Journée éreintante au garage qui prenait fin. Quand le soleil commençait à décliner, ma seconde journée commençait. Celle de la liberté et de l’imprudence. Celle prévue depuis cet échange après l’accident, à la suite de cette conversation survenue un peu au hasard. Si nous n’étions pas adeptes des pratiques des gens de nos âges, avec une vie qui semblait un peu plus saine que celle de notre génération, aujourd’hui était un cas à part. Étions-nous vraiment fait pour ça ? Et… Ne t’embarquais-je pas dans une expérience que t’allais regretter ? Si je connaissais peu de chose de toi, puisque nous nous connaissions que depuis quelques semaines, les bouts de toi que tu m’avais livré me plaisait. Je ne voulais pas te faire prendre une pente descendante en ma compagnie. On allait le faire et rien que l’idée de vivre cela avec quelqu’un me rassurait. Je passais à mon studio pour troquer ma robe – qu’avait pour but de paraître assez sérieuse pour garder mon poste offert sur un plateau d’argent – pour un ensemble de jogging et hoodie noir XXL pour qu’il puisse cacher mon plâtre. Je prenais la route du centre-ville, afin de te rejoindre à notre point de rencontre. Je te repérais non loin, t’installer sur un banc où je te rejoignais rapidement. « Eh ! » Que je soufflais le sourire aux lèvres, avant de réduire à néant les deux mètres qui nous séparaient pour m’installer auprès de toi. « Ça va ? Comment ça se fait que tu avais besoin de ce moment ? » Te demandais-je suite à ce que tu avais insinué dans tes derniers messages.

Passer de l'autre côté du miroir, tu te l'étais toujours interdit sans compter les quelques écarts qui se comptaient sur le doigt de la main. Clean, concentré, indompté par le chimique et tout c'qui s'y rapproche, basket, réussir, rester sur le droit chemin. C'était le credo, le deal avant que le ciel ne vous tombe sur la tête - littéralement. Un satané plafond incapable d'accomplir la seule mission qu'on lui avait donné : jouer le plafond. Comme une envie de s'accaparer l'attention, il était obligé d'rejoindre les festivités du concert ce plafond, rejoindre la scène, le sol, vous balayant sans vergogne au passage. L'choc était violent, et c'était un putain d'euphémisme. T'en avais gagné le gros lot, entre l'hémorragie interne, les côtes en vrac, les douleurs venus d'autre monde et la convalescence interminable. Cerise sur le gâteau ? La mesure d'éloignement de ta raison d'vivre - sans exagération, le basket. Sereinement imposé par le docteur, loin de soupçonner le tourbillon de rage et de panique qu'il venait de provoquer en toi. Ce tourbillon qui t'lâchait pas depuis la nouvelle, qui t'accompagne constamment à chaque pas et chaque pensée tournée vers le basket, vers ton équipe. Tourbillon que tu cachais vaillamment en pleine journée mais qu'tu laissais te dominer la nuit tombée. Fallait que tu le contrôles, fallait que tu le domptes, qu'tu redeviennes l'indompté que t'étais. Fallait que tu passes de l'autre côté d'la ligne interdite. Et l'urgence de se perdre dans ta tornade te rend impulsif, bêtement imprudent à faire appel à ta collègue rencontrée quelques semaines plus tôt, Maze. Brise de fraîcheur que tu jugeais d'ores et déjà digne de confiance, au point où tu t'apprêtes à lui confier le Quincy impuissant, sans limites que tu comptais lui présenter ce soir. J'crois pas que t'ais envie d'jouer le bureau des plaintes ce soir, surtout quand t'as déjà de quoi te plaindre aussi avec ce truc. Que tu désignes d'un geste du menton en direction de son bras plâtré. Tu veux vraiment parler ou directement aller rendre visite à nos futurs potos les lampadaires ? Faible sourire en coin qui te ressemblait pas, que tu laissais apparaître dans l'obscurité.

