La peur. C'était un sentiment avec lequel j'avais eu la chance de me familiariser ces dernières années. Dès mon adolescence, j'avais eu le droit de la connaître, lorsque mon père s'était fait assassiner à quelques mètres de la chambre où je dormais. J'avais eu peur quand il était mort entre mes bras, quand j'avais dû m'échapper de tout ce que je connaissais alors que je n'étais pas encore assez mature. Dans les rues de New York, alors que je errais pour me faire oublier, je tentais de noyer cette peur en passant d'un dealer à l'autre. Même si c'était simplement pour quelques minutes ou quelques heures, l'alcool et la drogue m'avaient permis d'oublier tout ce qui perturbait ma vie. En arrivant à Boston, j'avais eu du répit. Seules la réussite de mes études m'effrayaient, mais c'était quelque chose que j'arrivais à gérer. Puis la terreur avait frappé à ma porte — que dis-je, elle avait défoncé sans scrupules la façade fébrile qui nous séparait depuis quelques temps. Hannigan était apparu et plus que pour ma vie, j'avais craint pour celle de ma meilleure amie, Roxanna. Notre vie n'avait pendu qu'à un fil ce soir-là. Mais nous avions réussi à nous en sortir et une fois notre agresseur derrière les barreaux, j'avais pensé être enfin en sécurité. Quelle blague ! Ma mère s'était assurée de détruire à jamais ce faible sentiment de sécurité que j'avais un jour eu la chance d'éprouver. Tandis que le sang s'écoulait librement de l'endroit où la balle avait traversé ma poitrine, j'étais définitivement entrée dans cet état second, un monde où la peur était reine. Assise au comptoir du bar où nous nous trouvions le soir de notre agression avec Roxy, j'étais vêtue d'un simple jean et d'une veste à capuche, que j'avais rabattue sur ma tête. Je terminai mon verre amèrement en pensant à quel point il allait être difficile de retrouver ma vie d'avant. Quoi que je ferais, je devrais obligatoirement passer par la case explications. Mes amis étaient tous à portée de main désormais et pourtant, j'étais trop lâche pour aller les trouver et leur annoncer que, surprise, j'étais toujours dans le monde des vivants. « Mark ! » avais-je appelé le barman, sans me rendre compte de mon erreur. Je tenais à passer inaperçue jusqu'à ce que j'aie au moins parlé à Rox et Jude. J'avais déjà remarqué quelques regards soupçonneux, voire même incrédules dans la rue en venant ici et je pouvais déjà imaginer la rumeur se propager. Mark vint vers moi, les sourcils froncés comme s'il faisait un effort pour me reconnaître. J'avais teint mes cheveux pendant que j'étais en Alaska, repassant au roux cuivré que j'avais abandonné en quittant New York. Ma capuche camouflait une bonne partie de mes traits, alors si je n'avais pas attiré son attention en l'interpellant par son prénom, tout se serait bien passé. Quand il arriva, je baissai au maximum le menton et pris une voix plus aiguë que d'origine. « Encore un mojito, s'il te plaît. » Ses yeux persistèrent à me fixer pendant un moment, puis il s'attela à la tâche et versa les liquides dans son shaker. Je n'étais pas encore sauvée, donc j'avais pris la décision de partir après ce verre. Au moins ici, je ne risquais pas de croiser Roxanna.

