Pour le coup, je suis étonnée. En acceptant ce rendez-vous auquel mon titulaire semblait tenir afin de me présenter ses excuses, je ne pensais pas le moins du monde que ce dernier ferait l'erreur d'inviter mon groupe d'interne au passage. Je ne sais si c'est par chance ou malchance que deux d'entre eux aient accepté, mais toujours est-il que je me retrouvais en short et haut plutôt sexy avec trois mecs. Top. Qui a osé dire que ce serait la soirée du siècle ? La présence de la main de Rui contre la mienne manque de me faire sursauter tandis que je lui lance une œillade interrogative. A quoi joue-t-il ? S'il pense pouvoir me refaire passer par la case lingerie alors que je suis restée honteuse et seule toute la nuit durant dans cette chambre d'hôtel que j'ai eu envie de brûler, il se fourre le doigt dans l'œil. T'en fais pas mon coco, tu vas encore plus ramer pour me présenter tes excuses, et je m'en délecte d'avance. Je ne te savais pas maso sur les bords, à vouloir essayer de t'excuser alors que y'a deux abrutis autour. Enfin pas abrutis mais bref tu m'as comprise... t'as encore du boulot pour comprendre les femmes ! que je murmure très discrètement lorsqu'il me retient afin d'embrasser ma main. Pas mal, galant. Mais pas suffisant pour me faire oublier tout le reste, alors que je viens de sacrifier mon seul soir de libre pour ce qui ressemble fortement à une gigantesque mascarade. Mais le chirurgien joue la neutralité jusqu'au bout, proposant aux autres de former les groupes. Vu les machos, ça ne m'étonnerait pas qu'il veuille m'humilier moi, la pauvre nénette, seule femme du groupe. Vous vous mettez ensemble ? Nickel, je vais vous mettre la misère que je lance fièrement en croisant mes bras contre ma poitrine, la faisant remonter pour marquer un point. Les deux nigauds en perdent la vue, et j'incite notre titulaire à me suivre pour récupérer nos chaussures. J'espère que t'es prêt à ne pas avoir d'intimité et à... les écraser parce que je compte pas perdre ! Question de fierté féminine, faut pas déconner.

Je peux te renvoyer le compliment, avant de me comprendre va falloir te lever trèèèès tôt. Petit sourire moqueur mais sans trace de la moindre méchanceté. Le monde est déjà un beau bordel sans qu'on y ajoute un côté mauvais en prime. Peut-être que cela m'amuse de voir comment il va se démerder pour s'excuser. Après tout, le mal est encore bien présent, et la vue de mon corps, habillé de lingerie sexy achetée spécialement pour l'occasion, me reste en travers de la gorge. Je demeure aussi distante qu'à l'hôpital dans un premier temps, car il n'est pas question que ce secret lamentable soit dévoilé aux deux autres internes présents. Je m'occupe donc de lacer suffisamment mes chaussures, alors que Rui m'étonne une nouvelle fois. Et modeste avec ça ! Fais gaffe, va falloir prendre une pointure au-dessus pour tes chevilles... J'éclate de rire à ma propre connerie, fidèle à ce tempérament jovial et fêtard que je traîne avec brio. J'ai la gagne dans le sang, et il n'est pas question que ma maladie soit un quelconque frein ce soir. Du moins, c'est que j'espère, car je tousse aussi discrètement que possible en me rapprochant de la piste. Concentrée sur le strike de mon partenaire de jeu, je teste plusieurs boules différentes avant d'en choisir une de ma couleur préférée : le rouge. J'approche méthodiquement de la limite, m'élance et éclate toutes les quilles d'un coup. Pas étonnant, je m'entraînais souvent avec mon jumeau à une époque. Tu disais déjà? que je m'exclame dans une fierté à peine dissimulée, bien que je me mette à tousser encore une fois, le plus discrètement possible, et alors que je m'éloigne de la piste pour laisser nos concurrents jouer.

Clairement je pourrais tiquer à la mention de son fils, mais à la place mes prunelles émeraudes parlent pour moi. Cette vie qu'il possède ne sera jamais la mienne et un brin de mélancolie charge mon cœur d'émotions plus vives les unes que les autres. Mon temps est compté, et ma check-list encore bien trop longue pour que je me permettre de perdre une seconde. A la place, j'use et abuse de ce tempérament de gagne m'ayant poussé jusqu'à lors, et ce contre tous les défis auxquels mon existence a pu être confrontée. Ton fils doit adorer jouer avec toi que je commente d'un air un peu absent, non sans entendre le prix à payer pour perdre une manche de ce match. La plus forte des bières ? Quels petits joueurs... mais la donne m'arrache un petit sourire narquois, avant que la toux ne se mêle aux festivités. Manque de bol, le médecin réputé qu'est Rui ne tarde pas à se rapprocher et à commencer à relier les wagons. Remarque que je balaie d'un revers de la main, jouant la carte de la bravache envers et contre tout. Mais non, ça va ! Juste une mauvaise toux que je traîne, rien de critique. Qu'est-ce que j'aimerais dire vrai ! Un bref sourire apparaît alors contre mes lèvres maquillées, mais mes sourcils se froncent. Le chirurgien fait preuve de beaucoup d'égards, prenant mes mains dans les siennes, embrassant également mon front et mon poignet, encore bien violet. C'est trois fois rien. J'ai déjà eu mille fois pire en combat de rue que je reprends dans le feu de l'action, non sans me mordre aussitôt la lèvre inférieure pour avoir révélé une information que je garde d'ordinaire secrète. Tu t'excuses maintenant parce que j'ai une petite toux de rien du tout ? Je devrais tousser plus souvent bordel, c'est utile ! J'esquisse un petit rire nerveux alors que ma toux me reprends. Par chance, les deux allumés de mon groupe s'occupent de leurs tirs et ne nous prêtent aucune attention. C'est pas le fait de te toucher le problème, de toute façon que je réplique finalement d'un air étonnement sérieux.