Une seconde, ce tout petit laps de temps, qui avait fallu à l’univers pour chambouler nos vies. Je n’étais clairement pas à plaindre, quand j’avais eu écho des blessures que tu avais subies. C’était d’ailleurs la raison de notre nouvelle… Amitié ? Je me plaisais à le croire en tout cas. Je troquais mes habits de lumière pour planquer ma carcasse sous des vêtements larges, dans lesquels je me sentais véritablement moi-même. Jouer des apparences, sourires en toute circonstance, user des jolis traits dont j’avais hérité, n’était qu’une façade. Peut-être que dans le fond, comme toi, j’avais besoin de ce moment. J’en avais besoin pour oublier l’horreur que nous avions vécue, mais aussi pour balayer les souvenirs de ma vie d’avant, réveillés par la vue d’horreur lors de l’incident du TD Garden. J’arrivais enfin jusqu’à toi et je m’échouais à tes côtés. « Ça ? » Que je te demandais en levant le bras en l’air. « C’est plutôt fun, après réflexion, on s’occupe de moi, on me lave les cheveux, on me coiffe, j’crois que j’suis presque gagnante. » Que je concluais en riant. Presque… Parce qu’en effet, la liberté de mes mouvements me manquait, mais je savais que la fin approchait peu à peu. « Allons rencontrer les lampadaires et tout ce que nos cerveaux ont à nous offrir. » Je sortais de ma poche, une petite flasque, de tequila pure, l’ouvrant avant de te la tendre. « Tiens, pour faire passer la pilule. » Ok la drogue et l’alcool ce n’était pas censé faire bon ménage. Je résumais bien nos vies actuelles en ces quelques petits mots. Une fois la tienne avalée, tu me rendais le tout, m’offrant dans ta paume un cachet blanc, que j’aurais très bien pu confondre avec du Tylenol en effet. Je riais toute seule en me remémorant nos messages. « On a plus qu’à attendre que ça fasse effet. » Que je soulignais en me redressant. « Tu ne veux pas qu’on fasse un tour en attendant. » Histoire de faire passer le temps.

Silhouette dissimulée dans des vêtements trop amples, inhabituel pour elle mais la raison se devenait assez rapidement pour ne pas que tu t'y attardes. Elle en gagnait pourtant, tout autant, un sourcillement de ta part en guise d'accueil, non visé sur son attirail mais sa question. Habituellement loin d'être fermé à partager tes pensées à ta nouvelle acolyte, ce soir, ce n'était pas l'bureau des pleurs que t'étais venu chercher auprès d'elle. La pilule dans ta poche pouvait en attester. T'étais davantage plus paré à voyager au delà des cieux que rester sur cette terre ferme, minable victime de blessures impactantes. L'fin sourire que tu lui dessers répond à ses interrogations et habilement, tu les retournes contre elle et son nouveau compagnon de vie, mr le plâtre. Tu mènes la vie d'princesse dont t'as toujours rêvé, n'est-ce pas fabuleux ? Les lèvres s'étirent doucement, l'humeur s'élevant à son rire, son caractère naturellement jovial. La balance adéquate pour l'ambiance terne que tu tirais avec toi depuis l'incident. La parfaite balance même. Contrairement à celle qu'elle te proposait explicitement, une fiole tendue en ta direction. Aider à la rencontre de vos potes les lampadaires. Pour faire passer la pilule. Le mauvais jeu de mot t'arracha un rire. C'est sans doute la pire idée que t'ais eu d'emmener ce truc... J'adhère. Pourtant tu le saisis de sa main, l'moment n'étant pas à la protestation, tu te transformerais en 'Yes Man' jusqu'à l'aube. A ton tour de lui faire l'offrande, l'attendu, le Graal de votre soirée, précieusement gardée au fond de tes poches, dorénavant offert sur la paume de ta main. A ta santé ! Le ticket d'entrée pour votre voyage, dument avalée à l'aide de son eau de vie.  Et c'était à son tour. Que t'observes du coin de l'œil, amusé par le rire spontanément lâché face à la pilule.  Si tu commences déjà à rire toute seule, on va pas être dans la merde ! Le pire c'est que c'était l'genre de rire contagieux, inexplicable mais contagieux qui te saisit tout aussitôt. Ouais allez viens on bouge, qu'on n'paraisse pas comme deux tarés en plein fou rire inexpliqué au beau milieu d'la nuit, dans un parc désert. La situation grotesque hilarante à jouer dans l'esprit ceci dit. Mais marcher, prendre l'air était une meilleure idée. Te redressant à ton tour, tu te places en face d'elle, te râcles la gorge et imites une révérence claquée au sol. Mademoiselle la princesse, je suis votre valet ce soir, emmenez-moi où vous le désirez !

