assis dans les couloirs de l'hôpital, un gobelet de café chaud entre les mains. il est tôt, très tôt mais les urgences n'attendent pas. t'es déjà content de ne pas avoir été appelé en pleine nuit. un peu de répit dans cette guerre à la xylazine. à ton niveau tu ne peux pas faire grand chose à part recueillir la parole des victimes. la plus part du temps des femmes, droguées à leur insu. après vingt minutes à patienter, une infirmière vient enfin te chercher pour t'escorter jusqu'à la chambre de la victime. tu ne détiens aucun information et tu t'apprêtes à entendre son récit, du moins ce dont elle sera capable de se souvenir. souffle coupé lorsque tu découvres ta petite soeur, sage, au fond de son lit. — sage ?! tu fronces les sourcils en la regardant puis te retourne vers l'infirmière qui retournait sur ses pas pour s'en aller. — vous êtes sûre que c'est la bonne chambre ?! un hochement de tête de la soignante, pour te confirmer que tu es au bon endroit. les jambes lourdes, le coeur qui palpite, t'étais pas préparer du tout pour ça. tu t'avances et te laisses tomber dans le siège à côté du lit. — qu'est-ce que.. ? abasourdi, aucun mot ne te vient.

le trou noir. absence de souvenirs à partir du moment où t’es sortie de ce bar pour tenter de prendre l’air, de reprendre le dessus sur les ralentissements de tes rythmes cardiaque et respiratoire, de ces bourdonnements soudains dans les oreilles, de la vue qui devenait trouble, de tes jambes qui flanchaient sous ton poids alors que le mur t’a aidée à t’installer en pleine rue. la dernière chose dont tu te souviens, c’est de ta carcasse au sol, de ton sac renversé à côté de toi, d’une voix qui t’a soudainement semblé rassurante. et puis, tout a disparu de ta mémoire. tu t’es retrouvée ici comme si ton cerveau avait voulu effacer de nouveaux traumatismes. la panique s’est installée dès que l’équipe médicale a tenté de savoir si t’avais été agressée ; t’as refusé de parler pour finir par hurler. hurler de te laisser tranquille, hurler de te laisser seule ici, avec jackson. présence rassurante qui a pourtant dû quitter la chambre à l’arrivée de la police. parce que t’as pas eu le choix, parce que l’équipe a eu des doutes, parce qu’ils ont souhaité que tu te fasses entendre, parce que c’est pas rien. t’as su que t’as été droguée après les résultats d’analyses, de la xylazine à priori. tellement dans ta bulle ces dernières semaines que t’as pas réellement entendu parler de tout ce qui se tramait autour de cette drogue. recroquevillée au fond du lit, les jambes repliées contre toi, couverte par le drap d’hôpital, t’as le visage caché dans tes bras jusqu’à ce que l’infirmière ne revienne pour t’indiquer qu’il est arrivé. et tes billes croisent les siennes. t’as la sensation que ton cœur se brise à cet instant précis, le souffle coupé quelques secondes durant alors qu’il laisse son propre corps tomber dans le siège près de toi. tu l’as pas revu depuis l’annonce du mariage, tu lui as pas reparlé non plus. et t’aurais préféré ne pas le revoir comme ça. « j’ai rien, je… je vais bien… » t’essayes de rassurer, la voix tremblante. bien sûr que non, tu vas pas bien sage. et il le verra sans difficulté.

tu n'es pas duppe et tu connais ta soeur. bien plus qu'elle ne semble le croire en essayant de maintenir le cap avec son mensonge aussi gros qu'elle. sa voix tremblante te déchire le coeur. il y a peu de gens qui comptent dans ta vie, sierra, tes soeurs, et quelques autres. ces gens pour qui tu pourrais donner tout. revoir sage dans cet état n'est pas un instant de plaisir. vos derniers échanges avaient été plus que froid et depuis tu n'avais eu aucune nouvelle. t'avais eu besoin de prendre du recul, de digérer les informations. elle le sait sage, elle te connait. l'impulsivité est sûrement l'un de tes plus gros défaut. assis au bord du siège, la tête dans les mains, tu soupires longuement, préférant laisser s'installer un blanc plutôt que de dire n'importe quoi. tu ne savais plus si tu étais là pour du professionnel ou du personnel. les choses se mélangeaient et il te fallait quelques minutes pour te ressaisir. tu te relevais enfin pour t'assoir au bord du lit, près de ta petite soeur. — me mens pas.. disais-tu d'une voix douce et chaleureuse. — regarde moi tes doigts attrapaient son menton pour qu'elle tourne son visage vers toi. — qu'est ce qu'il s'est passé? tu te souviens de quelque chose? tes doigts quittaient son menton, tu dégageais son visage des mèches de cheveux derrière lesquelles elle se cachait.