Appuyée contre le bar, une main sur la tempe, presque dans mes cheveux, je buvais ma Tequila en regardant avec une attention toute particulière le bar qui se trouvait devant moi. Je ne revenais dans ce bar que depuis peu... J'avais décidé de dépasser l'idée de l'agression que nous avions eu avec Billie au square Inman, pour penser d'avantage à tous les bons souvenirs que nous avions eu dans ce bar, à danser, boire, rire, discuter avec le barman, Mark. Ce qu'elle pouvait me manquer... Bien sur, j'avais toujours Apple, mais perdre Billie ça avait été comme m'arracher une partie de mon coeur. Surtout que maintenant que j'avais changé de cap radicalement dans ma vie, j'aurais voulu ... Savoir son avis. Avoir son soutien, bien que j'aie déjà celui d'Apple... La seule qui m'ait soutenue jusqu'au bout. J'inspirais profondément? Gosh, si je perdais la brune aussi, je pense que je ne ferais pas long feu. Je secouais la tête, reprenant mes esprits, avant de finir ma Tequila d'un coup sec. Alors que je m'apprêtais à demander un autre verre, le dernier - ben oui, j'ai des enfants - je remarquais que le barman semblait nettoyer ses verres d'un air littéralement absent, vide. « Mark ? » L'appelais-je d'une petite voix fluette, lui adressant un petit sourire pour le tirer gentiment de sa rêverie. Il s'approcha de moi en secouant la tête, comme s'il se tirait de pensées bien sombres. « T'avais l'air dans la lune, tout va bien? » Il hocha la tête en fronçant les sourcils, puis passa nerveusement une main dans ses cheveux avant de me resservir une Tequila, qu'il m'apporta. « Ca va .. C'est juste que ... » Il jeta un coup d'oeil nerveux vers l'autre extrémité du bar. What, quelqu'un l'emmerde ? Je me penche un peu pour regarder. « Nan, Rox, tu... » Je me figeais sur place en découvrant une jeune femme. Ces yeux clairs, ces cheveux.. Elle ressemblait terriblement à Billie. Ma Billie. Je m'affalais de nouveau sur mon tabouret, incrédule. « Elle lui ressemble tellement... » Oh oui, elle lui ressemblait.. Mais ça ne pouvait pas être elle. Mon regard devint froid, et triste, et je baissais les yeux sur mon verre en secouant la tête de gauche à droite. « Elle lui ressemble, mais ce n'est pas elle, Mark. Tu le sais comme moi. » Non, ma Billie avait été assassinée par sa propre mère, mère qui venait par ailleurs de se faire choper. Enfin. Peut-être était-ce pour cela que je la voyais partout. Ou à cause des Tequilas que j'ai dans le nez, aussi.

« On passe par le square, comme d'hab ?! » « Pourquoi changer les bonnes habitudes ? » C'étaient les derniers mots que nous avions échangés dans ce bar. 'Pourquoi changer les bonnes habitudes ?' .. Je pouffai d'un rire douloureux en repensant à cette phrase pourtant innocente, finissant d'une traite le liquide qui restait dans mon verre. Si nous avions eu, ne serait-ce que l'ombre d'une idée de ce qui allait nous arriver ce soir-là, nous aurions changé sans hésiter nos foutues 'bonnes habitudes'. Je ne savais même pas comment j'allais rentrer ce soir. Depuis notre agression, il m'était impossible de rentrer seule la nuit. Avant, j'avais toujours quelqu'un avec moi. La plupart du temps, c'était Rox. Mais ce soir, je n'avais personne et je commençais à hésiter à louer une chambre au-dessus du bar pour la nuit. Mais les locations se faisaient auprès de Mark et je ne me sentais pas de lui adresser plus de quelques mots pour le moment. Lasse, je me frappai le front contre le bar et soupirai sans savoir quoi faire. Je me redressai et remontai ma manche gauche pour gratter ma peau autour de la cicatrice que j'avais récoltée ce soir-là. Quelques unes s'étaient effacées avec le temps, mais les plus graves étaient restées : celle sur mon avant-bras, celle sur mon tibia et la marque de l'impact de la balle tirée par ma propre mère sur ma poitrine. Rox avait également morflé. J'eus un haut le cœur en repensant au moment où il avait passé la pointe de son couteau le long de son ancienne cicatrice et je me cramponnai si fort à mon verre que le verre finit par céder à ma poigne, se brisant au creux de ma main. Abasourdie, je restai figée dans la même position et ne sortis de ma transe qu'au moment où une main pressa la mienne. Déshabituée du contact humain, je repris brusquement ma main dans un élan de panique et croisai le regard de Mark, qui fut surpris par mon geste. Il l'attrapa à nouveau avec hésitation et passa un torchon sur ma paume pour me débarrasser du verre et du liquide collant. Ses yeux ne lâchèrent pas mon visage tandis que j'essayais de me libérer de son emprise en le remerciant brièvement. « Billie... ? » Ma main glissa enfin de la sienne et je me levai de mon tabouret sans attendre. « Sara, » le corrigeai-je sans réfléchir. Je ne pouvais pas prendre le risque que quelqu'un me reconnaisse avant d'avoir parlé à Rox et Jude. Je fis demi-tour et me figeai. Quand je m'étais levée, j'avais cru apercevoir une crinière blonde familière dans ma vision périphérique. Non, non, non... Elle ne peut pas être ici... Désormais dos à eux, je posai quelques billets à l'aveuglette sur le bar, la somme plus élevée que ma note pour le pourboire et le verre cassé. Puis, le cœur battant, je décidai de ne pas m'attarder et traversai la foule en un rien de temps pour sortir, laissant derrière moi le désastre que je venais sûrement de provoquer.

