est comme telle qu’elle a été traitée. Alors assise au milieu de toutes les filles qui vont composer le cortège, l’amérindienne observe en silence, une coupe de champagne en main, tandis que la mariée finie de se préparer.

Valentina. C’était elle depuis le premier jour. Comme prévu. Comme ça devait arriver. En fait, je ne suis même pas étonné de me retrouver à devoir vivre cette journée. J’suis même satisfait, bienheureux, comme un idiot qui a finalement décidé de prendre sa place. Finalement, tout se déroule comme c’était prévu, depuis le début.
Les doigts sur ma cravate, le regard fixe dans le miroir, je lance un sourire de crétin à mon fidèle copain. Il a eu une promotion aujourd’hui, perso, je trouve que le rôle lui va bien, faut dire que je ne voyais personne d’autre pour endosser le costume de témoin. « T’as simplement la gueule de bois ou t’es contrarié ? » C’est-à-dire que la veille, on l’a un peu arrosée, ma dernière soirée. « Attends laisse moi deviner. » alors que je noue enfin le tissu autour de mon cou, métaphore de la laisse que la mannequin va me passer. « Soit Haiwee t’a fait une scène pour la stripteaseuse, » ce qui est légèrement plausible vu la douceur de la brune, mais la jalousie… ça fait ressortir le côté sauvage, cela dit, « ou alors elle espère attraper le bouquet et ça te fait flipper. » Des deux maux peut-être le moindre.

Très sincèrement, personnellement, je n’aurais pas parié sur moi, mais j’y suis et je trépigne d’impatience, en fait, je n’attends que ça. Prononcer ce « oui » significatif destiné à Valentina. Enfin avant de le faire, j’aimerais bien qu’il ne me donne plus l’impression d’être en plein enfer. C’est jour de fête, et mon témoin, lui, fait la tête. « Les quatre, » Ah oui quand même. Si pour ma part en le questionnant, je déconnais, lui, ce n’est pas le cas. C’est sur un gros truc que j’ai foutu le doigt. Donc je récapitule, histoire de gérer un problème à la fois… La crise pour la strip, la menace de demande en mariage associée au bouquet, il est contrarié et a la gueule de bois. Le pack idéal pour une bonne ambiance.

Les mains jointes, je m’apprête à argumenter, comme l’avocat que j’ai toujours voulu être, même si je bosse à présent dans les bureaux d’Iberdrola. « Tu ne m'as pas dit ce qui t'avait décidé... » Pourtant, je trouve que c’est plutôt évident. « Ah ça, » c'est le miracle de l'amour, Sheng, tu ne crois pas ? Railleur dans un premier temps, « est-ce que tu l’as vue, ma future femme ? » comme si sa beauté était suffisante pour me convaincre, et puis étouffer un rire en allant sur le côté, me servir un verre du whisky pur malt présent sur la desserte, « T’en prends un ? » combattre le mal par le mal, « puis la trentaine qui arrive à grand pas, » dans quelques jours plutôt que quelques mois, fallait bien que je lui passe, cette bague aux doigts. Puis déversant le liquide ambré dans les contenants en cristal, et je retrouve mon sérieux après avoir bu une gorgée. « C'est simple pourtant. T’en connais beaucoup qui seraient restés après toutes les conneries que j’ai fait ? » ce n'est pas une bague qu'elle mérite, c'est une médaille.

Aucune ne serait restée, voilà la seule et unique vérité. Il n’y a qu’une personne amoureuse de manière inconditionnelle qui peut être capable de supporter ça. Et je vais sûrement culpabiliser toute ma vie pour ce que je lui ai fait subir durant pendant presque quatre ans. C’est peut-être pour cette raison qu’elle a maintenant l’assurance que je vais toujours la faire passer en premier, parce que je les aurais à jamais, les choses à rattraper. « L’amour est aveugle qu’on dit. » Ca me fait sourire, si c’est le cas, j’estime que j’ai de la chance qu’elle le soit. La célébration du jour me rend fleur bleue, il faut croire. Véritable petit canard.

Et parce qu’il en a gros sur la patate, je ne dis rien le temps qu’il entame l’ingurgitation de son poison. Et je prends conscience à sa nouvelle réflexion qu’elle ne lui convient pas, ma justification. Qu’il a besoin de plus, comme s’il attendait une véritable révélation. « Oui enfin tu ne lui as pas tout dit non plus… » Ce n’est donc plus mon mariage aujourd’hui, on vient de basculer sur mon procès. Légèrement amer face à ses manières de m’accuser, je bois une autre gorgée afin de faire passer l’aigreur, justement. Mon index se décollant de mon verre, je le pointe pour marquer un tant soit plus son erreur. « C’est là que tu fais fausse route. » Valentina sait. Sans honnêteté, ça ne sert à rien de se lancer, même si je garde quelques secrets. « Si tu parles de Lex, en tous cas. » Celle après laquelle j’ai couru quasiment toute une année. Mon whisky, je le termine d’un trait. « Mais je suis rentré et j’ai fait un choix. » Et je l’épouse, mon choix. « Oh ce n’est pas une sainte hein, elle ne voulait plus de moi, et j’ai pris quelques baffes. » Toutes méritées. « L’idée de la perdre… » je lui sers un rictus, grimace, afin d’illustrer le côté désagréable de cette possibilité. Quand Lex a décidé de ne plus me voir, je l’ai supporté même si ça me faisait chier, l’égo de mâle écorché. En ce qui concerne Valentina, c’était un supplice que je ressentais. C’est là que j’ai su que je l’aimais, c’est ce qui m’a décidé. Le grand mystère de l’amour révélé.

