@Haiwee Wind River || Il aura fallu des jours pour me faire à l’idée, de longues discussions avec ceux qui n’ont pas fui les leurs responsabilités pour accepter d’assumer les miennes, pour m’empêcher de faire marche arrière. Il y a eu des changements à appréhender, des annonces à faire. Il y a eu des peurs auxquelles j'ai dû faire face, des jugements, des rejets, dont un redouté plus que les autres et qui pourtant n’avait pas eu lieu. Puis finalement, malgré tous les changements qu’elle a apportés dans ma vie, Anaé n’avait rien provoqué de catastrophique ou d’insurmontable à mes yeux. Quant au reste, il était désormais devant nous. On allait en avoir des choses à vivre, elle et moi, que ce soit concernant sa vie ou la mienne. Bien sûr, bon nombre de ces moments seraient aussi à partager, notamment avec sa mère, comme pour sa première bougie, mais d’autres seraient exclusivement à nous. En tout cas je l’espérais, parce que je voulais avoir avec elle cette complicité qui m’avait tant manqué avec mes parents. « Et maintenant je ne regrette pas. » Que je confirme sereinement. Et plus on allait avancer dans nos vies, plus je sais que je le serais face à ma décision d’assumer ma paternité.

Des mots restés en suspens attise ma curiosité face à la jeune femme. Je ne veux pas insister, je ne veux pas l’obliger à parler, mais l’interrogation se formule toute seule. Il y a quelque chose entre ce mec et elle, cette chose qui cloche et qui pourtant fait que leur relation fonctionne, d’une façon ou d’une autre. Elle l’aime, ça se voit, mais en même temps, c’est compliqué. Mais je n’ai pas le temps d’avoir une réponse à la question que le vendeur de l’autre côté du stand me regarde, m’obligeant à mettre en pause la discussion pour annoncer ma commande. Un café chaud, et quelques churros pour permettre aussi à Anaé de grignoter quelque chose. Anaé que je confie naturellement à Haiwee, sans même vraiment réfléchir afin de régler notre commande. Bébé déposée dans les bras de l’amérindienne, je mets en garde cette dernière contre la passion de ma fille pour les longs cheveux qu’elle aime accrocher avec ses doigts. Sa mère en faisait régulièrement les frais, d’autant plus qu’on ne soupçonne pas la force des enfants de son âge. L’argent déposé sur le comptoir, mon attention revient sur la jeune femme et ma fille. Surtout ma fille, comme si je prenais soudainement conscience de mon geste. J’avais confié Anaé à quelqu’un d’autre sans réfléchir, moi qui était toujours rigide à cette idée. « Soit pas médisante, parce que j’ai une filleule et une nièce de six ans, et que je gère coiffure, habillage et vernis à ongle ok ? » Bon,c’était certes pas parfait mais j’avais de l'entraînement dans le domaine, et un jour, ça servirait sûrement avec Anaé aussi. Je laisse Haiwee la remettre dans la poussette le temps que nous puissions boire nos cafés tranquillement, tandis que je tends à bébé un churros pour la distraire de la contrariété. Le verre de Haiwee tendu vers elle, elle reprend alors sa phrase laissée en suspens un peu plus tôt. Je m’inquiète pour elle, pour cette relation qui semble déséquilibrée dans laquelle elle a l’air bien engagée. L’envie de la mettre en garde sur cette attente qui ne prendra peut-être jamais fin m’effleure l’esprit, mais je ne veux pas la faire douter, je ne veux pas provoquer plus de trouble encore dans son âme. « J’espère que tu n’auras plus à l’attendre longtemps alors. » Je lui souhaite qu’il ouvre les yeux, se rende compte qu’elle ne l’attendra peut-être pas indéfiniment et qu’il se décide enfin à se consacrer entièrement à la jeune femme. « Comment vous vous êtes connu ? » Pourquoi s’était-elle attaché à lui, et comment ?

@Haiwee Wind River || On pourrait penser que la paternité aurait pû être un jeu d’enfant pour moi, que je savais déjà à quoi m’attendre, ayant plus d’une fois joué les nounous pour Zéphyr et ses jumelles, mais finalement, avec Anaé, tout avait été différent. Déjà parce qu’elle était un nouveau né, un petit être fragile que Anja et Kaia sont beaucoup moins désormais, mais en plus parce que les responsabilités qui m’attendaient à ses côtés n’étaient pas les mêmes. Il n’était pas question de la surveiller quelques heures, s’assurant qu’elle ne se blesse pas avant de la rendre à sa mère, non, il fallait s’assurer qu’elle grandisse dans un foyer sûr, il fallait la protéger de tous dangers, veiller à sa sécurité, sa santé, son épanouissement. Il y avait tellement de choses que j’avais à peine entrevues auprès de mes nièces, et qui pourtant, seraient fondamentales dans ma paternité. De quoi semer le doute sur mes capacités et ma volonté d’assumer de si grandes responsabilités, de quoi me tenter de renoncer, avant même d’essayer. Ce que je n’ai finalement pas fait, encouragé par mes proches à faire ce qu’il y a de plus juste. A assumer. Néanmoins, j’avais quand même quelques talents qui, j’en suis sûr, se révèleraient surement très utiles un jour comme savoir faire les tresses, mettre du vernis à ongle et comprendre comment fermer une robe de princesse. « T’as raison, moque toi ! Mais tu verras que dans quelques années, elle me donnera raison. » Que je lance à Haiwee, la sentant encore un peu moqueuse.

L’engagement d’Haiwee évoqué, je me questionne sur cet Adams qui semble avoir gagné son coeur, retenant bon nombre de commentaires qui pour la plupart pourraient se révéler désagréable à entendre. J’essaye de ne pas juger son choix, de ne pas faire de commentaire sur son choix de l’attendre au lieu de passer à autre chose, comme beaucoup l’auraient sûrement déjà fait depuis le temps. Car après tout je ne suis pas le mieux placé pour parler, moi, vivant mon amour caché, taisant le nom de celui que j’aime dans chacune de mes discussions. Si l’amérindienne était en paix avec son choix, alors je me devais de respecter ça. Néanmoins je m'interroge sur ce que le jeune homme a en lui pour que la jeune femme le veuille lui et pas un autre, sur ce qui l’a frappé pour qu’elle s’attache autant à cette personne qu’elle ne semble pas connaitre depuis si longtemps. La vérité sur leur rencontre me laisse quelques secondes sans voix. D’elle, je ne m’attendais pas à ça, et en même temps, ça semblait bien lui correspondre. « Tu vois bébé, c’est pour ça qu’on te gardera dans une tour très très très haute ! Pour que ce genre de chose n’arrive pas. » Je me penche au-dessus, de la poussette, mon visage face à celui d’Anaé, tout en regardant Haiwee du coin de l’oeil. J’étais bien trop papa poule. « En tout cas, c’est pas commun. Et je suppose que suite à ça, vous avez passez plus de temps à discuter dans la chambre qu’à la soirée ? » Je ne serais pas surpris qu’elle me dise y avoir passé la nuit, à discuter avec ce charmant et étrange inconnu aux manières peu conventionnelles. « Et après ça, qu’est ce qui t’a fait réaliser ? » Que c’était pour lui que son coeur flanchait, et pas pour un autre.