Je réfléchissais beaucoup trop, ces temps ci, et depuis mon retour d'Hawaï, je ne savais plus où donner de la tête, entre la fin de l'année, les enfants, le Summer Camp qui approchait, ma relation avec Esteban qui semble avoir nettement évolué depuis Hawaï... Et le retour de Billie, que j'avais clairement refusé d'accepter, malgré la tentative de Jude de me faire accepter la chose une fois qu'il fut également mis au courant. Mais je refusais de voir les choses en face. C'était trop douloureux, malgré le fait que Jude marquait un point en soulignant un détail : Ma meilleure amie était revenue, si l'on peut dire, de chez les morts. Je sais que je devrais m'en réjouir, mais ce goût de trahison restait le plus fort, et entêtée comme j'étais, je préférais camper sur mes idées, et ignorer Jude. Le pauvre... Je lui avais raccroché au nez. Quelques jours plus tard, je profitais de mes derniers jours avant le Summer Camp, et donc, mes derniers jours en compagnie d'Aaron, qui partait pour Key West avec son père. En compagnie du petit et de sa soeur, Aylin, je me rendais alors au parc de Cambridge Common. Pour une fois que la journée était ensoleillée, je comptais bien en profiter. Déposant soigneusement une couverture sur l'herbe, j'installais les enfants au centre avec leurs jouets... Enfin, surtout ceux d'Aaron, Aylin était encore bien trop petite, si bien que je la gardais dans mes bras tout en regardant le petit jouer, un fin sourire sur les lèvres.

Les événements s'enchaînaient depuis quelques jours autour de moi. Les jours ressemblaient à des tornades qui engouffraient ma vie et bousculaient mon quotidien devenu trop monotone durant l'année passée. Une chose était sûre : la monotonie avait été réduite en miette et le mode de vie mouvementé que je connaissais depuis mon enfance s'était enfin remis en place. De nouveau, je devais m'habituer à être entourée de monde, à partager un supermarché avec d'autres usagers, à me promener à l'air libre sans me soucier de quoi que ce soit. C'était d'ailleurs ce que j'avais décidé de faire aujourd'hui. Le temps était somptueux, pas un nuage à l'horizon, le ciel bleu pur, du genre à vous mettre automatiquement du baume au cœur. Vêtue d'un short rouge, d'un débardeur blanc et de spartiates basses, je poussai mes lunettes de soleil sur mon nez et m'engouffrai dans la chaleur du mois de Juin. Boston était la ville la plus agréable que je connaisse, l'été. Ayant vécu à San Francisco et New York, les températures estivales avoisinaient souvent les quarante-cinq degrés. Ici, la chaleur n'était pas étouffante, elle restait agréable, même en plein zénith. Le vent soulevait mes cheveux, m'arrachant un sourire. La sensation d'être enfin libre m'envahissait régulièrement et me faisait perdre tout contrôle de mes émotions. Dans le parc, j'arpentais les allées sans me soucier du moindre détail, profitant simplement de cette tranquillité que je n'avais pas ressentie depuis bien trop d'années. Mon petit bonheur passager m'éclata au visage lorsque j'aperçus Roxanna assise sur une couverture, me tournant le dos. Immédiatement, l'anxiété s'infiltra dans mes muscles et plantée comme un piquet dans l'allée, ma jambe se mit à bouger nerveusement. Quand mes pieds recommencèrent à avancer, je ne contrôlais plus rien. C'était instinctif. Car Rox n'était pas seule. Un enfant était assis à côté d'elle, jouant en éclatant de rire régulièrement. En m'avançant un peu plus, je me tétanisai. Dans ses bras, Rox tenait un bébé âgé de quelques mois à peine. Dès que mon regard se posa sur l'enfant, quelque chose se tordit en moi. J'étais à peine à deux mètres d'elles et je pouvais nettement voir l'éclat caribéen qui illuminait son regard. Mon cerveau rejeta automatiquement la possibilité qu'il s'agisse de sa fille. Je refusais d'avoir manqué cette étape si importante dans sa vie. Non, c'était certainement une enfant qu'elle gardait de temps en temps.

