Il y a déjà quelques jours que tu as commencé les dialyses. Trois fois par semaine, cinq heures d'affilée. Cela te fatigue, avant de te sentir mieux le lendemain et de reprendre des couleurs. Tu sens que ce n’est qu’une étape temporaire, encore faudrait-il que tu en parles à tes proches. Seule Ana, ta meilleure amie, sait ce qui se passe, connaissant par expérience ce par quoi tu passes toi aussi. Présente sur liste d’attente d’un donneur de rein, ton médecin t’a conseillé d’en parler à tes proches afin de faire un test de compatibilité. Tu redoutes ce moment, obligeant ce donneur d’avoir le même risque que tu as connu pendant des mois : voir son dernier rein lâcher. A moitié allongé sur ce fauteuil, tu travailles, tout en laissant cette machine remplacer ton organe vital qui lui t’a lâchement abandonné. Chambre implantable peu discrète, tu tentes de la cacher, évitant de te dénuder devant ton mari, trouvant toucher plus d’excuse pour éviter qu’il ne voit cette supercherie qui perdure depuis des mois. Appartement quitté un peu plus tôt, prétextant aller au travail, tu viens assister à ce rendez-vous trop régulier à ton goût, mais plus que nécessaire.

j'en peux plus. des mois que ça dure, que tu m'évites, que tu me repousses. et tout ce que tu trouves à dire c'est que ça ira mieux après les fêtes, que tu vois pas de quoi je parle, que c'est juste qu'on a beaucoup de boulot et qu'on se croise peu. c'est faux. j'ai essayé de te le dire, mais tu ne veux pas entendre. j'ai même eu peur que t'aies rencontré quelqu'un d'autre. on est en train de s'éloigner alors qu'on partage le même toit. les quelques jours où j'ai squatté chez Andréa n'ont rien changé, mise à part que j'ai l'impression de te perdre, sans aucune explication. alors dans un élan de désespoir, je fais ce que je pensais jamais faire : te suivre. j'ai besoin de comprendre ce qui te pousse à me tenir à l'écart de ta vie. la voiture garé non loin de la tienne, je te vois entrer dans l'hôpital de Boston. je sors de la voiture, les mains dans les poches et je m'engouffre à l'intérieur. je me cache, comme si j'étais dans un film sauf que c'est la vrai vie. je slalome entre les malades et leurs familles. jusqu'au service néphrologie. je t'observe de loin entrer dans ce boxe, retirer ton manteau et.. la porte se ferme. j'en profite donc pour m'approcher de l'accueil. Bonjour, je suis monsieur Nesbitt, le marie de Capucine Nesbitt. où est la chambre de ma femme s'il vous plait ? la secrétaire pianote sur son clavier " 203, juste en face du bureau des infirmières" j'hoche la tête. vous pouvez me redonner la raison de son rendez vous s'il vous plait ? elle m'a donné des termes que je ne comprends pas et je dois tenir sa mère au courant. elle continue de pianoter. " votre femme est en train de faire sa deuxième dialyse de la semaine, vous voulez la date du prochain rendez-vous ? c'est vendredi à 8h45" je remercie la secrétaire et décide de patienter en bas dans le hall. j'ai pas envie de faire un scandale ici. j'attends donc patiemment que tu aies terminé, sans savoir combien de temps ça prendra.

Les heures qui défilent, la fatigue pointant le bout de son nez, à ta montre tu constates que bientôt on viendra te débrancher, en terminer avec cette journée de plus. Sans faire de vague, tu rentreras chez toi, ira te coucher dans ce lit devenu froid. Froid d’une vie de couple. Lui qui part à droite à gauche, toi, silencieuse, presque tout autant absente que lui. On ne peut savoir à quel point tous ces secrets, ce silence, cette distance, te brisent. Mais il est plus facile d’accepter cette pseudo vérité, lui croyant que tu le trompes, que lui pensant qu’il est impuissant face à ce qui se produit. Dialyse achevée, tu quittes ta chambre, remettant correctement ce pull épais qui cache cette carcasse et ce cathéter. Totalement revêtue, tu descends et retournes dans le hall, prête à appeler un taxi, direction le bureau… comme si la journée n’était pas assez longue comme ça.

j'sais pas ce que j'ai fait pour mériter que tu me tiennes autant à distance de ta vie. pour le meilleur et pour le pire qu'on s'était promis. pourtant t'es en train de traverser le pire, sans moi. j'sais pas si je suis juste choqué, triste, inquiet ou en colère. je crois en réalité que c'est tout ça à la fois.  je reste là pendant des heures, dans l'habitacle de la voiture, à te chercher du regard, à faire tourner les mots sur le bout de ma langue, à me demander comment je vais bien pouvoir te parler de ce que tu viens de découvrir. et quand je te vois enfin sortir, mes mains deviennent moites, mon coeur s'emballe et j'ai du mal à respirer. pourtant mon corps se met tout seul à marcher dans ta direction et quand j'arrive à ta hauteur, je ne sais plus ce que je ressens. pourquoi tu ne m'as rien dit. voilà la seule chose qui s'échappe de ma bouche, alors que mon regard triste s'échoue sur toi.