Il y a maintenant un peu plus d'un an, Billie représentait ce que j'avais de plus cher.. Avec Jude, bien sur. Je me souviens encore douloureusement des larmes qui roulaient sur mes joues fraîches, alors que, allongée dans l'herbe du square, j'assistais impuissante aux retrouvailles de ma meilleure amie et de l'assassin de son père. Je secouais brièvement la tête, buvant de nouveau une gorgée de ma tequila, quand j'entendis quelques cris, et un bruit de verre cassé. En une fraction de secondes, Mark n'était plus auprès de moi, mais auprès de l'inconnue qu'il regardait tout à l'heure. Sa ressemblance avec Billie était si troublante que j'en étais étourdie. Mais c'était impossible... C'est impossible, Billie est... Je soupirais, littéralement figée en regardant Mark qui s'occupait de nettoyer les dégâts plus loin. Je le vis marmonner quelque chose, et la jeune femme se redressa un peu pour descendre de son tabouret, dégageant au passage encore un peu son visage. C'est impossible... Me répétais-je avec obstination, avant de jeter un regard vers Mark, qui m'encouragea à y aller. Je le payerais après, il le savait. Je sautais de mon tabouret. Je devais en avoir le coeur net. Je me faufilais dans la foule, poussant sans pitié les greluches qui s'éternisaient sur ma route, me rapprochant de cette femme encapuchée. Arrivée à sa hauteur, elle était prête à passer la porte mais je la retins, posant une main sur son épaule. Oubliant totalement mes bonnes manières, je la poussais à se retourner face à moi. Au pire des cas, je m'excuserais. Mon sang se glaça alors quand nos yeux bleus s'entrechoquèrent, comme si je venais d'enclencher une véritable bombe à retardement. Ca ne pouvait pas être quelqu'un d'autre, ou bien c'était son sosie. « Billie...? » L'appelais-je d'une voix étranglée, lâchant d'un coup son épaule en reculant d'un pas, comme si je venais de voir un fantôme... Mais n'était-ce pas le cas ...? Je portais ma main à mon coeur, incrédule, marmonnant comme si je devenais folle. « C'est.. C'est impossible... » Et pourtant... elle était là. Juste devant moi.

Mon estomac se tordait douloureusement, j'avais un mauvais pressentiment. Et si je n'avais pas seulement imaginé qu'il s'agissait bien de Roxanna, accoudée au bar ? Je priais intérieurement pour qu'elle ne m'ait pas vue, je refusais de la revoir pour la première fois dans de telles circonstances. Pourtant, ce pressentiment refusait de me lâcher et commençait à me faire angoisser. Je fendis la foule aussi vite que je le pouvais, cherchant à échapper au plus vite à cette ambiance festive dont j'avais été évincée un an plus tôt. Une foule aussi dense, après avoir passé un an avec pour seul compagnon un seul homme, m'angoissait et me faisait trembler de claustrophobie. Je touchais au but, j'allais enfin passer la porte qui m'accorderait ma délivrance, quand une main agrippa mon épaule. Tout mon corps se tendit quand je fus forcée de faire volte-face, ma capuche tombant de ma chevelure par la même occasion. La musique battait son plein et pourtant, j'eus l'impression que le silence total s'était fait autour de nous. J'avais en face de moi celle qui pour le moment, représentait à la fois l'être qui comptait le plus pour moi, mais aussi mon pire cauchemar. « Billie...? » Je fermai les yeux, refusant de reconnaître la vérité. Rox psalmodia quelque chose d'autre et je n'eus pas besoin de l'entendre pour comprendre qu'il s'agissait de paroles incrédules. Elle était celle qui me connaissait le mieux, du mental au physique, elle me connaissait sur le bout des doigts. J'aurais pu essayer de lui mentir, lui dire qu'elle se trompait de personne, elle aurait su que je mentais. J'avais tellement de choses à lui dire et pourtant, aucun mot ne me venait. J'étais paralysée, tourmentée par la crainte du rejet. « R... Rox... » Par quoi commencer dans une telle situation ? Lui dire directement 'désolée, mais ma mère a voulu me tuer l'année dernière donc le FBI m'a forcée à me cacher en Alaska' ? Elle allait me rire au nez. Je bafouillai, ma bouche s'ouvrant et se fermant plusieurs fois tandis que je cherchais mes mots, mais rien ne venait. Nous continuâmes à nous fixer malgré les personnes qui nous bousculaient en voulant entrer ou sortir du bar. « Tu vas bien ? » Mon cerveau était complètement déconnecté du reste de mon corps et lorsque cette idiotie sortit de ma propre bouche, je me demandai par quelle partie de mon corps elle avait bien pu être commanditée. Je voulus rattraper les mots au fur et à mesure qu'ils sortaient, mais le flot continua et les dégâts étaient déjà faits.