Pas doué pour parler d’amour, certes, mais je peux clairement me vanter de l’être un peu plus que mon ami d’enfance. Alors oui, j’en suis à ce tournant de ma vie où j’ai décidé qu’il était temps, qu’il me fallait assumer le fait d’être tombé amoureux d’elle il y a de ça des années, bien que je l’aie longuement nié. Cela dit, le truc qui déconne dans notre aparté, c’est que je ne sais toujours pas s’il est convaincu par mon plaidoyer. D’ailleurs, il reste toujours pensif, comme s’il faisait face à de véritables dilemmes, quand pour ma part, je croyais que c’était le bonheur – ou presque – avec son amérindienne. « On en est tous là… » il prononce pensif et je me fends en un sourire quasi moqueur, on croirait que c’est une vive torture pour lui d’avouer qu’il craint de la voir s’éloigner. Moi, pourtant, j’en suis au point de me dire que ce n’est pas près d’arriver, si c’était une possibilité, Haiwee l’aurait déjà quitté. A moins que j’aie loupé un détail, une connerie qu’il a faite, depuis que je suis rentré.

Mais tandis qu’il se retourne, il reprend au sujet de ma femme, de sa beauté, « Mais oui, je l’ai vue Valentina. » la fierté venant doucement habiller mes traits. Elle est parfaite, et pour le coup, j’assure que je ne suis pas aveuglé. Affreusement honnête. « Hier soir, dans ma chambre. » Face à son regard vicieux, je craque un rire gras, « Non, non, je ne crois pas. » Comme s’il était nécessaire de contrer son affirmation, et dans un mouvement négatif je vire cette image de ma raison. Et pour ne pas qu'elle s'installe vraiment, je change vite le chemin de la conversation. « Mais parlant de femmes qui ont partagé ton lit, » bien que ça me donne l’envie irrationnelle de lui foutre mon poing en pleine gueule, rien qu’à l’évoquer, « t’as pas peur ? » j’attaque sur le même terrain, avec les mêmes armes… Et lui laisse le loisir de réfléchir à ce qui saurait engendrer son effroi, se rajoutant à tous les soucis qu'il a déjà, « Haiwee est actuellement dans un espace réduit avec ma sœur. » et si les détails de leur nuit ont su être évité jusque-là, je doute de la capacité de Lola à tenir ses lèvres scellées et ne pas parler de leur exploit.  

« Ça fait longtemps, y’a prescription. » Tu parles, si je suis encore rancunier parce que tu la sautais – nom de dieu j’ai encore des envies de le frapper - , tu devrais savoir que la jalousie c’est le genre de sentiment qui peut traverser des décennies. « J’veux pas te vexer mais elle a dû en avoir d’autres depuis, » S’il ne voulait pas me vexer, fallait y songer il y a quelques années. Le soir où il a franchi cette limite, braver l’interdit. « Que tu dis. » Ma sœur est une sainte, et je préfère me convaincre qu’elle est chaste depuis. « Mais je ne doute pas que t’aurais souhaité m’avoir en beau-frère. » Au moins, en l’épousant, il aurait réparé son outrage à agent. « Faudra te faire une raison. » Je rigole, pas de façon sincère mais plus pour la forme quand je vais lui souligner que, « C’est le moins que tu aurais pu faire. » que je balance avant l’intervention de mon père.

J’en porte mon verre à mes lèvres, accueillant mon paternel d’un signe de la tête, " Les alliances ? " toujours plus soucieux que moi, et ne nous faisant pas confiance, ni à Sheng, ni à moi. Aux deux ados qu’il a dû subir durant de nombreuses années. J’peux pas lui reprocher. Si le stress est élevé pour ma femme, je crois que mon père est celui qui craint le plus que cette journée se transforme en fiasco organisé. « Je les ai. » il annonce après avoir sous peser sa poche, j’en soupire, trahissant le doute que j’ai pu ressentir. Mon géniteur satisfait disparaît et Sheng reprend avec un aveu qui pourrait me contrarier. « Mais pas là. » Pour le coup, ce n’est drôle qu’à moitié. « J'voulais pas qu'Haiwee fouille mes affaires et tombe sur la bague. Elle se serait faite des idées. » Je me mets à rire de façon instantanée. Je ne sais pas s’il est irrécupérable ou tout bonnement taré. Ou encore si je connais aussi peu Haiwee. Car je n’avais pas l’impression que ce qu’elle désirait c’était à tout prix se marier, de son point de vue, le piéger. Si elle avait voulu le faire, elle aurait tenté au moment où le bébé était d’actualité… « Putain, » que je balance en terminant mon whisky d’un trait, je ne sais pas si c’est drôle ou bien … qu’il ne soit absolument pas serein, le copain. « ça te fait peur à ce point ? » de devoir réellement s’engager alors que dans le fond, faut être con pour ne pasvoir qu'il l’est. « Ca fait combien de temps tous les deux ? » Pour que l’espoir – ou la menace – de demande en mariage soit si planant sur eux. Mais avant qu’il ne réponde, j’ordonne, « On va les récupérer avant que je regrette de t’avoir choisi pour témoin. »