Lorsqu'elle commença à s'éloigner du square, je poussai un soupir de soulagement et la suivis sans hésitation, que ça lui plaise ou non. Notre discussion était loin d'être terminée, j'avais encore beaucoup de choses à lui dire. « Wow. T'es en train d'me dire qu'on t'a forcé à faire la morte ? Qu'on t'as forcé à disparaître pendant presque un an ? » L'émotion qui transperça sa voix me fendit le cœur et j'eus moi-même du mal à contrôler les sanglots qui manquaient de me faire flancher à tout moment. Elle ne comprenait pas que c'était exactement ce que j'étais en train de lui dire. La mort, l'exil, le changement d'identité, le testament. Tout m'avait été suggéré de telle sorte que j'avais aussitôt compris qu'on ne me laissait pas le choix. On m'arrachait ma vie, j'étais devenue simple spectatrice de mon destin à l'instant où Shenae avait pointé cette arme sur ma poitrine. « Est ce que tu as seulement une petite idée Billie ? Une petite idée de ce que j'ai enduré ? » Sa douleur évidente faillit me rendre aphone, mais je tentai malgré tout de parler, tenant à la rassurer. « Je sais, Ro... » Elle n'avait pas terminé et mes mots s'envolèrent dans le vent tandis qu'elle continuait à déverser sa colère. « Tu n'étais pas là quand ils m'ont appelé ! J'étais seule, au milieu de cette putain de chambre, à me faire à l'idée que tu ne reviendrais pas ! Que tu ne me reviendrais pas ! » Ses mots finirent de m'accabler. Je me laissai tomber au sol, à genoux et posai mes mains sur mes cuisses pour me soutenir. La douleur morale était trop importante et commençait à se transformer en douleur physique, mon corps ne supportant plus les assauts infligés à notre relation. Les larmes me brouillaient la vue, mais je distinguais toujours la silhouette de Rox postée face à moi. J'imaginais bien à quel point ça l'avait affectée, pour la bonne raison que je l'avais vue. Mes obsèques avaient été médiatisées pour bien faire passer l'information à ma génitrice. Des caméras étaient là et Rox était passée quelques instants sur l'écran. J'étais déjà assommée par la tristesse mais lorsque j'avais aperçu sa posture décomposée et ses yeux gonflés par les larmes, ça m'avait enfoncée six pieds sous terre. « J'aurais voulu te prévenir... » murmurai-je, la voix étranglée par les sanglots. « Crois-moi, je voulais te dire que c'était faux. Mais je ne pouvais pas... » Je revoyais encore le visage ferme de mon agent de protection lorsque j'avais exigé voir Roxanna et Jude après avoir vu les informations. Il m'avait expliqué calmement que c'était impossible, que tout le monde sans exception, devait croire à ma mort. Son ton parfaitement lisse face à ma panique m'avaient mise dans un état de colère noire, j'avais voulu partir. Je leur avais même dit que je me foutais du danger, du moment que je pouvais rassurer mes amis. Hélas, les choses ne fonctionnaient pas de cette façon une fois que le FBI était impliqué. Les caprices étaient étouffés, les besoins personnels évincés. La "traque" était plus importante. « J'étais en Alaska, coupée du monde, je n'avais pas de moyen de vous le dire... »

J'avais perdu tout sens de la compréhension dès lors que Billie avait fait apparition comme un fantôme dans ce bar. Dès lors que ses mensonges avaient fait surface. Jamais je n'avais eu aussi mal que lorsque je l'avais perdue. En apprenant la nouvelle, j'avais à peine eu la force de me traîner jusqu'à la chambre de Jude, qui, comme moi, s'était effondré. Nous étions passés exactement par les mêmes émotions. Le déni, la colère, la tristesse, la douleur... Mon dieu, ce que ça avait été douloureux pour moi de ranger ses affaires, dans la chambre que nous partagions avec Apple et Torrey... C'avait été pire que tout de m'occuper de toucher ses vêtements, sentir le parfum de ma meilleure amie, moi qui avait été habituée à le sentir en la prenant dans mes bras.. L'imaginer absente de ma vie avait été un véritable calvaire. Et c'était encore pire de la voir un an plus tard, surgir de nulle part. Alors je ne mesurais plus l'intensité de mes mots, déversant toute ma colère si bien que Billie flancha, tombant à genoux. D'un revers rageur de la manche, j'essuyais les larmes qui affluaient sur mes joues, restant droite sans oser la regarder. « J'aurais voulu te prévenir... » murmura-t-elle. Foutaises, si elle avait vraiment voulu, elle l'aurait fait !... Non ? Mon jugement était obstrué par mes sentiments, j'avais une migraine atroce, et l'alcool que je m'étais enquillé au bar n'arrangeait rien. Billie reprit : « Crois-moi, je voulais te dire que c'était faux. Mais je ne pouvais pas... J'étais en Alaska, coupée du monde, je n'avais pas de moyen de vous le dire... » Je passais une main dans mes cheveux, secouant la tête, refusant encore une fois d'y croire. Je balbutiais en contenant de nouveaux sanglots « Ils ont des téléphones en Alaska, que je sache, non ? C'est pas le pôle nord non plus ! T'étais pas paumée sur une île déserte ! » Je hoquetais, portant une main à ma gorge. Ça n'allait vraiment, vraiment pas là. Je secouais la tête, et reculais. « J'peux pas …Nan ça serait trop simple de balayer tout ça. » J'aurais voulu être désolée de ma réaction, mais j'étais trop butée, trop blessée. Je reculais d'un pas encore, puis pivotais pour m'enfoncer dans la rue. Au programme : M'enfermer dans ma chambre, et ne plus en sortir.