Deux soirs de suite. Enchaîne les soirées. Délaisse les devoirs qui s’amoncellent sur le bureau. Se perd dans l’abîme pour donner l’illusion de se vider la tête. Trop forte est la musique. Tambourine contre ses tympans. Ombre parmi le bain de foule. S’écrase sur la banquette velour. Les émeraudes fades, se teinte de charbon. Le verre entre les mains, il le porte à ses lippes. S’en abreuve sans en retenir le goût. Le crâne retourné par le mélange de cannabis. Recouvert par l’alcool. Il le regrettera demain, mais c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour faire taire l’impression de n’être que le pion sur l’échiquier du paternel. D’oublier l’énième réunion. Uniquement seul. Livré à l’immondice. Se baladent les mots. Ceux qui le remplissent salement. Lui font oublier tout ce qu’il s’était promis de ne jamais être. Pourtant, il suffirait juste de dire non, mais il pense à lui. Au petit frère qui ne se doute de rien. Mais peut être qu’au fond, c’est une excuse. Peut être qu’il aime ça. S’enfoncer pour mieux se dégoutter. Ridicule. Amertume noyée par le breuvage. Continue de s’abandonner. Ne fait même pas attention à ceux qui l’entourent. Eux qui lui balancent quelques mots pour signaler leur entrée sur la piste. Il attend leur départ l’ombre. Rejette la tête en arrière contre le rebord. Ferme brièvement les yeux. Tourne le trop plein dans son crâne. Et pour la première fois, il la ressent vraiment. Cette angoisse profonde qui prend forme. Hurle pour mieux se faire entendre.

Je me demande un peu ce que je fous ici. Des amis à moi m'ont trainé au Havana Club, prétextant que de sortir juste avant les examens était le meilleur moyen de faire redescendre la pression et de ne pas stresser. Sauf que je suis en pleine relecture de Of Mice and Men de John Steinbeck et j'aurais aimé le terminer avant que les exams ne commence. Je l'ai déjà lu, bien sûr, mais je sais que une partie de mes examens sera liée de ce roman et j’aimerais vraiment qu’il soit le plus frais possible dans mon esprit. Un verre à la main, je regarde mes amis qui s’amusent sur la piste de danse et alors que j’essaie de les rejoindre, je me retrouve bousculée. Bousculée et emportée par la foule, me retrouvant alors encore plus loin d’eux, le corps qui s’écrase contre une banquette en velour, le verre totalement renversé sur mon pull fin, me faisant grimacer. Le regard se tourne alors vers ce mec qui ne semble pas aller bien. Je ne sais pas pourquoi il a cette expression sur le visage, mais il y a quelque chose qui cloche. Le verre vide posé sur la table, je m’approche de lui, le regard inquiet. ”Hey.. ça va ?”, que je lui demande, presque en hurlant, parce qu’on s’entend à peine penser dans cette boite à la con.

Brouillard farineux. Plonge l’ombre dans son intérieur. Passe sur lui, le son des basses. Apparait comme un bruit de résonnance. Et dans cette déformation, une voix perce. Se fait plus forte que tout le reste jusqu’à définitivement attirer son attention. Ouvrant ses paupières, il met quelques secondes à saisir l’image près de lui. S’accroche sur ses mèches blondes, la lumière des néons. Sur les traits de la jeune femme, flotte une vivacité. Différente de tout ceux présent, parce qu’ils sont trop alcoolisé. Pas elle. Il est partagé Scott. Entre envoyer chier l’inconnu ou lui porter intérêt. Intérêt qui pourrait –il le sait- peut-être, le sortir de sa torpeur. De ce fond vaseux dans lequel il s’est laissé entrainer. « C’est comme ça que t’approche les mecs ? » Utilise une ironie à peine visible. Sans goût pour la relever.

Peut-être un peu trop empathique, je me demande immédiatement pourquoi j'ai posé cette question à cet inconnu qui est à la limite de me dévisager alors que je lui demande s'il va bien. Je ne suis pas forcément la personne la plus avenante envers les gens, encore moins ceux que je ne connais pas mais je sais que dans ce genre d'endroit, quelqu'un qui se sent mal, ça peut vouloir dire beaucoup de choses dont des choses pas forcément très safe. A sa question, je soulève les sourcils d'étonnement et je regrette à nouveau d'avoir posé cette question. Est-ce que c'est sa manière de me rembarrer ? Ou est-ce qu'il se croit drôle ? Je ne sais pas comment réagir alors je suis là, à le regarder. Je passe probablement pour une idiote, mais ça n'est pas grave. "Non t'avais juste l'air.. pas bien", que je dis avant de grimacer légèrement. Je reprends mon verre dans la main, le penche légèrement pour me souvenir qu'il est vide. Je me sens bien conne, d'un coup.