Sa bouche encore accolée contre la tasse, elle se brûle un tantinet les lèvres lorsque le café latté s’insinue entre elles, mais c’est une sensation qui lui plaît. Toujours souriante faute d’une émotion incontrôlée, de la légèreté ambiante, de s’éprouver apaisée et d’avoir oublié le fait d’être méfiante. A entendre Sheng approuver sa petite pique au sujet du sachet duquel il est accompagné, c’est la tasse qu’elle s’égare à mordiller. « Je sais. Elle prend beaucoup de place, » pas tant, mais elle la laisse gagner pour le moment. Parce qu’elle aime l’idée, qu’il la regarde, envieux de la toucher, une tentation à laquelle il ne peut pas tout de suite, céder.

Et faisant semblant de s’intéresser aux images qui défilent sur l’écran, elle manque de s’étouffer quand il vient, insolant, l’interroger. « Mais … C’est pas ton peuple qui pratique...la polygamie ? » En résulte alors ses sourcils froncés, une piètre envie de lui asséner un coup lui paraissant plus que mérité. Seulement c’est pour une autre solution qu’opte finalement la Haiwee, lui demandant, feignant le fait qu’elle trouve cela amusant. « Parce que tu t’y es intéressé ? » aux us et coutumes de sa communauté. Sur le comment, à l’amérindienne, il pourrait officiellement se lier.  Forcément, en lui décochant, une œillade, elle en vient à se questionner sur le sujet, après tout, ce n’est plus à prouver, qu’elle l’aime suffisamment pour tolérer de le partager. Les possibilités se multiplient quelque peu dans son esprit, ce que cela changerait entre eux, s’ils suivaient le chemin relationnel de ses aïeux. « Pratiquaient. » Elle s’amuse à corriger, avant de braquer son regard sur le film, car il n’est pas le temps de tergiverser sur ces potentialités.

Par quelques gorgées, durant plusieurs instants, elle se concentre sur le fait d’achever son café, et puis à la moitié du film ou presque, elle dépose le récipient sur la table basse à côté de son jumeau… C’est avec une délicatesse surjouée qu’elle va récupérer sa concurrente du jour, pour aller, elle aussi, la déplacer en face d’eux. Audacieuse, l’amérindienne en profite donc pour s'aventurer à se lover contre le corps de l’étudiant pour lequel elle ne sait que flancher. Ses phalanges se risquent à glisser sous le tissu de son kimono, appréciant les reliefs de sa peau. Son visage contre son épaule, elle écoute la langueur de sa respiration, rythme de son affection. Et même si dans son être brûle une avidité lui donnant envie d’envoyer valser le film et la bûche pour une toute autre activité encline à la volupté, c’est jusqu’au générique de fin qu'elle se tient tranquille la Haiwee.

Ce film, elle l’a probablement vu déjà de trop nombreuses fois, mais il parvient toujours à lui arracher ce sourire à la fin. Celui qui s’approche du serein, qui résulte de ses espoirs à la faveur de l’amour, passablement vains. Mais auxquels, elle croit, elle n’y peut rien, faute de son cœur rêveur, presque enfantin. Oui, elle l’avoue, elle aimerait, que comme dans une comédie romantique Sheng choisira un jour de lui souffler à quel point il peut l’aimer. Qu’il réalisera que tout ce qu’il a toujours désiré c’est de l’avoir elle, à ses côtés. Elle rêve, d’une affection que rien ne saurait arrêter. Et si tout le long de la pellicule ils sont restés très sages malgré leur corps s’épousant l’un l’autre, il suffit qu’il pose sa paume sur l’un de ses jambes pour qu’elle omette le calme qui régnait en son être.

A la cadence de ses doigts qui parcourent sa peau, sa langue humidifie ses lèvres sans même le maîtriser, en un acte manqué, appréciant les prémices de ce tableau. « Pas terrible cette histoire, » elle en bat des paupières, plusieurs fois, quitte sa main des yeux pour aller se perdre dans les siens. L’arrête de son nez froncé, ses sourcils aussi d’ailleurs, accablée. « Qui peut croire à çà ? » Elle en déglutit, sans s’en rendre compte il amoindrit ce qu’elle peut ressentir pour lui. Ses espérances amoureuses pour sa vie. Elle en est même à se demander, s’il n’est pas en train de se moquer. C’est pour ce dernier fait, qu’elle s’éprouve autant vexée. La non-réciprocité, elle a appris à l’accepter.

