Belle journée en perspective : deux autopsies le matin et une permanence à l'unité médico-légale cet après-midi. Après tout, j'avais choisi cette voie mais il y avait des journées plus joyeuses que d'autres. J'enchaînais mes tâches matinales, fort heureusement accompagné de ma caféine adorée puis je décidais de me rendre à la cafétéria histoire d'acheter cet ignoble sandwich au poulet, mais qui était bien meilleur que la plupart des autres options proposées. Aujourd'hui, je n'avais envie de parler à personne ni de papoter pour ne rien dire, alors j'évitais le regard de mes collègues comme des patients, les yeux rivés sur mon téléphone. Je m'apprêtais à quitter le lieu pour me terrer dans la salle de pause du service lorsque je tombais nez à nez avec Aiyana. Je ne pouvais m'empêcher d'esquisser un sourire. « Madame Shields, qu'est-ce qui vous amène dans ce haut lieu de la gastronomie ? Les plateaux repas des urgences ne sont plus à votre goût ? » dis-je sur un ton espiègle. J'avais rencontré Aiyana lors d'une garde aux urgences et de fil en aiguille, nous avions passé un peu trop de temps dans le même lit un soir. Même si on avait fait le choix de ne jamais reparler de cette soirée, je ne pouvais m'empêcher de la taquiner à chaque fois que je la croisais.

J'apercevais dans les mains de la jeune femme le même sandwich que le mien, la copieuse. J'étais plutôt content qu'elle décide d'éviter les repas des urgences pour venir à la cafétéria car je n'avais pas l'occasion de me rendre dans son service régulièrement - et si je venais, c'était bien souvent pour une triste raison, à savoir un décès ou pour les urgences médico-judiciaires. « Ça ne m'étonne pas, j'ai cru comprendre que tu étais difficile à satisfaire » dis-je en esquissant un sourire malicieux, histoire de sous-entendre que je ne parlais pas uniquement de la nourriture des urgences mais également de notre relation en général. Aiyana n'était pas un livre ouvert, on avait promis de ne jamais reparler de cette soirée, mais je ne savais toujours pas ce qu'elle en pensait. « Ça allait plutôt bien jusqu'à ce que je te croise ». J'aimais bien la taquiner et la provoquer, mais j'aimais trop voir sa petite bouille pour me contenter de cette phrase. « Mais je vais faire avec. Tu veux venir manger avec moi ? J'aimerais pas que les gens te voient assise à une table seule ». J'avais un petit bureau de fortune dans le service de médecine légale qui me servait à la fois de salle pour dormir, manger et parfois travailler lorsque je devais m'acquitter des tâches administratives hospitalières - que je détestais par-dessus tout.

Ah, elle n'était donc pas difficile à satisfaire ? En voilà une surprise ! Pourtant depuis cette nuit dans la chambre de garde, c'était un peu le jeu du chat et de la souris entre elle et moi - mais bizarrement, quelque chose me disait qu'on aimait tous les deux ce petit jeu là. « Ah bon ? Tu es donc quelqu'un de facile ? » dis-je tout en faisant mine de continuer à parler du sandwich, alors que de toute évidence je l'embêtais sur autre chose. De toute façon, j'aimais l'embêter, voir ses petits sourcils se froncer et lui faire un grand sourire en retour, comme à l'instant lorsque je lui disais que tout allait bien jusqu'à ce que je la croise. « Dommage, je pensais que tu étais plus team punitions que pardon » dis-je avec un clin d'oeil, en faisant référence à ses récents messages. On se dirigeait ensuite vers mon bureau puisqu'elle avait bien sûr accepté ma proposition. Ce dernier n'était pas bien loin de la cafétéria, une fois devant devant la porte je lui faisais signe de rentrer « Après vous Madame, puisque apparemment tu aimes faire ce que je demande. Attention, la prochaine fois je risque de demander quelque chose de plus risqué » dis-je puisqu'elle m'avait dit accepter JUSTE parce que je l'avais demandé - comme si elle était du genre à m'écouter et ne pas en faire qu'à sa tête. Mon bureau n'était pas très grand, il y avait une table, deux chaises, un ordinateur poussiéreux et des dossiers un peu partout - donc pas d'ambiance cosy au programme, mais elle avait l'habitude.

Je savais très bien qu’elle n’était pas facile, bien au contraire, je m’arrachais les cheveux plus d’une fois lorsque je répondais à ses messages. Elle me taquinait, me provoquait, me faisait poireauter, et au fond, j’adorais ça car j’étais exactement le même. « Tu as raison, je dirais même que tu es très chiante comme fille » dis-je avec un sourire malicieux tout en la fixant. « Oui je sais bien, tu ne devrais pas me pardonner si vite alors » dis-je en faisant référence au fait qu’elle avait décidé de passer l’éponge sur l’une de mes moult taquineries. Cela m’arrangeait bien puisqu’elle se trouvait à présent dans mon bureau, une petite pièce similaire à peu de choses près à celle qu’on avait partagé quelques nuits auparavant. Je la voyais balayer du regard la pièce, qui n’était pas la plus rangée de l’hôpital de toute évidence. « Et bien oui que veux-tu, entre les gardes, les dossiers patients, les soirées et toutes les filles que je vois en ce moment, ce n’est pas facile de tout gérer » dis-je en la regardant du coin de l’œil pour observer sa réaction puisque j’avais insisté sur le dernier argument. Je ne pouvais m'empêcher de jouer avec elle, même si dans les faits je passais plus de temps à autopsier des gens morts qu’à fréquenter des filles vivantes dernièrement « Puis toi, tu m’occupes beaucoup ces derniers temps ».

Me retrouver ainsi avec Aiyana dans mon tout petit bureau, au milieu des dossiers et des toiles d’araignées - apparemment invisibles pour les équipes de nettoyage, ou alors elles craignaient de faire tomber les piles de documents - illuminait ma journée. Lorsqu’elle me demandait pourquoi est-ce que je continuais à lui parler, je levais les yeux au ciel même si dans les faits, je n’arrivais pas à tout à fait objectiver l’attirance que j’avais pour elle. C’était un tout, pas quelque chose qu’on peut formuler en deux phrases. « Justement je me pose la question maintenant, est-ce que tu veux pas arrêter de parler pour voir ? » dis-je car je ne pouvais m’empêcher de l’embêter, c’était ainsi et c’était sûrement ce que j’aimais le plus à propos de notre relation. D’ailleurs, elle savait très bien de quelle manière elle m’occupait, entre les messages, les rencontres inopinées et les souvenirs qui occupaient de temps en temps mon esprit. Et puis mince. J'attrapais le bas de sa chaise roulante pour l’approcher de moi puis je plongeais mon regard dans le sien. « Comme ça par exemple ». Je déposais un long baiser sur ses lèvres avant de lui chuchoter. « En plus ça permet de te faire taire, c'est parfait » dis-je en attendant sa réaction.