Sa longue robe beige en satin et la couronne de fleurs qui habille ses cheveux ne sont pas suffisantes pour apporter de la joie à la silhouette de Millie. Elle est jolie Millie, parce qu'elle a envie qu'on se tourne vers elle et qu'on la remarque - peut-être pas réellement envie mais c'est ce que ses parents attendent. Tout est presque parfait chez elle, sauf ce sourire qui ne veut décidément pas se dessiner sur ses lèvres pincées. — Te voilà enfin toi, une minute de plus et je rentrais sans toi.   elle fronce les sourcils en braquant son regard sur son cavalier. Il est charmant, il a toujours été charmant. Mais ils ne sont pas du même monde et elle n'avouera jamais qu'elle pourrait finir par l'apprécier. Elle préfère ronchonner et grogner sur ce défi qu'elle a perdu et qui l'a conduite à venir au bal d'Harvard en la compagnie d'Horace. — Bon, faut pas qu'on se tienne le bras pour rentrer, si ? Cette situation est déjà bien assez pénible comme ça. Si ses yeux avaient pu lancer des éclairs, un seul regard l'aurait réduit en cendres.

J’voulais de l’extravagance, du classe, dégainer le cuir ou le précieux ; on m’expose du gentillet. Alors va chier le costard, je sors le lin, le léger, les boucles désordonnées. J’ai cousu, j’ai choisi de belles matières ; j’voulais pas te faire honte, j’crois. Toi la victime de ma malice. De mon désir d’entrer dans ce monde qui ne veut pas de moi. Alors je m’impose, et je le fais à ton bras. T’es mon cheval de Troie. Ainsi, j’t’assure qu’on est presque accordés, personne ne verra le monde qui nous sépare. Mes lèvres de gamin penchées vers ton oreille: “Et t’aurais passé une soirée chiante à mourir.” Mon bras, présenté, pour exposer ma réponse. “Alleeez Millie.” J’veux jouer aux parfaits au moins pour l’entrée. “J’peux t’appeler mimi ?” J’vais me prendre un coup, c’est sûr. Et j’saurai pas si c’est à cause de mes répliques ou d’mes mimiques de gosse effronté. L’insolence de celui qui n’a rien à prouver, rien à perdre. Les orbes vertes, rêveuses, sur le décor tout autour, quand on voit l’ensemble des préparatifs. “C’est encore plus beau que ce que je pensais.” Trop habitués au luxe, vous n’êtes plus capables de voir la beauté d’un lieu, de couleurs. J’te prête mon regard, si tu veux. Ca t’ôtera cet air boudeur d’un battement de paupière.

Peut-être que c'est le stress qui commence à monter, la boule qui se forme dans le ventre. À la fois l'envie d'être là et celle d'être ailleurs, très loin. Elle se mord la lèvre, regrette amèrement le jeu qu'elle partage avec son complice de la soirée. Et quand il se penche à son oreille pour lui partager une confidence, la gamine recule, brusquée par cette soudaine proximité. — Arrête ça, on nous regarde.  poupée qui baisse la tête pour camoufler le rouge qui agrippe ses jours, toujours inconfortable avec l'intimité et la proximité humaine. Mais elle retrouve bien vite sa fougue des grands jours, son masque de dédain. — Ne t'avises même pas d'essayer. refus catégorique du surnom grotesque, froncement de sourcils pour accompagner cette douce colère qui se propage dans son corps. Elle capitule néanmoins sur une chose et son bras vient s'enrouler autour de celui de son cavalier, toujours fuyante et peut-être trop maladroite. — C'est très ... champêtre. Tu dois pas être trop dépaysé, les champs et tout ça c'est ton domaine non ? sourire moqueur qui vient coiffer ses lèvres alors qu'elle plonge son regard dans le sien, façon de lui lancer une pique pour lui rappeler qu'aucune familiarité ne sera permise ce soir.

Le vert des orbes qui se redresse, et tout le corps avec. Si j’ai souvent l’esprit de contradiction ; la distance demandée, je la respecte. Tu remarqueras d’ailleurs que j’amorce un léger pas de côté, qui n’a rien à voir avec une danse. J’ai vu le rouge, j’ai senti la carapace se refermer sur ta frêle carcasse. Il y a du métal là-dessous, je n’en doute pas. Mais je capte les limites, moi qui n’en ai presque aucune. J’esquive d’un bref sourire malin : “On nous regarde parce qu’on est ultra canons.” J’vois aucune autre raison de nous regarder. Ou plutôt, si, j’en vois des tonnes. Comme le fait qu’on pourrait se demander ce qu’un tocard comme moi fait ici. Mais, tu vois, j’ai pas envie de ça ce soir. Alors, ce soir, si tu le permets, on nous regarde car on est beaux, voilà tout. Et je m’extasie. D’être là, dans ce monde qui m’attrait, et d’en prendre plein la gueule du décor. J’regarde les tenues, l’esthétique entière du lieu, les tissus qui se froissent quand on passe à nos côtés. Un défilé. T’envoies des flèches qui me décoche un rictus rieur. “On m’appelle fermier Horace, t’as jamais entendu ?” J’attrape un brin de blé servant pour la déco, et j’le flanque derrière l’oreille. “Tu crois que je peux me mettre pieds nus ?” Joue pas, Caskey. Les adversaires qui n’ont pas grand chose à perdre sont redoutables. “J’ai du mal tu sais.. avec les chaussures de ville.” L’air idiot de celui qui plonge droit dans la connerie. Crois-moi, cette soirée sera mémorable, qu’importe la direction qu’elle prend.