naïve de croire que plus rien ne pourrait t’arriver. naïve de croire que désormais, tu te trouves en sécurité. naïve de croire que personne ne tenterait de te faire de mal, comme si ton tour était déjà passé. mais la boucle se répète, des traumatismes en moins, des traumatismes en plus. ces mêmes traumatismes qui font ressurgir de plein fouet ceux enfouis depuis des années, ceux que t’as appris à oublier, à nier, le déni étant plus doux que la réalité. et peut-être que le présent serait pire si t’avais pas commencé à en parler y a des mois de ça ; si t’avais pas suivi leurs conseils de te faire aider, de porter plainte, de raconter ce qui a pu t’arriver pour tenter de t’en libérer. les billes humidifiées lorsque son corps s’installe au bord de ton lit, t’es terrorisée par ce qui t’est arrivé. t’as pas envie de savoir, toi, s’il t’est arrivé quelque chose. parce que t’espères réellement que ce soit pas le cas. pas de trace à priori, pour le peu que tu t’es laissée approcher, mais pas de souvenir non plus. alors qu’est-ce qu’il s’est réellement passé ? les yeux qui retrouvent de force les siens, ton menton relevé par ses doigts délicats, une mèche qu’il dégage pour libérer tes traits de poupée. « je sais pas… » tu sais pas. tu sais pas ce qu’il y a eu. pas dans le détail du moins, pas après être sortie de ce bar. « je me souviens pas de grand-chose… » profonde inspiration prise pour te donner du courage. t’aimerais que jackson soit là, ne serait-ce que pour te tenir la main, ne serait-ce que pour caresser ton dos de manière rassurante. « après le tennis, je suis allée dans des bars avec des copains, mais j’ai commencé à me sentir mal vers… » tu réfléchis. tu te souviens avoir regardé l’heure peu de temps avant que ton corps ne flanche. « une heure quinze, je crois. je leur ai dit que j’allais prendre l’air, j’ai eu du mal à sortir et c’était pire encore une fois dehors… je… » le corps qui se crispe, le sanglot que tu retiens, les paupières qui se ferment pour inspirer et expirer comme la psychologue te l’a appris. « j’avais l’impression de perdre l’équilibre, comme si mes jambes étaient plus capables de me porter… je me souviens avoir réussi à m’asseoir dans la rue, j’ai entendu une voix et j’ai la sensation d’avoir été dans un trou noir la seconde d’après… » jambes que tu rapproches un peu plus de toi, les bras qui les resserrent comme pour te protéger de ce qui te fait le plus peur dans tout ça : avoir été abusée, encore une fois.

assis sur le bord du lit d'hôpital de ta soeur cadette, tu tombes de très haut en découvrant la raison pour laquelle tu es là. tout se succède un peu dans ta tête, ça se bouscule et tu te rends vite compte que tu ne vas pas pouvoir mener ton travail, ce pour quoi à la base, tu t'étais déplacé. tu l'écoutes parler attentivement. ta mâchoire se serre et ton coeur s'accélère. l'agacement qui monte en toi, que tu tentes tant bien que mal de canaliser. tu sais ce par quoi elle est passée et tu ne peux cacher ton mécontentement. pas à son égard, évidement, mais aux merdes qui lui arrivent successivement. — les médecins t'ont dit quelque chose? tu te relèves du lit pour faire les cents pas devant. pas très rassurant, t'aurais pu opter pour la solution de se taire et de la prendre dans tes bras mais il faut d'abord que l'énervement retombe un peu alors rien de mieux que de bouger. — l'important c'est que tu sois là ok? t'oses pas imaginer le reste, ce qu'il a pu lui arriver tu ne préfères pas y penser, pas du tout même. — les parents sont au courant? tu finis par arrêter de faire le tour de la chambre pour venir te rassoir au bout du lit.