Alors ses phalanges vont chercher les siennes, elle empêche ses caresses parce qu’elle ne peut s’empêcher d’être piquée par ce qu’il vient d’articuler. Elle se libère de sa paume, au moment de se relever, elle siffle un murmure, « Moi. » qui paraphe son mouvement, blasé. C’est sur les tasses qu’elle jette son dévolu, elle les attrape d’une main, et le sachet de farine de l’autre, pour s’en aller en direction de la cuisine là où tout aurait dû commencer. Elle dépose les mugs en ruminant tandis qu’elle observe les ingrédients, elle mord l’intérieur de sa joue, lui jetant une œillade de biais, prête à se voir accusée de triche invétérée dans une pirouette destinée à changer de sujet. C’est pour se montrer plus forte, qu’elle réattaque en premier, « Tu as une balance pour la pâtisserie ? » C’est mieux, elle le sait, parce que face aux évidences qu’il pourrait souffler, elle n’a pas une grande envie d’être à nouveau écorchée.

Elle s’enferme dans un silence, rumine les aléas et tumultes de ce qu’ils vivent qu’elle n’est pas en droit d’appeler romance. Et lorsqu’il se relève pour venir l’aider, malgré son égarement dans ses pensées, elle ne peut se retenir de le regarder. Ses prunelles se délectant de l’entièreté de sa silhouette, malgré le kimono qu’il a pris soin de refermer, qui lui plaît tellement, même lorsqu’elle est âpre par la faute de l’étudiant.

Puis si elle essaie de se reconcentrer sur les ingrédients et la confection des bûches, elle se heurte à un véritable échec, parce qu’il a entrepris un manège qu’elle ne parvient pas à ignorer. Une quête Tandis qu’il continue sa recherche de ladite balance, elle se déplace sur le côté, s’essayant à apercevoir son être en train d’écumer l’intérieur des placards par-dessus le plan de travail, sur la pointe des pieds.

Jusqu’à ce que l’ustensile désiré n’atterrisse sur l’ilot, auquel elle s’est appuyée, avec perte et fracas. Le bruit du choc et la suite des évènements lui arrachent un hoquet de surprise, si bien qu’elle s’abaisse, la main accrochée encore à la table, « Qu’est-ce que tu… » fabriques et croiser le regard de l’homme parsemé de flocons, s’en mordre la lèvre inférieure à le trouver mignon alors qu’il a encore malmené ses émotions.

C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’elle s’aventure à effectuer quelques pas en sa direction, s’arme – ou presque – du reste du sac, lorsqu’elle prononce, toujours piquée mais joueuse, « Il t’en manque un peu, » et se risque en une fraction de seconde, à pousser avec une fausse nonchalance la farine de deux doigts, « juste là. » souligné d’un sourire enclin à la légèreté, bien que ce soit une légère vengeance qu’elle vient de lui asséner.
La question c’était ? Qui peut croire en l’amour à l’eau de rose des comédies romantiques comme celles qu’ils viennent de regarder ? Indubitablement celle qui le vénère, qui le trouve tout autant parfait, si ce n’est plus, avec le visage enfariné.

Ses lèvres mordues, elle observe l’homme avec espièglerie, espérant qu’il ne soit pas susceptible face à l’acte qu’elle vient d’oser. Parce que ce n’est que de l’amour, Haiwee le promet. Et lorsqu’il attrape sa cheville d’un mouvement habile, elle en exulte un hoquet de surprise. Renforce la pression de la morsure de son inférieur, mais troque l’étonnement contre un soupir plus lent… « Tu vas m’aider à nettoyer. » Le bourreau est charmant, même quand il est couvert de blanc. Puis, si elle osait, elle lui dirait qu’il est dans le thème, que la neige, ça va avec Noël, non ? Mais à la faveur de ses légères caresses, elle se tait, de fermer un peu trop longuement les yeux, elle se permet. Consciente de l’effet qu’il lui fait. « Ou tu le fais seule pendant que je vais me rincer. » Durant plusieurs secondes encore, il maintient son emprise, et malgré l’agacement ressentit face à son commentaire à la fin du film, elle envisage avec facilité de se fondre à nouveau dans le rôle de la soumise.

Cependant, il finit par délaisser son derme frissonnant, se relève et débute le nettoyage du chantier. Non sans un énième sourire, la Haiwee se décide à être docile afin de l’aider, chose qu’elle aurait faite, évidemment, même si elle n’avait pas participé. Tout à l’œuvre du rangement, elle s’amuse à lui souffler une fugace vérité. « Ce que tu es sage. » quand il le veut, à ne pas avoir réenchérit, ne pas s’être vengé de l’audace qu’elle a eu, alors qu’elle a joué avec le feu et ça la conduit à arquer un sourire malicieux.

Alors après le rangement, le mélange des ingrédients, la décoration du sapin durant la cuisson, leurs échanges qui n’ont de cesse de raviver son affection. Elle en oubliera, comme à chaque fois, les fêlures qui se cachent en son cœur, ses désirs qui éveillent parfois ses peurs, à la faveur des instants qu’elle passe avec lui, guidée par une seule vérité, qu’importe les envies de vivre une histoire romantique, elles ne sont rien face à sa volonté de conserver cette relation aux allures uniques.