Nous n’étions pas là pour nous plaindre, ni même ressasser le mauvais. Le message bien reçu, je détaillais les avantages non-négligeables que j’avais pu connaître grâce à ce plâtre. « Il ne me manque plus que le compte en banque qui déborde à ne plus savoir quoi faire de tout cet oseille et ça serait fabuleux. » Mais je n’étais même pas certaine d’avoir ni envie, ni besoin de tout ça. Je n’avais pas besoin de d’autant pour trouver le bonheur dans les choses que la vie avait à m’offrir. Elle était tellement précieuse que désormais, je vivais pour deux. Voilà pourquoi je gardais ce sourire, présent quatre-vingt-dix pourcents du temps. Ce soir, nous étions alliés pour oublier les dix pourcents restants. Flasque d’alcool pur tendue, geste qui avait pour but de lancer les festivités. « Jusqu’à preuve du contraire, il n’a jamais été question qu’un de nous deux soit rationnel. » Et c’était peut-être pour ça, que dans notre routine professionnelle, nous nous étions vite entendus. Quelques regards, des rires partagés avait scellé le début d’une amitié. Mais c’était l’incident qui avait tout accéléré et nous avait permis d’être ici ce soir. Tu étais certainement l’une des rares lumières que m’avait apportées cette galère. Rire qui prenait totale possession de mon être une fois le cachet attrapé dans ta paume, partageant une œillade complice en étendant ton rire se mêler au mien. Levant le cachet pour appuyer mes propos : « Et à la tienne. » Je la posais sur ma langue avant de l’avaler en grimaçant. « Parce que tu crois que c’est mieux, deux fous qui se baladent en plein fou rire ? » Que je disais amusée, parce qu'en analysant la situation, quiconque croiserait notre route, changerait certainement de trajectoire pour nous éviter. Le regard pétillant, c’était avec beaucoup de mal que je gardais mon sérieux en voyant ta révérence, digne d’un mauvais téléfilm. Je me hissais doucement sur la pointe des pieds et de ma main valide, je tapotais doucement de mon index, le regard perplexe. « Ça va là-dedans ? » Puis je pouffais de rire, avant de prendre un air sérieux. « Si Monsieur, le Valet, veut bien se donner la peine. » T’invitant d’un geste de la main à opérer un demi-tour, pour prendre la direction de l’Est. « Vu l’endroit, je n’aimerais pas rencontrer les sorcières de Salem. » Je te contournais pour me placer de l’autre côté, afin d’éviter que des hallucinations sortent de l’eau, du petit point d’eau qu’on longeait. « Je deviens déjà parano, à tout moment, la princesse fait un malaise devant son valet. » Lève les yeux pour trouver les tiens, j’inspectais tes pupilles à la lueur des lumières artificielles. « Tu es déjà en train de te dilater, ça fait effet en combien de temps ton truc ? » Que je soufflais en resserrant mes phalanges, autour du tissu de ton haut.

Prie plus fort et p't'être que ton vœu s'exaucera.. Absurdité appuyée par un rire désinvolte, le ton on ne peut plus ironique. L'écho de ta mère ose s'infiltrer dans tes pensées, dans le moment présent, elle et ses prières intempestives qui guériraient tous les maux du monde si tant on croyait ses mantras. Un écho du passé insensé qui refaisait de plus en plus surface ces derniers temps. D'où l'envie de fuir, de s'approprier la soirée, de ne pas s'montrer rationnel, pour reprendre ses mots à Maze. J'savais que j'avais tiré le gros lot en faisant l'premier pas ce premier jour. A vôtre lieu de travail, le lieu de votre rencontre, où la magie s'est opérée dès les premiers instants, qui a engendré d'incontestables fous rires que vous revisitez aussi fréquemment que possible. Qui a engendré cette soirée, tout aussi éclatante de.. magie, dirons nous. Un autre type d'envoûtement, qui te permettrait cette liberté d'esprit ardemment recherchée depuis l'incident. Et rien qu'à l'idée, la hâte prenait le dessus ; aucune hésitation ne se profile au début du festin. A la tienne. Tu trinques à son image, d'ores et déjà en plein fou rire comme à vos habitudes quand vous vous trouviez dans la même pièce. T'as raison.. Mais qu'est-ce qu'ils pourront nous faire ? Je leur grognerai dessus et ils fuiront les fous du quartier ! Un bon plan en perspective. Surtout quand l'enfant au fond de toi ne demandait qu'à refaire surface