Je dévisageais cette femme comme s'il s'agissait d'une parfaite inconnue... Ou d'un fantôme. Billie était morte, je n'étais pas folle. Je me souvenais encore de ce jour, à Jaypeak, dans le Vermont, quand j'avais reçu un appel m'annonçant que ma meilleure amie avait été tuée par nulle autre que sa propre génitrice, cette traîtresse. J'avais récemment appris d'ailleurs qu'elle avait été retrouvée, et avais du rassembler tous les efforts du monde pour ne pas foncer la tuer. Alors pourquoi...? Comment ...? Comment se faisait-il que j'avais la réplique parfaite de ma meilleure amie sous les yeux? Et la théorie de l'hallucination s'était évaporée à l'instant même ou j'avais pressé ma paume contre son épaule pour la contraindre à me faire face. Hébétée, je la regardais comme si ma vie dépendait de sa réponse. Et je crois que dans le fond, j'espérais me tromper. « R... Rox... » Je continuais de garder mon regard rivé vers elle. Non. Impossible. Je tenais devant moi Billie O'Connell, j'en avais désormais la certitude indéniable. « Tu vas bien ? » ... Pardon? J'entrouvrais légèrement les lèvres, bouche bée, comme si je cherchais à comprendre un quelconque code dans cette phrase. Mais non. C'était Billie, et elle me demandait comment j'allais. « Tu .. Tu es morte! » Je reculais encore, écarquillant les yeux. Okay, ma phrase n'avait aucun sens, elle n'était pas morte puisqu'elle était face à moi. Mais comment... Pourquoi..? « Non... » Je secouais la tête, prise soudain de vertiges, et je la poussais pour me frayer un chemin vers la sortie, en trombes, poussant au passage quelques étudiantes ivres qui me grognaient dessus. Peu importe, je venais soit d'avoir une hallucination, soit de réaliser le plus gros mensonge de toute mon existence. Ma meilleure amie n'était pas morte. Je venais de passer un an de deuil, seule, j'avais pleuré pendant des semaines, pour une fille qui n'était pas morte. Et voilà qu'elle réapparaissait en me demandant comment j'allais. You gotta be kidding me.

Je restais sidérée par ma propre bêtise, figée sur place comme une statue de sel. Venais-je réellement de lui demander si elle allait bien, comme si on s'était parlé la veille ? Même quand je la voyais H24, je ne lui posais pas de questions aussi débiles et simplettes. Si Roxanna ne me giflait pas suite à cette idiotie, je le ferais probablement moi-même. Sa voix scandalisée me sortit de ma paralysie et ses mots bien ciblés nous attirèrent les regards indiscrets de l'ensemble des fumeurs, qui n'étaient pas assez assourdis par la musique pour ne pas capter ce qu'elle venait de crier. « Tu .. Tu es morte! » Même après tant de mois passés sans la voir, je connaissais toujours son langage corporel sur le bout des doigts. Je savais qu'elle allait m'échapper. Dans le mille. Elle secoua la tête et me bouscula sur le côté pour sortir du bar. Un peu étourdie, mais préparée à sa réaction, je réagis immédiatement après m'être affalée contre un mur et me lançai à sa poursuite. J'eus un instant de panique lorsque je remarquai qu'elle partait en direction du square où nous nous étions faites agresser. Ma course faiblit un instant, puis je me repris en m'enfonçant dans le crâne que j'étais obligée de la rattraper. « Rox ! » Pas de réaction. « Roxy... » Toujours rien, elle continuait son chemin comme si je n'étais pas en train de m'époumoner en lui courant après. Les larmes coulaient librement sur mes joues, je sentais ma meilleure amie me glisser des mains alors que je venais à peine de la retrouver. « Je peux tout t'expliquer ! » J'aurais dû écrire une foutue lettre. Voilà comment j'aurais dû procéder. Seulement, je n'avais pas prévu de la croiser ici. Surtout pas ici. « Écoute-moi ! » criai-je en désespoir de cause. Rien n'y faisait. C'était aussi efficace que de m'adresser aux arbres qui défilaient de chaque côtés de la route. Soit elle croyait à une hallucination et cherchait à me chasser de sa tête, soit elle refusait catégoriquement d'entendre ce que j'avais à lui dire. Pourtant, il était indispensable que je lui fournisse les informations. Je ne pouvais pas la laisser penser que j'avais cherché volontairement à lui faire du mal. Je réussis enfin à l'atteindre et attrapai son épaule pour la stopper et la forcer à son tour, à me faire face.