Plus les jours passaient, plus j'avais l'impression qu'Aaron grandissait plus vite que la lumière. Il y a une semaine à peine, il m'avait appelé maman. Maladroitement, un simple babillage, mais il l'avait dit, et ça m'avait fait chaud au coeur. L'idée même d'élever ce petit et de ne jamais rien représenter pour lui me tétanisait, mais non... Tout allait bien. Alors que le petit jouait tranquillement au milieu de la couverture avec une peluche, je m'occupais avec soin d'Aylin, qui elle, faisait ses premiers sourires, de magnifiques sourires. Ses grands yeux bleus posés sur moi, je caressais sa joue jusqu'à ce que j'aie la désagréable sensation d'être observée, chose que je n'appréciais pas particulièrement. Je relevais mon regard de la petite, tout en serrant cette dernière contre moi, jusqu'à ce que je rencontre le regard de Billie. Décidément.. Mon souffle se coupa. Elle semblait confuse, et pour cause, sans doute était-elle en train de s'interroger sur la nature de ma relation avec ces deux enfants. Aaron commençait à s'éloigner de la couverture pour aller jouer avec l'herbe. Je détournais mon regard de la jeune femme pour rattraper le petit. « Aaron chéri viens voir maman! » Immédiatement, le petit s'arrêta, et revint à quatre pattes vers moi, me tendant sa peluche que je prenais délicatement avant de lui tendre à nouveau. Sans même regarder Billie, je lui dit amèrement « On dirait que t'as vu un fantôme. » Plutôt comique quand on sait que c'est moi qui devrait être dans ce cas plutôt. Je passais de nouveau ma main sur le visage de la petite, attrapant ensuite sa petite main dans la mienne. « Oui, c'est ma fille. En un an on loupe facilement les trucs les plus importants » Ajoutais-je d'un air dédaigneux, sans même relever les yeux.

Je savais pertinemment que Roxanna allait finir par me remarquer ; après tout, je ne me tenais qu'à un mètre d'elle, deux tout au plus. Pourtant, je ne réussissais pas à me convaincre de bouger de là. J'avais besoin de savoir. Comme je m'y attendais, elle se tourna et quand son regard rencontra le mien, je faillis partir en courant. J'étais encore blessée de sa réaction pendant nos retrouvailles et je n'étais pas prête à vivre un second round. J'observai les enfants tour à tour, écartant la possibilité que celui qu'elle venait d'appeler Aaron soit son fils. Il était trop grand, je ne m'étais pas absentée depuis tant de temps. Pourtant, quand elle s'identifia en tant que 'maman' en l'appelant, j'eus une drôle de sensation au creux de l'estomac. Impossible de décrocher mon regard de la petite blondinette qu'elle tenait dans ses bras. Je voulais absolument que ça soit faux, mais j'étais persuadée qu'il ne pouvait s'agir que de sa descendance. « On dirait que t'as vu un fantôme. » Très drôle. C'était un peu le même genre de choc, en fait. J'allais lui demander si mes soupçons étaient corrects, quand Rox reprit la parole sans attendre. « Oui, c'est ma fille. En un an on loupe facilement les trucs les plus importants » Malgré le choc qui manqua de me tétaniser suite à la nouvelle, je me redressai et croisai mes bras sous ma poitrine, agacée. J'avais beau aimer Rox de tout mon cœur, son attitude était en train de me faire perdre patience. Je soupirai un grand coup et ne pus empêcher les mots tranchants de franchir la barrière de mes lèvres. « Tu peux éviter de dire ça comme si c'était de ma faute ? » Je fis le tour et vins me planter face à elle, bras toujours croisés. Je l'avais laissée ruminer sa colère assez longtemps, maintenant je ne lui laisserais plus le choix. Elle allait m'écouter, qu'elle le veuille ou non. Le choc de nous revoir étant passé, j'avais les idées plus claires et je savais ce qu'il était impératif de lui dire. « Quand tu auras cinq minutes et que tu voudras bien arrêter de te comporter comme une gamine, j'aurais deux ou trois choses à te dire. »

Je savais que je l'avais choquée, et d'une certaine manière, j'en étais contente. Je voulais que Billie sente combien je lui en voulais, d'avoir disparu si longtemps, d'avoir loupé ma grossesse, la demande en mariage de Jude, notre séparation. J'avais passé une semaine sur une ile avec les autres Eliots, abandonnée et apeurée. Toutes ces choses que je n'avais pas pu lui dire, parce que je la croyais morte. Alors, juste retour des choses, je lui balançais froidement qu'Aylin était bel et bien ma propre fille. Billie, toujours plantée devant moi, croisa les bras avant de me toiser d'un air accusateur. Du moins, c'est ce que je pensais rien qu'à l'entendre, puisque je ne la regardais pas sur le moment. « Tu peux éviter de dire ça comme si c'était de ma faute ? » Je tournais la tête vers elle, l'assassinant du regard. Ah parce que c'est moi la fautive maintenant ? Elle commença alors à se déplacer pour se planter face à moi, bras croisés, air déterminé. Dear lord, ça va recommencer. Je n'étais pas prête à affronter ses histoires de pole nord plus longtemps. « Quand tu auras cinq minutes et que tu voudras bien arrêter de te comporter comme une gamine, j'aurais deux ou trois choses à te dire. » Nouveau regard assassin. « Quoi Billie, tu t'attendais à ce que je te fasse un magnifique sourire en te racontant le détail de ma grossesse ? » Belle ironie quand on sait que j'ai donné à ma fille en deuxième nom Billie, en l'honneuur de sa "tatie" morte. Loul. Je posais délicatement la petite allongée dans la couverture, gardant un oeil sur elle en cas ou Aaron ferait un geste brusque, puis je relevais mon regard vers Billie, lui répondant froidement. « J'ai cinq minutes. »