ce soir, quand tu ne désirais qu'une seule et unique chose : t'oublier. Aucun regard en biais ne pouvait s'accaparer ta soirée, votre soirée. Et les imbécilités commençaient sans plus attendre, dans ce jeu de rôle de Princesse et de Valet qui s'aventuraient dans les tréfonds d'un chemin menant vers un point d'eau. Tu suivais, bêtement, loin de te préoccuper de l'environnement, davantage plus concentré sur la voix fluette de ta compatriote. Tu parles beaucoup, nan ? Arques un sourcil, une lanterne perfide s'allumant à l'arrière de ton cortex. Les sorcières risquent de t'entendre.. Le regard qui fait un aller-retour plus que parlant entre le point d'eau à vos côtés et l'expression un tantinet trop innocent sur les traits de la brune, préoccupée par tes pupilles dilatées. Comment t'arrives à les discerner dans l'obscurité ? Au milieu de la nature, de tes iris naturellement sombres. Elle te coupe dans tes propres pensées par sa proximité, sa grippe sur ton haut, sincèrement curieux par son discernement. Dans ton état presque second, tu réciproques son observation, t'abaisses au niveau de son regard. C'pas juste, toi t'as les yeux beaux et clairs ! Elles t'épargneront les sorcières de Salem et les monstres de l'eau si j'te jette dedans.. Les mots devenaient indépendants d'ton contrôle, tous comme les membres de ton corps et particulièrement tes phalanges qui se baladaient sans scrupule et douceur sur son visage pour ausculter ses yeux bleus. J'peux tester ? S'il te plaît ? De la jeter dans l'eau. Au moins, tu demandais la permission, non ?

C’était quelque chose que j’avais déjà essayé, en vain. La prière n’avait jamais apporté la richesse et le bref moment ou j’avais cru bon de croire en quelque chose de supérieur, j’avais aussitôt cessé d’y croire. Quel dieu s’amuserait de nous de la sorte ? Nous offrant une vie de galère ? — C’est un peu comme si on avait gagné le jackpot. Et j’étais loin de me douter d’à quel point je visais juste, sur l’importance et la place que tu prendrais dans mon quotidien. Nos rires mêlés me rappelaient combien il était important de bien s’entourer. Dans les moments difficiles, comme cette mauvaise passe, cela faisait du bien de savoir que nous n’étions pas seuls. Pour cause notre objectif, c’était d’oublier à quel point la vie ne nous épargnait pas, mais qu’au lieu de lui donner raison, nous allions faire en sorte d’en sortir plus fort. Et quoi de mieux que la drogue pour se sentir invincible ? — Ohhhh ! Sautillant sur moi-même. — J’veux t’voir grogneeeeer. Jusqu’à oublier et vouloir te voir faire autre chose. Parce que je me connaissais, une fois les hallucinations installées, j’allais vriller. Quoi que s’était peut-être déjà le cas ? Les mots qui s’échappaient d’entre mes lippes, sans me laisser le choix des phrases prononcées. — J-je, non ? Si ? Me rapetissant d’un seul coup, j’essayais de me faire plus discrète, pourtant ma voix fendait l’air. Je n'étais obnubilée que par une chose, voir le brun de tes yeux ne laisser place qu’aux ténèbres. — Parce que j’suis une chouette, voyons. Disais-je en mimant des ailes de mon bras valide, avant de retrouver le tissu de ton haut. — Tututu, les tiens sont tout aussi beaux, plus mystérieux que les miens et.. Plein de malice. Tu charmerais la plus récalcitrante des sorcières. Parce que c’était un fait, n’importe qui pourrait tomber sous ton charme. Les bleutées s’arrondissaient à tes mots, craintive de finir à la flotte, début mai. Je lâchais le tissu pour venir s’entourer autour de ton poignet — Nooon, stauplaiiiit. J’ferais tout c’que tu veux en échange, mais m’jettes pas à l’eau, il doit faire moins cent dedans. Au moins. — Puis les crocopent vont me manger, c’est sûr. Tu aurais envie de mourir dans la gueules d’un crocopent toi ? Et aucun de nous deux ne voulait passer la soirée aux urgences le temps de me refaire un plâtre, complètement défoncer. Je reculais, gardant en otage ton poignet. — NE. LÂCHE. PAS. MA. MAIN. Glissant ma main dans la tienne pour t’attraper et t’emmener avec moi dans une course folle. Les secondes me paraissaient des minutes. Et essouffler, je m’arrêtais. — Tu n'as pas vu… les milliards de.. minis nous qui arrivaient en courant ? Bordel, c’est puissant ton truc.