Je ne pensais pas me heurter à la froideur de Rui, surtout que la confession autour de mes combats de rue s'est échappé de mes lèvres sans même que je ne m'en rende compte. Je suis ainsi, impulsive, incapable de rester en place plus de cinq minutes, l'esprit en ébullition permanente. Pour sûr, je suis une candidate idéale pour la chirurgie, ce monde de requins ultra compétitif qui booste mon côté gagnant, le brossant dans le sens du poil. Je n'ai aucune envie de vivre une fois encore dans une bulle aseptisée à craindre que la maladie ne m'emporte comme mon frère jumeau, juste parce que j'ai fait une bise à quelqu'un d'enrhumé ou tenu une poignée de porte non désinfectée au préalable. Je veux vivre. Juste vivre. Ressentir, découvrir, aimer. Pour la toux je la contrôle pas. J'adorerais, ça m'éviterait de me sentir comme une merde. Je ne réponds pas immédiatement pour les combats de rue, et j'avoue ne pas être désireuse d'arrêter, du moins pour le moment. Je veux pouvoir savoir me défendre contre la connerie humaine, botter le cul du premier abruti qui s'amusera à me manquer de respect, ou à obtenir de moi quelque chose que je ne suis nullement prête à donner. Je rêve ou tu viens de me lancer un cap/pas cap déguisé ? Un petit rire s'échappe de la barrière de mes lippes, alors que je m'empare de la main de Rui afin de filer à l'anglaise. J'envoie un message sur le bipper de mes deux comparses, prétextant une urgence vitale et la nécessité de la présente du titulaire à mon côté. Une fois dans la rue, un nouveau rire fend l'atmosphère, avant que la toux ne reprenne. Dingue combien elle aime gâcher mon ambiance celle-là ! Pour te répondre maintenant qu'on est solo... j'ai vécu trop longtemps dans une bulle aseptisée. Je n'y retournerai pas, même contrainte et forcée. Tu ne veux pas que l'on voit ton dos... moi c'est le contrôle de mon corps que je ne veux pas perdre. Alors oui, je fais des combats de rue. Je botte le cul du premier con qui ose me regarder de traviole... parce que je suis comme ça. Pas une panthère en cage, mais quelqu'un épris de liberté. Elle me sera trop vite reprise, de toute façon. Je tâche de contenir mon côté essoufflé à son strict minimum, alors que mes prunelles émeraudes ne le quittent pas une seconde. Tu avais une idée pour profiter de la soirée ? Je te préviens, même pas en rêve tu vois ma lingerie ce soir ! Okay, je le provoque. Mais il l'a bien cherché la première fois, non ? Et puis, je n'ai pas encore suffisamment goûté ses excuses pour lâcher un peu la bride.

Petite bouche mais grande gueule, voilà ce que je pense alors que Rui me réduit littéralement au silence après m'avoir énoncé que je parlais trop. Une part de moi s'en amuse, et une autre ressent une crainte que je ne peux décrire. Sans doute à cause de cette bulle aseptisée au centre de laquelle je me suis construite tant bien que mal. Une jeune femme lambda aurait déjà confié sa virginité au premier venu. Sauf que moi, en bonne romantique qui se dissimule derrière une épaisse couche protectrice et inviolable, je n'ai aucune envie de confier ce petit trésor à n'importe qui. Sachant que je suis ni plus ni moins condamnée si on ne me fait pas une greffe pulmonaire, chaque point de ma check-list est capital. C'est vrai pour ma première fois autant que pour les sports dangereux me restant à découvrir tant que mon corps me portera un tant soit peu. Moi je cause trop mais toi t'es un livre fermé que je réplique de façon humoristique après ce baiser qui me fait drôle. Je ne pensais pas que quelqu'un parviendrait encore à me surprendre. Je suppose que je n'ai rien à perdre à te suivre, au contraire... puisque manifestement tu veux aiguiser mes sens... mais t'es au courant que ça te guidera pas plus jusqu'à ma lingerie ? Okay je joue la carte de la provoc à fond mais ça n'en n'est pas moins vrai. Probablement que je lui dirais à un moment donné que, la fois dernière, c'était une inexpérimentée et timide sentimentalement qu'il a repoussée. Peut-être.