« Quoi Billie, tu t'attendais à ce que je te fasse un magnifique sourire en te racontant le détail de ma grossesse ? » Je levai les yeux au ciel, exaspérée par son comportement. Sérieusement, elle ne trouvait pas qu'elle poussait le sarcasme un peu loin, là ? J'avais été prête à accepter la colère sous le choc, mais la méchanceté gratuite, je ne la cautionnerais pas. Elle posa sa fille sur la couverture et, rongée par la colère, je n'eus même pas l'occasion de m'attendrir de ses gestes délicats. « J'ai cinq minutes. » Je pris une seconde pour soupirer, tentant en vain de calmer mes nerfs. Je devais me rappeler en boucle qu'il s'agissait de ma meilleure amie sous mes yeux, pas de quelqu'un que je détestais. Quoique, pour le moment, elle penchait plutôt dans l'autre balance. « Tu commences sérieusement à me taper sur les nerfs avec ton attitude. Si j'avais su que tu réagirais comme ça, je n'aurais même pas cherché à te revoir. » Bon, ok, les deux fois où j'étais tombée sur elle, c'était par accident. Mais le principe restait le même, je comptais bien aller la voir un jour. « Tu te fous complètement de ce que j'ai vécu, tout ce que tu vois c'est que tu as souffert. Excuse-moi de ne pas avoir pu épargner mademoiselle, mais si je l'avais fait, je serais probablement réellement morte, à l'heure qu'il est ! »

Je l'avais énervée, bingo. Est ce qu'elle avait conscience au moins de ma colère présentement ? Surtout de la voir bouche bée devant Aylin, elle croyait quoi, que la planète s'était arrêtée de tourner pendant ces un an que j'avais passé sans elle? Malheureusement, non, j'avais même du apprendre à vivre douloureusement en ayant sur la conscience que je n'avais pas été foutue de sauver ma meilleure amie. Oh, ben de toutes façons, tant pis, elle n'était même pas morte. « Tu commences sérieusement à me taper sur les nerfs avec ton attitude. Si j'avais su que tu réagirais comme ça, je n'aurais même pas cherché à te revoir. » - « "Cherché à me revoir" ? » Reprenais-je avec un sourrie sarcastique. C'est moi qui lui avait couru après dans ce bar, alors qu'elle s'enfuyait après y avoir foutu le bordel. Qu'est ce qui me disait qu'elle voulait me revoir ? J'étais d'autant plus blessée de l'entendre dire ça . « Tu te fous complètement de ce que j'ai vécu, tout ce que tu vois c'est que tu as souffert. Excuse-moi de ne pas avoir pu épargner mademoiselle, mais si je l'avais fait, je serais probablement réellement morte, à l'heure qu'il est ! » Je levais les yeux vers elle, bouche bée. Je me redressais pour lui faire face, les traits tirés ... Par quoi? De la haine ? Du dégoût ? Ou plutôt une profonde tristesse. Elle n'avait pas idée de combien j'étais en colère, parce qu'elle m'avait terriblement manqué. « Billie, je t'ai crue MORTE. Pendant UN AN. Et d'un coup, j't'attrape dans un bar et tu me demande comment je vais, m'expliquant au passage que tout ce que j'ai cru vrai pendant un an était faux. Est ce que tu as une idée de combien j'ai culpabilisé à l'idée de t'avoir laissé partir du Summer Camp ? Alors oui je pense à combien j'ai souffert, parce que je ne comprend tout simplement rien à tout ça. » Je n'avais eu le droit qu'à du charabia de sa part lors de notre dernière entrevue.

