Bientôt, les fenêtres s’éclaireront, prémices de la frénésie imminente. Cette urgence matinale pressante et les autres te croiseront, te frôleront, bien occupés par leur morne quotidien. Néanmoins, nul ne saura qui est l’homme qui marche parmi eux. L’œil vide du moindre substrat, l’essence même de l’abysse. Curieuse tâche transparente, tu n’es qu’un ectoplasme dont les dents grinces et dont l’âme hurle une terreur blanche. L’insomnie demeure sous ton regard, ecchymose continuelle. Théodore, ton visage semble fondre étrangement à la clarté des premières lueurs de l’aube. Furtivement, tu déambules dans leur champ de vision avant de disparaître sur le trottoir. Combien donnerais-tu pour qu’un inconnu se retourne et soutienne ton regard ? Ne serait-ce qu’une seconde ? Un battement de cil sans conséquence qui rappellerait à ta mémoire la direction à choisir. Tu marches dans les rues, ignorant tout du contrôle que tu pourrais exercer sur ton corps, petit automate perdu, le visage éclairé par ce soleil qui se lève paresseusement. Cette lumière chaude qui ne parvient pas à engloutir l’obscurité croissante dans ton esprit et qui détermine ce cheminement. Tu ne regardes ni où tu vas, ni ce qui t’entoure. Victime de l’enchantement néfaste d’une descente catastrophique. Une angoisse profonde creuse ses ornières dans ta poitrine, l’hémoglobine fouillant les moindres méandres de ton être à la recherche de quelques cristaux blafards. Tu es là sans véritablement être présent : une enveloppe évidée. As-tu conscience Théodore qu’il ne s’agit plus de plaisir ni d’amusement ? C’est une anesthésie générale de la tristesse dont les effets indésirables te conduisent aux frontières de l’absurdité. Tu sembles reconnaître à quelques mètres une silhouette et dans un élan de lucidité tu accélères en sa direction. Haiwee. Coïncidence salvatrice. Tu découvres à travers elle combien il suffit parfois d’une bonne rencontre pour remplacer des centaines d’amis. Ta gorge est une cage remplie d’oiseaux affolés, l’esprit qui se débat entre les barreaux et cette douleur… Lancinante qu’un seul bégaiement parvient à franchir tes lèvres. « Déjà débout ? »

Quelle heure est-il ? Les caresses solaires ne font pas frémir ton épiderme Théodore, ni même la souffle du vent qui s’engouffre pourtant sous ta chemise. Les journées et les nuits ne semblent être que des fragments, des images, des sensations, des émotions et des conversations qui résonnent dans ton esprit. Le néant. De l’odieuse carence transparait un tremblement dans tes mains, un reniflement t’échappe, rien que tu ne parviennes à formuler. Ce rien sur lequel tu ne possèdes encore quelques emprises. Cocaïne. Chère substance entrée dans un silence et qui désormais t’abandonne lâchement. Elle s’annonce comme la soif, pressante comme la silhouette de la solitude. Ombre qui s’attache à ton corps. Elle a murmuré toute la nuit durant tes défaillances. Maintenant, tu titubes malheureusement aux grés de sa volonté sur l’asphalte. Le dégoût de l’existence ne demeure-t-il pas néanmoins un moyen de perdurer ? La haine envers ta misérable personne une manière de te faire exister dans ce tableau flou ? L’amour, un rire narquois pourrait t’échapper à cette pensée. Tous ceux que tu aimais sont morts, n’est-ce pas Théodore ? Tu aimes Lali et… Adieu la jolie fille. Martellement stupide : les personnes que Théodore aime finissent inévitablement par s’enfoncer parmi les détritus, dévorés par les vers et larves. Pourquoi continuer à nourrir ce cœur meurtrier ? Pourquoi vous ne laissez jamais les autres apercevoir vos bons côtés Monsieur Hawthorne ? Un hurlement de rage pourrait être la meilleure réponse à ce psychiatre stupide. L’or se couvre de rouille, l’acier tombe en poussière, le marbre s’effrite et les corps se décomposent. Tout semble se préparer pour la mort, pourquoi pas toi ? Seule souveraine sur terre, tristesse s’accumule dans tes veines, remplaçant la si précieuse cocaïne. « Je te retourne cette question. » Un sourire. Quelle question ? Tes pensées s’agitent et la salive te fait défaut. L’odeur du café faire jaillir au profond de tes entrailles une nausée accablante. Haiwee. Peut-être est-elle là pour t’aider d’une manière dont personne d’autre n’est capable ? Angélique dans les moindres détails. « Je voulais passer au boulot, puis… » Tu ne reverras jamais ton grand-père. Jamais plus. Lali non plus. Jamais. Jamais. Jamais. Tu as la sensation que chaque seconde est un réveil insupportable. Éveil pour mieux sombrer, encore et encore. Les mots s’expulsent de ta bouche sans véritable que ton consentement ne soit validé. « Je… Je suis où ? »

« Théodore ? Théo ça va ? » Une voix. Élémentaire ensemble de sons produits par les vibrations des cordes vocales, une parole phonique présente, si proche. Comment cette réflexion lointaine parvient-elle à faire frémir ainsi les grains de la réalité. Une simple réflexion se répercutant inlassablement aux obstacles de ton manque. C’est un timbre se noyant dans les méandres de la matérialité, prisonnier d’étranges prismes. Tressaillir encore et les sueurs froides pénétrant ton épiderme amorphe. L’incertitude t’assiège, encerclant les pauvres réserves de lucidité qui éclairent tes vagues pensées. Néanmoins, existe-t-il une réelle raison de douter Théodore ? Certain de rien, pauvre idiot, pas même de sentir sa paume saisir ton avant-bras. cocaïne. Pitié ne l’abandonne pas, demeure encore dans ses cellules. Ô combien tu es malheureux lorsque la douce substance s’absente. Tu aimerais pouvoir mieux l’expliquer, que cela ne soit pas véridique… Inconscient que ses aurevoirs te rendraient si misérable. Insecte ridicule. Les pupilles s’habituent à l’obscurité et la douce lueur matinale devient aveuglante, transperçant tes yeux d’un foudroiement retentissant. Tu agoniseras toujours dans l’ombre Théodore. Châtiment du dépendant. La nausée te laisse un répit, mais tu sais qu’elle reviendra bientôt torturer ton estomac. C’est une promesse qu’elle murmure à ton oreille à chaque tentative de sevrage. « … Non » Faible balbutiement qui parvient à s’échapper de tes lèvres. cocaïne. Elle commence par une petite croûte prurigineuse dans la narine, s’étendant lentement en ulcère. Ronge subrepticement le cartilage et la conscience. Tu ne parviens pas à respirer correctement, ton souffle se bloquant douloureusement dans ta poitrine. Tu n’as envie de rien, tu ne sais pas quoi faire, ni quoi dire. Tu ne veux pas dormir mais il est impossible rester éveillé. Encore. Tu n’as pas faim et tu refuses la moindre solitude, fouillant l’asphalte pour une once de proximité humaine, détestant cette proximité humaine. Dans le purgatoire de tes consommations excessives. « T’es avec moi. ? » N’essaie pas de l’éveiller, il est déjà parti. Perdu dans les sinuosités de ses défaillances. Tes yeux s’affolent et papillonnent dans le vide. « S’il te plait, dis-moi où je suis »