Lorsque je pose mes valises sur le sol de l’appartement, c’est un large sourire qui prend possession de mon visage. J’ai apprécié ces quelques jours à Paris mais je comprends enfin ce que les gens entendent par “on est jamais mieux que chez soi”. J’ai déjà hâte de retrouver mon lit ce soir mais pour le moment, la journée est encore jeune et je veux si tout va bien au Nirvana. La marche jusque là-bas n’est pas trop longue par le parc de l'université alors j’en profite. C’est risqué, carrément casse gueule, mais après avoir passé plusieurs jours à swinguer entre les bombes et les coups d’yeux assassins, ce n’est pas du verglas, des températures négatives ni même un peu de neige (ok, beaucoup) qui vont me faire peur. À tâtons, j’avance et prends quelques clichés et vidéos d’Harvard sur mon chemin. Je redouble d’attention quand je vois un jeune homme déraper doucement et ça m’arrache un sourire. Ce n’est pas de la moquerie, ça m’éclate juste carrément de voir tout cela, ces gens aussi téméraires que moi. Il me passe rapidement devant et monte sur sa moto avec dextérité. Plus souple que moi, visiblement. Quand je l’entends pester en allemand, ça m’arrache un sourire et je dis Ja ja schon klar. Très confiante. C’est à peu près tout ce que je sais dire en allemand. Et je n’ai donc pas du tout compris ce qu'il voulait dire. Vous avez besoin d’aide ? No shit Sherlock. Je suis complètement inutile sur ce coup. Y a un garage pas trop loin. Sur le chemin du Nirvana, je passe souvent devant.

hj - je me suis permise, j'espère que ça ne te gêne pas

Je rentre de Paris positive, reboostée à bloc mais aussi prête à me battre pour réussir chacune des résolutions que je me suis posée lors du repas du vingt-quatre décembre. Je sais ce que je veux et je sais que je vais y arriver. C’est donc motivée et presque guillerette - sous ma couche de vêtements - que je file vers le Nirvana. Les lieux sont fermés quelques jours pour tout changer, pour tout mettre en place pour la réouverture mi-janvier. J’ai hâte de ce nouveau chapitre. Je pourrais paniquer que ça ne fonctionne pas mais la négativité n’est pas la bienvenue. Et cette année, je compte aussi mettre l’accent sur l’entraide. Enfin sortie des galères, forte des personnes qui m’entourent, il est temps de donner à mon entourage ou tout simplement aux gens dans le besoin, quelque besoin que ce soit. C’est pour cela que je m’approche du jeune homme en galère avec sa moto. Un sourire sur le visage, la mine légèrement attristée par le constat, je plonge mes mains dans mes poches. Oui, ça risque d’être compliqué… Au vue des rues, personne ne va vouloir se bouger pour dépanner une moto. Je vais au Nirvana. C’est un club de striptease, je sais pas si vous connaissez ? Que je demande rapidement. C’est mon chez moi, en quelque sorte. C’est là où j’ai posé mes valises en arrivant en ville il y a dix ans et à nouveau cette année. Ça vous dit de venir ? Il y a du chauffage et de quoi boire et manger. Et danser mais ça, je ne vais pas forcément le préciser. Ça vous permettra d’être à l’abris si vous souhaitez contacter quelqu’un d’autres. Parce qu’ici, sur place, dans le courant d’air, on va se transformer en glaçons, aucun doute.

Non, il est fermé à cause du temps mais je suis la propriétaire donc on y entrera sans soucis. Que je souffle rapidement, répondant au jeune homme. Ce n’est pas le lieu de l’année, il ne fera pas super chaud vu qu’on a été fermé toute la période de Noël - merci le temps pourri - mais dans mon bureau, ça devrait le faire. En plus, vu qu’on se prépare pour le changement et la réouverture du club, on a tout ce qu’il faut pour passer une bonne soirée, une très bonne soirée même. Pas forcément dans la luxure mais on aura de quoi nous sustenter, ça c’est sûr. Allons-y alors, c’est par là. Que je souffle en commençant à marcher en direction du Nirvana. Je frotte mes mains l’une contre l’autre avant de les plonger dans mes poches, comme si cela allait vraiment aider. La chaleur est presque inexistante dans mon corps et je me demande vraiment pourquoi j’ai eu envie de sortir et d’affronter ce temps glacial. Ce n’était pas très mâlin mais le boulot me manque alors… me voilà en chemin avec un jeune homme dont je ne connais même pas le prénom. Je m’appelle Gigi au fait. Et vous êtes ? Que je demande, tentant d’engager une conversation intéressante pour l’un comme pour l’autre. Ça peut rapidement être étrange une rencontre au milieu de nul part alors autant briser la glace. Vous êtes nouveau en ville ? Parce que j’ai bien reconnu qu’il parlait allemand tout à l’heure et je pense que c’est un tic que l’on a au début de son arrivée sur la ‘terre promise’, plus après un certain temps. Enfin, c’est mon cas.

On va dire que tu as clairement une sauveuse, t’aurais eu bien dû mal à rentrer chez toi sous la tempête de neige. Elle était la propriétaire du Nirvana, la nouvelle de ce que tu as compris. Tu étais quand même rassuré de savoir qu’il n’était pas ouvert. T’aurais clairement été mal à l’aise sur le coup. Tu la suivis, sentant déjà le froid t’envahir petit à petit malgré que tu sois quand même bien couvert. « je vous suis » et tu la suivis sans rien ajouter de plus. Tu commenças à la suivre en direction du club. Tu faisais au mieux pour marcher quand même rapidement, préférant éviter de rester trop longtemps dehors non plus. « moi c’est Nahel, enchanté » dis-tu d’un sourire aux lèvres. « je suis arrivé en juin 2022 donc plus vraiment nouveau mais quand même un peu ! je pense qu’on peut se tutoyer maintenant » parce que t’es pas le plus doué pour utiliser du langage soutenu. « et toi du coup ? tu es là depuis longtemps ? » parce que son prénom ne sommes pas réellement américain. Après, t’es pas le plus doué en nom américain non plus.