Elle se leva pour me faire face et je m'en sentis presque soulagée. Je ne supportais pas son attitude détachée, presque indifférente. Gérer la colère qu'elle déversait en revanche, je m'en sentais capable. Nous étions plantées, l'une face à l'autre, la posture si tendue que nous avions probablement l'air paralysées. « Billie, je t'ai crue MORTE. Pendant UN AN. » J'ouvris la bouche, prête à protester contre la faute qu'elle semblait vouloir constamment me mettre sur le dos. « Et d'un coup, j't'attrape dans un bar et tu me demande comment je vais, m'expliquant au passage que tout ce que j'ai cru vrai pendant un an était faux. Est ce que tu as une idée de combien j'ai culpabilisé à l'idée de t'avoir laissé partir du Summer Camp ? Alors oui je pense à combien j'ai souffert, parce que je ne comprend tout simplement rien à tout ça. » Mes entrailles se tordirent de douleur et les larmes me montèrent directement aux yeux lorsqu'elle m'exposa sa culpabilité. Je savais déjà tout ça. Quand on m'avait arrachée à ma vie, je savais que Rox allait s'en sentir coupable pendant très longtemps. Je soupirai, tentant de m'exprimer avec calme malgré la peine que je ressentais. « J'ai gaffé, l'autre soir.. J'étais tellement choquée de te revoir que mes pensées se sont emmêlées et je n'ai pas eu l'occasion de t'expliquer..  » Passant une main sur mon visage, je sentis le désespoir me submerger et quelques larmes prirent la fuite sur mes joues. Je les essuyai du dos de la main et fixai Rox, une lueur blessée dans le regard. « Tu penses vraiment que si j'avais eu le choix, je t'aurais laissée souffrir, croire que j'étais morte ? Tu penses que je n'ai pas eu mal à en crever, quand je me suis rendue compte que j'avais 90% de chances de ne jamais te revoir ? J'ai l'impression que tu crois que je me suis foutue de toi pendant un an, que tout ça était un complot et que je n'ai jamais pris en compte ce que tu ressentirais. J'espère qu'au fond de toi, tu sais que c'est faux et que... » Quelques pleurs de bébés s'élevèrent aussitôt et je me stoppai nette, dérivant mon regard embué de larmes sur la petite silhouette couchée sur la couverture, craignant de l'avoir apeurée.

Oui, je m'étais sentie coupable.. Terriblement coupable, parce que je l'avais laissée partir, et qu'elle n'était pas revenue. Combien de fois est ce que je m'étais torturé l'esprit, me répétant en boucle que si je l'avais accompagnée, peut-être que les choses auraient été différentes ? Je ne comptais tout simplement plus, tant ça me déchirait de l'intérieur. Alors oui, je ne pensais qu'à moi, parce que pendant un an, je n'avais pas appris à faire autrement, vu que dans ma tête, j'étais seule. Des larmes brûlaient les yeux de Billie, mais les miens également, tout me revenait en pleine face comme une véritable claque appelée réalité. « J'ai gaffé, l'autre soir.. J'étais tellement choquée de te revoir que mes pensées se sont emmêlées et je n'ai pas eu l'occasion de t'expliquer.. » Je fronçais les sourcils, baissant les yeux en murmurant : « Alors essaie un peu de comprendre ma réaction vis à vis de ce que j'ai vu.. » Parce que j'ai vu une femme qui me fuyait, qui s'expliquait de façon incohérence et grossière, et ça ne m'avait que blessée d'avantage. Quand je relevais les yeux, des larmes avaient pris d'assaut les joues de Billie, larmes qu'elle effaça rapidement d'un revers de la main tout en me fixant, blessée. « Tu penses vraiment que si j'avais eu le choix, je t'aurais laissée souffrir, croire que j'étais morte ? Tu penses que je n'ai pas eu mal à en crever, quand je me suis rendue compte que j'avais 90% de chances de ne jamais te revoir ? J'ai l'impression que tu crois que je me suis foutue de toi pendant un an, que tout ça était un complot et que je n'ai jamais pris en compte ce que tu ressentirais. J'espère qu'au fond de toi, tu sais que c'est faux et que... » J'avais le souffle coupé depuis déjà la moitié de son monologue, mais je fus coupée dans mon élan par les cris d'Aylin. Je pivotais pour voir qu'Aaron l'avait réveillée.. Eh zut. « Aaron... Laisses ta sœur.. » Je m'approchais et donnais au petit un jouet, avant d'attraper le bébé dans mes bras doucement, la berçant pour tenter de la rassurer et de la rendormir. Après une profonde inspiration, je finis par m'adoucir – l'effet bébé ? - et par demander à Billie posément, gardant toujours une certaine distance : « Pourquoi l'Alaska ? Qui ? »