Epuisée, tu sors de l'hôpital et te mets en direction de la rue pour aller prendre un taxi et retourner au bureau afin de véritablement commencer ta journée. Et quand tu pensais que celle-ci était bien nase, elle allait le devenir davantage. Aidan qui savane avec détermination vers toi, ton visage se décomposant. Qu’est-ce qu’il fout là ? T'as veillé à ne laisser aucun indice de ton rendez-vous ici. ❝ Qu’est-ce que … tu fais là ? Tu ne comprends pas, le coeur battant, la crainte au ventre qu’il ait appris ta situation. Toi qui a toujours voulu le protéger de tout ça, te voilà exposée.

mon visage est fermé, le ton est froid. impossible pour moi de contrôler ma colère, ma frustration. je voudrais te prendre dans mes bras et te dire que tout va bien se passer mais je ne peux pas. ça fait des mois qu'on va mal, des mois que tu me mens, des mois que je suis malheureux. et même si je t'aime à en crever, même si je sais que je suis du genre toxique, cette fois c'est trop. ce que je fais là ? je suis venu comprendre pourquoi ma femme me fuit depuis des semaines. pourquoi elle ne me parle plus, pourquoi on a plus d'intimité. une distance physique qui s'est installée entre nous. et je viens d'apprendre que t'es malade et que tu me mens. t'as rien dit.. rien du tout. tu me laisses dans l'inconnu depuis tout ce temps, juste en me donnant l'impression d'être une merde qui te convient plus. comme une punition alors que j'ai tout fait pour toi. j'ai toujours été la pour toi. donc je comprends pas. pourquoi t'as dit pour le meilleur et pour le pire alors que dans le pire tu me tiens à l'écart ? ce mariage n'a plus aucun sens au final.

Prise sur le fait, tu n’es pas capable de véritablement réfléchir. Tout se brouille dans ta tête : que dire, que faire ? Tu l’ignores et en même temps ça semble si évident. Est-il véritablement nécessaire de lui faire un état des lieux ? Il n’y a qu’à te regarder, savoir qui tu es, ce dont tu es capable de faire pour ceux que tu aimes tant. Tu t’es mis ta fratrie à dos pour leur éviter de souffrir, de découvrir l’impardonnable, mettre tes désirs de côté pour leur éviter de voir leur vie s’effondrer. De nouveau, tu recommences. Long silence que tu marques, il t’es difficile de déglutir. Épaisse carapace, elle est si friable. ❝ Ecoute, je suis fatiguée, je viens de me taper cinq heures de dialyse. C’est pas le moment d’en parler et encore moins ici. T’esquives le sujet comme toujours. Et ça te peine de le savoir aussi blessé par ton attitude.

t'as la tête d'un chiot qu'on vient de prendre sur le fait accomplis d'une bêtise. sauf que t'es pas un petit animal, t'es ma femme et tu es malade. et tu me mens. surement depuis des mois. je suis à la fois en colère et en même temps j'ai envie de te prendre dans mes bras. te dire que tout finira par aller. mais on dirait que même ça, tu le fuis. alors tu recommences à être fuyante, distante et froide. tu me repousses, encore et encore. c'est jamais le moment de parler avec toi. ça fait des mois que c'est pas le moment, des mois qu'on communique plus alors que tu te tapes 5 heures de dialyse. tu crois pas que si justement, il est temps d'en parler ? parce que je suis censé être ton mari, celui qui sera là dans la santé comme dans la maladie. j'ai promis que je le serais et surtout je me suis promis que je serais toujours là pour toi, peu importe ce qu'on traverse.

Fuir. Il n’y a que ça que tu saches faire visiblement. Tu n’es pas capable d’affronter cette terrible réalité qui pourtant te rattrape bien trop vite. Et que dire ? Que dire dans ces circonstances qui te poussent à te confier à lui, lui avouer le mal qui te ronge de l’intérieur ? Tu sais tout le monde que tu lui fais en prenant tes distances, mais il ne peut imaginer à quel point tu le préserves d’un mal encore plus grand. ❝ Je vais crever. Il me reste peu de temps, voilà. A demi mensonge, tu exagères la situation pour qu’il vienne à dire que tu délires complètement. T’es du genre optimiste dans la vie, pas défaitiste comme tu l’es devenu depuis un moment maintenant. Et tu forces tes traits pour faire genre “je blague”. ❝ Je fais quelques dialyse pour compléter mon traitement. Voilà. Comme si c’était évident, qu’il ne fallait pas en dire plus, car rien à dire.

j'en peux plus de ton comportement. on dirait que tu t'en fous, que t'en as rien à foutre que je sois en train de souffrir, que tu sois en train de nous faire un mal de chien. tu t'accroches à ton mutisme, tu nous détruis de l'intérieur et tu regardes ce nous en train d'être réduit en cendre. attends quoi ? tu me mens pendant des mois et tu finis enfin par me dire ce qu'il se passe en me balançant juste que tu vas crever ? mais putain t'es sérieuse ? comment ça tu vas crever ? pourquoi tu dis ça ? explique moi, tu vois pas à quel point je suis paniqué ? partagé entre l'envie de te hurler dessus et de te reprocher tout le mal que tu me fait et l'envie de te prendre dans mes bras. pourquoi tu fais des dialyses ? c'était pas prévu dans ton traitement ça. parle moi bordel, explique moi parce que je comprends rien là.