Sociale comme à mon habitude, j’accroche avec plus ou moins chaque être humain sur cette planète. Et puis, je sais ce que c’est que d’être dans la galère, quelque soit la galère. Le temps n’est pas clément et j’espère que cette neige - et glace - qui recouvre la ville disparaîtra rapidement. Je ne suis vraiment pas habituée à ce genre de température et je pense que je ne m’y habituerai jamais. Mais au moins, ça m’a appris à vivre dans des situations frigorifiques et à faire attention aux gens qui m’entourent, leur proposant de l’aide quand je le peux. Je n’irai pas me mettre en danger pour un inconnu mais aider, je suis toujours là pour cela. La marche rapide activée, le froid qui me brûle le front, je commence à discuter avec le jeune homme. Nahel. J’aime beaucoup. J’apprends qu’il est là depuis peu et grimace quand je fais les calculs. C’est donc ton premier hiver ici… C’est peut-être bien pour cela que le jeune homme est venu en moto à l’université. Il ne s’attendait pas à ça. On fait tous ce genre d’erreurs au début, c’est complètement normal et humain. Je suis arrivée la première fois en 2011, puis j’ai passé quelques années à Los Angeles et je suis officiellement de retour ici depuis août 2021. Je suis arrivée de manière illégale ici mais ça, je n’en dis rien. Je suis née au Brésil alors ces températures… Je ris légèrement en tirant sur ma capuche pour cacher mes joues. C’est peut-être cela la clé pour affronter ce froid, s’imaginer qu’on est au bord d’une plage au Brésil. Mais en attendant, on y est loin, de mon Brésil natal. C’est plus très loin. Que je dis pour nous encourager et nous rassurer tous les deux. Il fait vraiment très froid.

T’avais quand même hâte de retrouver la chaleur car tu commençais à geler sur place. T’aurais peut-être dû squatter la kirkland tout simplement, au moins tu aurais un lit où dormir si besoin. Tu répondis aux questions de Gigi, te présentant par la même occasion. « oui, c’est mon premier hiver ici » dis-tu d’un sourire au coin. L’hiver est déjà bien froid en Allemagne ou même en Angleterre. « l’hiver en Europe est plus froid qu’ici, c’est vraiment exceptionnel ce qui se passe » dis-tu en rentrant un peu plus ton menton dans ta veste. Gigi connaissait déjà bien le coin, elle était certes partie pendant un temps mais elle avait déjà une base. Toi quand tu es arrivé, c’était pas du tout le cas. « tu es revenu au ‘source’ si je peux dire » dis-tu d’un sourire au coin. Un rire sortit de tes lèvres alors que tu secouas la tête doucement. « je ne pense pas que ça soit réellement la situation. Le top est d’avoir une cheminée et du feu » dis-tu en haussant les épaules. Penser à une plage ne te réchauffe pas, malheureusement. Tu espérais que ça allait être proche parce que t’en peux déjà plus là. Tu vis l’enseigne un peu plus loin après quelques minutes de marche. « on y est nan ? entrons vite » dis-tu en accélérant le pas. Tu passas la porte derrière elle et tu soupiras de plaisir, il ne faisait pas full chaud mais c’était mieux que dehors.

Je ne sais pas comment les gens font pour survivre dans des régions comme celle-ci ou bien même au Canada. Il doit y faire si froid et rien que d’imaginer les températures de l’autre côté de la frontière, je pourrais en mourir glacée sur place, c’est pour dire. Je n’aime pas ces températures mais en même temps, c’est la logique des choses, non ? Plus froid que ça ? C’est possible ? Bien sûr, tout est possible mais je n’ai mis les pieds que deux fois en Europe et il n’a jamais fait trop froid, loin de là même, le réchauffement climatique montrant au monde ce qui nous attend pour les années à venir. C’est ça, je suis revenue dans ma famille et reprendre ma vie où je l’avais laissé. Et même un peu plus avancée que là où je l’avais laissé. Je ne suis plus cette petite fille qui avait peur de se faire embarquer et renvoyer au Brésil au moindre souci. Aujourd’hui, je me sens un peu plus libre et c’est bien pour cela que j’ai acquis le Nirvana. Si ma vie n’avait pas changé, je n’aurais jamais pu me le permettre, je n’aurais jamais pu quitter le monde dans lequel j’ai fait carrière pendant plusieurs années. J’acquiesce aux mots du jeune homme et lui passe devant pour ouvrir le club. Mets toi à l’aise, j’arrive. Que je souffle en le laissant entrer dans la salle principale pour aller en arrière et enclencher les lumières et le peu de chauffage que nous avons. Ici, on a plus souvent besoin de la climatisation que d’autre chose. Tu veux boire quelque chose ? J’enlève rapidement mes nombreuses couches de vêtements et pose tout dans un coin avant de me diriger vers le bar. Alcool, thé, café, chocolat chaud, c’est la maison qui offre. On va peut-être transformer ce moment en jeu, ça sera moins long ? Qui sait…