Abasourdie, je m'élançais le plus loin possible de ce bar. Putain. Jamais je n'aurais du y revenir, j'allais rentrer à la Eliot House, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je ne venais pas de voir Billie. J'étais tout simplement ivre, et elle me manquait à un point tel que je l'imaginais partout ou nous avions été ensemble. La preuve, alors que je m'approchais à grands pas du Square ou nous nous étions fait agresser, j'entendais de nouveau sa voix. « Rox ! » Rien que de l'entendre dire mon prénom, ou du moins son diminutif, une bouffée de larmes monta au bord de mes yeux. Je continuais néanmoins ma route, secouant la tête. « Roxy... » Secouant une nouvelle fois ma chevelure de gauche à droite, je portais deux mains à mon visage en accélérant. Sors de ma tête ! Mon subconscient refusait d'admettre la vérité pure et dure: Billie se trouvait juste derrière moi, elle était en train de s'élancer derrière moi, et de s'époumoner : « Je peux tout t'expliquer ! » M'expliquer quoi, hein ? C'était un poisson d'avril ? Avait-elle seulement une idée de mon désespoir lorsque j'avais appris la nouvelle ? Sans Jude, j'aurais sans doute été tentée de me jeter du haut d'une falaise. Une semaine entière durant, j'avais refusé de participer à quoique ce soit, restant enfermée dans ma chambre. Et maintenant, elle voulait m'expliquer ? Ma compréhension était réduite à néant pour l'instant. « Écoute-moi ! » Non. Je ne voulais rien savoir. Et pourtant.. Une main se pressa contre mon épaule, me forçant à faire volte face. Face à Billie, essouffle, et visiblement déterminée à me faire comprendre son point de vue. Ma main partit toute seule pour lui décoller une gifle. C'était plus fort que moi. Ma main me brûla instantanément. Au moins, maintenant, j'avais la certitude que ce n'était pas un fantôme. « Comment oses-tu ? Qu'est ce que tu veux m'expliquer, un nécromancien t'as ramené à la vie pour que tu puisses boire un verre ? » Je pleurais tout ce que j'avais en parlant, hurlant presque, sans même me soucier du fait que nous étions à l'entrée du Square Inman. Peu m'importait, j'étais dévastée par bien plus que cela.

Bon, je ne l'avais pas vue venir celle-là. J'avais beau m'être préparée à tous types de réactions, j'avais commencé par écarter l'hypothèse de la gifle. C'est probablement ce qui me fit le plus mal dans ce geste : ce que ça représentait. Parce que la gifle en soi, je pouvais la supporter sans broncher. Subir deux agressions, dont une par balle, ça vous endurcit un peu, l'air de rien. Mais cette gifle me prouvait à quel point les émotions qui faisaient rage en elle la perturbaient au point qu'elle en arrive à ça. Cette agressivité était causée par ma seule présence et c'était ce qui me déchirait le cœur. Bouche bée, une main couvrant la parcelle de peau où sa paume s'était écrasée, je la fixai complètement hébétée. « Comment oses-tu ? Qu'est ce que tu veux m'expliquer, un nécromancien t'as ramené à la vie pour que tu puisses boire un verre ? » Apparut alors le sarcasme signé Roxanna, qui m'avait toujours fait rire aux éclats depuis que je la connaissais. C'était quelque chose que nous avions appris à utiliser avec maîtrise au fil des années, pour nous débarrasser de gens indésirables et lourds. Plusieurs fois, nous nous étions vannées l'une l'autre avec cette technique, mais ça avait toujours terminé en fou rire ou en points marqués sur un tableau. Jamais je n'aurais pensé que la pique soit aussi franche et dépourvue d'humour. Je ravalai une boule d'amertume qui remontait dans ma gorge et essuyai mes larmes d'un geste sec, prenant un pas de recul pour m'écarter de tout risque de répétition. « Il y a une très bonne raison, il faut juste que tu me laisses expliquer... » Je jetai un coup d’œil à l'entrée du square derrière elle et