Ce côté tactile et plein de confiance que m'offre ce presque parfait inconnu m'interroge. Plus il se confie, plus je me ferme, persuadé que rien de bon ne sortira de cette conversation. Se retrouver dans l'incapacité pleine et entière de faire suffisamment confiance à l'autre pour se confier... non, vraiment, je ne vois pas dans combien de milliards d'années je pourrais atteindre ce genre de réflexe. Je demeure résolument muet et évite la plupart de ses marques physiques d'attention, feintant avec toute la grâce d'un félin jusqu'à ce que nous nous retrouvions dans le salon. Mes yeux ambrés brillent sous l'effet des flammes du feu de cheminée. Bras croisés, droit comme un i, j'analyse, je décortique, persuadé de me trouver dans la pire situation du monde : la position qui fait de moi l'écoute de confessions sans rien pouvoir donner en retour. Tu ne veux pas qu'un mourant décline au niveau santé ? J'aime ton sens de la formule... Un très bref rire passe la barrière de mes lèvres avant que ne passe une main contre les mèches d'un noir de geai. Je ne sais pas ce que tu attends de moi en me confiant toutes ces choses. Je ne suis pas capable d'en faire autant. Mon existence se résume à deux choses : continuer sur la voie que je me suis fixée et ne pas inquiéter ma famille adoptive avec ma maladie. Leur cacher jusqu'à la dernière minute. Ne t'attends pas que je te conte pourquoi je suis devenu ainsi, comment j'en suis arrivé là et tout ce qui s'y rattache. Le confiance et l'abandon de soi font peut-être partie du vocabulaire, mais pas du mien. Je lâche un soupir empreint de douleur alors que je le vois bâiller aux corneilles. Il ne m'en faut pas davantage pour attraper une couverture moelleuse dans l'armoire se trouvant dans la pièce et la déposer sur ses épaules, sans pour autant le toucher. Fais comme chez toi. Lorsque je tourne les talons, je suis persuadé qu'il va s'endormir en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et me dirige dans la pièce suivante où une grande pharmacie se trouve. Enfin je peux ôter mon t-shirt dont la couleur noire a dissimulé la plaie. Je peux en profiter pour faire ce que j'aurais pu faire avant sans la présence de cet invité surprise : nettoyer la plaie et le sang coagulé autour. Je grogne non pas de douleur, mais à cause de la toux récalcitrante qui se rappelle à mon bon souvenir en laissant une trace rougeâtre contre le mouchoir de tissu portant les initiales que je viens de plaquer contre ma bouche afin d'atténuer tout bruit.

Les mots de mon interlocuteur me paraissent tellement improbables que je me contente d'un haussement d'épaule. Que puis-je y répondre ? Que j'ai côtoyé de trop près les bas-fonds tokyoïte pour faire confiance au premier venu ? Je n'ai aucune envie de me reprendre une droite pour un mot de trop. Aussi, je me contente d'un : tu devrais quand même faire gaffe de ce que tu dévoiles et à qui tu causes. Mes mots sonnent comme le glas de la fin d'une conversation, puisque déjà, je quitte la pièce d'un air décidé. Gyeon semble fatigué et pour ma part, je ne compte pas soigner la blessure qui est la mienne en la lui foutant sous le nez. J'ai réussi à dénicher du désinfectant - avec alcool - et m'apprête à faire un semblant de soin lorsque ma toux me reprend, jamais loin bien longtemps. En l'espace d'une seconde, l'image qui s'impose alors à moi me laisse échapper un soupir : je me retrouve torse nu, blessé, affaibli par cette leucémie dont je tais jusqu'aux moindres symptômes face à ce presque parfait inconnu qui a eu la mauvaise idée de me retrouver. Merde. La bouteille de désinfectant en main, je la tends à mon interlocuteur en serrant soigneusement les mâchoires au passage. La douleur n'est plus qu'une vague donnée sans réelle importance pour le moment, mais si je perds davantage de sang, il est possible que mon corps me dise stop. S'allonger c'est obligé ? Non parce que j'allais foutre un bandage à la con et ça serait passé crème, t'es pas obligé de t'en soucier. Je plante mes iris d'ambre dans les siens, interrogateurs. Je me demande quelles sont ses intentions, pour être passé de voleur de portefeuille à sauveur pour finir par vouloir jouer les infirmiers. Qu'est-ce que tu cherches ? Qu'est-ce que tu veux ? Là, c'est le tokyoïte en cavale qui le questionne. L'enfant des rues qui n'a jamais pu réellement connaître le sens du mot confiance.

Tout ce sur quoi je me concentre, c'est le fait de serrer les dents. Non pas que la douleur soit insupportable, car j'ai malheureusement déjà vécu bien pire, mais j'aurais probablement préféré que Gyeon ne s'en mêle pas et me laisse me soigner dans mon coin. Être redevable de quelque chose à un autre être humain est plus que je ne suis en mesure de gérer à l'heure actuelle. il s'agit là d'un trop grand risque et si je ne me confie pas à mon grand frère adoptif, ce n'est pas pour passer par la case confessionnal en face d'un quasi inconnu. Inconnu qui, d'ailleurs, s'affale contre moi en se redressant, l'équilibre manifestement instable. Je dois te remercier de m'avoir écrasé avec souplesse et grâce ? Okay à la décharge de mon interlocuteur, je ne réponds quasiment jamais en mode premier degré. Il y en a toujours au moins quinze sous le coude, au bas mot. Sans doute est-ce pour cela qu'il s'offusque, ou du moins ai-je l'impression que c'est le cas, alors que je me relève en grimaçant légèrement. Mon côté solitaire et profondément méfiant le laisse s'éloigner, changer de pièce, tandis que je remets mon haut encore taché de sang. Qu'importe, ce n'est pas comme si choper une saloperie changerait beaucoup l'épée de Damoclès se trouvant d'ors et déjà au-dessus de ma tête. Je capte une phrase qui m'intrigue, et c'est peut-être la curiosité qui me pousse à me trouver, toujours debout, devant l’entrebâillement de la porte du salon. Une balle usée ? C'est censé être une insulte ? T'as pas l'air d'être quelqu'un qui aime qu'on ne soit pas comme lui, je me trompe ? Pourtant je pense être l'exact opposé. Si je te remercie, je te dois quelque chose. Et je n'aurais pas le temps de te renvoyer la pareille c'est certain.