sentis une nouvelle vague de panique me bousculer. Je me courbai en avant, posai mes mains sur mes genoux et tentai de reprendre mes esprits. La panique me bouffait pour tellement de raisons que je n'arrivais plus à faire le tri. La proximité du square, la gifle de Rox, son attitude distante et agressive, la perspective de la perde définitivement. Tout se mélangeait en moi et la sensation commença à me filer la nausée. « É... Écoute... tout ce que tu as entendu est vrai, Rox. » Oula, je démarrais très... très mal dans mon explication. Mais j'avais tant à lui dire, je ne savais pas par où commencer. Comment procéder pour qu'elle réussisse à voir que je n'avais rien voulu de tout ça ? Alors à défaut de trouver un bon schéma, je continuai mon explication foireuse. « Sauf ma... mort. » La férocité dans son regard continuait d'augmenter et je savais d'ores et déjà qu'au lieu de me blanchir, j'étais en train de m'enfoncer lamentablement à ses yeux. « J'étais obligée, mais je ne voulais pas... Je te jure... » Si elle comprenait quoi que ce soit à ce charabia, elle mériterait sincèrement une médaille. Parce que même moi, qui l'avais vécu, je me demandais si je n'étais pas en train de me foutre d'elle, alors que c'était la dernière chose que je souhaitais.

Qu'est ce qu'elle espérait ? Que je lui saute au cou, soulagée de voir que j'avais pleuré sa mort un an pour rien ? Non.. Non, ça c'est dans les films. C'est dans les films et les livres que c'est crédible. Je bouillonnais de rage, d’incompréhension, et le tout mélangé créait un véritable maelström d'émotions qui me submergeaient. Ma claque était partie toute seule. Jamais je n'avais touché un seul cheveu de Billie, surtout depuis notre agression. Mais était-ce bien cette jeune femme là que j'avais en face de moi ? J'avais un sérieux doute. Billie recula comme par réflexe, peut-être s'attendait-elle à une nouvelle claque de ma part. Mais j'étais lasse, ma main me faisait mal, et je n'avais plus la force de rien maintenant qu'elle me parlait : « Il y a une très bonne raison, il faut juste que tu me laisses expliquer... » Je la regardais, incrédule, regarder le Square d'un air paniqué, et d'un mouvement sec je m'éloignais de l'entrée pour retourner dans la rue. Qu'elle me suive ou non, peu importe. Enfin, c'est ce dont j'essayais de me convaincre, sinon, pour quelle autre raison me serais-je éloignée en dehors d'un réflexe protecteur envers celle qui fut ma meilleure amie durant des années ?« É... Écoute... tout ce que tu as entendu est vrai, Rox. » J'arquais un sourcil. Oh, alors comme ça, j'avais entendu qu'elle était morte. Doonc, j'avais devant moi le fantôme pochtron de Billie O'Connell. Great. Bien vite, la rouquine se rattrapa, alors que je la jaugeais en position agressive, sur la défensive. « Sauf ma... mort. » Je secouais la tête, levant les yeux au ciel. Qu'est ce qu'elle tentait de me faire comprendre, au juste, hein? Que rien n'était de sa faute ? « J'étais obligée, mais je ne voulais pas... Je te jure... » Je fis un rire nerveux, reculant à mon tour d'un pas. « Wow. T'es en train d'me dire qu'on t'a forcé à faire la morte ? Qu'on t'as forcé à disparaître pendant presque un an ? » Ma voix s'étrangla dans de nouveaux sanglots qui me montaient douloureusement dans la gorge. Ma vue s'embrouillait déjà, et la tête me tournait. « Est ce que tu as seulement une petite idée Billie ? Une petite idée de ce que j'ai enduré ? » Je haussais le ton, éclatant maintenant littéralement en larmes. « Tu n'étais pas là quand ils m'ont appelé ! J'étais seule, au milieu de cette putain de chambre, à me faire à l'idée que tu ne reviendrais pas ! Que tu ne me reviendrais pas ! » Je hurlais, si bien que je croyais que j'allais m'étrangler. J'avais tellement mal.. Et ça n'était pas près de s'arrêter.