Elle n’a pas envie de le laisser derrière, ne désire aucunement se retrouver seule au moment où elle affrontera ses parents. Ce qu’elle souhaite, c’est qu’il vienne avec elle, pour être honnête. Qu’il soit à ses côtés, qu’elle le présente comme celui qu’elle a choisi, avec ses défauts qui se fondent en qualités. Passer la porte de la maison de son enfance ses doigts accrochés aux siens, l’introduire en tant qu’homme de son quotidien. Le déclarer comme âme sœur, l’amalgamer au destin. Des rêves futiles, qu’elle attribue à son cœur enfantin.

Ses pas laissant des traces derrière elle, elle a cette sensation d’avoir une pierre dans son estomac, quelque chose de noué dans sa gorge, incapable de l’avaler. Ses peurs, elle le jure, elles sont décuplées. Et dans ses veines, elle ressent trop fort son sang pulser. « Hey. » L’espace d’une fraction de seconde, elle se hasarde à croire qu’il revient sur son choix, qu’il a pris la décision de l’épauler dans l’affrontement de son passé. Elle observe, de prime abord, la main qui a accroché son poignet, puis le regard de l’étudiant pour lequel elle est tombée. Lui ? Ce sont les alentours qu’il regarde, s’assure de ne pas être dérangé tandis qu’il articule, « Y’a pas de réseau. » Elle n’aurait pas cru que ça lui fasse aussi mal, de recevoir ces mots.

Face à ses désillusions, elle plisse son expression, l’évidence lui sautant derechef au visage, en un sourire, elle palie le naufrage, « L’hôt… » inachevé. Ses explications au sujet du téléphone mise à mal, elle décale ses prunelles sur les côtés pour reconnaître l’homme qui s’approche d’eux, elle jauge la carrure, la couleur brune de ses longs cheveux... Arrivée qui force la Haiwee a retiré sa main des doigts de Sheng. Quand le prénom s’échappe de ses lèvres « Washakie, » amis, jamais amants, seulement promis. Pourtant, c’est de le prendre dans ses bras qu’elle a envie. Parce qu’elle est liée à lui depuis qu’ils sont petits. C’est à ses côtés, qu’elle a grandi. « Chatan m’a prévenu, » parce qu’il est le futur chef de la tribu. Elle hoche la tête, approuve tandis qu’elle est pétrifiée autant que perdue, « je voulais voir le wasicu. » Elle déglutit, n’apprécie pas sa façon de s’exprimer, brute et directive, mettant Sheng au niveau de l’étranger. Si elle l’avait prononcé avec affection, maintenant, il n’a pas la même définition. Ca rend nauséeuse ses émotions. Il lui faut plusieurs instants pour se reprendre et affronter son démon. A défaut de s’adresser à lui, c’est à l’étudiant qu’elle va murmurer, sa paume retrouvée, une vérité qui saura écorcher l’orgueil de l’amérindien repoussé. « Cante washte yama kahi*. » Le natif peut s'en aller. Sournoise, comme ne l’aurait jamais été, l’ancienne Haiwee.

*Tu remplis mon coeur de bonheur (je t'aime)

A l’intérieur de sa cage thoracique, elle a la sensation d’entendre son cœur battre plus rapidement. Car si lui n’a aucune idée de ce qu’elle vient de prononcer, elle, elle sait. Parfaitement consciente qu’elle vient de lui souffler un amour qui rien ne saurait entacher. De toutes les façons, c’est comme ça, qu’elle l’aime, n’est-ce pas ? Sans aucune condition jusqu’à en perdre a raison, en une totale perdition. Elle lui offre un doux sourire, effaçant d’un mouvement de sa main le fait que l’ancien fiancé doit la maudire. Cette paume, elle la pose contre la joue de l’étudiant, et lui précise affectueusement, « A l’hôtel du réseau il y en a. » Et dans quelques heures, évidemment qu’elle l’appellera.

Elle signe ses mots d’un mouvement de tête confiant, puis le quitte des yeux, lance une œillade, à l’homme venu les perturber. Elle inspire avec lenteur, comme pour aspirer sa propre candeur, pour s’adresser directement à son passé. Son respect surjoué, l’autorité qu’elle devrait posséder ici, décuplée. « Je suis heureuse de voir que tu te portes bien. » Mais il peut à présent retourner d’où il vient. Inutile d’ajouter quoi que ce soit, car dans le fond, tout a été dit, n’est-ce pas ? Il y a un an, elle a fait le choix de les quitter, et maintenant, elle assume le fait que c’est Sheng qu’elle a choisi pour l’accompagner. Qu’importe si à son affection il n’y a aucune véritable réciprocité, elle la porte telle une amulette, armée de toute sa fierté.

De sa dextre, elle mime un aurevoir à l’intention de son ancienne histoire. Elle n’est pas vindicative, pas même agressive… Car si dans la voiture elle était hésitante, son âme malgré elle, vacillante, ce n’est plus le cas, puisque la Haiwee est tout simplement comme ça, elle se bat et revendique ce en quoi elle croit. Et elle a foi en cette vie qu’elle construit là-bas. S’il a probablement envie de prononcer des milliers de paroles, il se contente d’un piètre mouvement d’épaules et pour cela, elle se devrait de le remercier, l’autorisation de leur présence silencieusement donnée, mais elle a encore du mal à avaler, son attaque détournée. Et quand il paraît opter pour le retour en arrière, Haiwee, c’est le regard de l’Adams qu’elle récupère. « A tout à l’heure ? » articulé sur le ton d’un ça va ?, s’assurant en un sens, qu’il reviendra.

Si elle comptait trouver sur le visage de l’étudiant de quoi se rassurer, le fait est qu’elle se heurte à son faciès fermé. Il réfléchit à un elle-ne-sait-quoi, qui dénote avec son besoin de l’entendre confirmer qu’il reviendra. Elle le connait assez pour savoir lorsqu’il est contrarié, même s’il s’essaie le plus souvent à lui dissimuler ce qu’il peut éprouver. Sheng si pudique en matière de sentiments. Les mystères qu’ils représentent, Haiwee, c’est ce qu’elle préfère lire comme roman.

Mais les secondes s’amoncèlent dans ce silence assourdissant, elles se travestissent en un compte à rebours flirtant à présent avec un émoi effrayant. Elle qui était persuadée d’avoir chassé comme elle se devait la tempête que représentait son ancien fiancé. Elle en clôt ses paupières prête à attendre la sentence, n’ayant le temps que de l’apercevoir gravir une nouvelle marche. « J’y suis alors… Si le wasusu y est autorisé, » l’évidence, dans son esprit, ne veut pas tout de suite tilter. Elle se mord le bout de la langue, comme pour pallier, un possible bégaiement, la débâcle de ses propres ressentiments. Débandade qui se traduit en un ; « Vraiment ? » qu’elle s’applique à prononcer d’un ton qui se veut confiant. Parce que jusque-là il n’avait pas montré une grande volonté à rencontrer ses parents. Peu certaine qu’il sache ce que cela peut ici signifier, une relation d’affections partagées. Lui si épris de sa liberté, elle a conscience que c’est son orgueil qui est en train de se manifester. Pourtant… Il y a, malgré elle, cette alégresse qui vient de poindre en elle. Une émotion réelle.

Alors dans un automatisme, elle effleure ses doigts des siens, sans oser lui tenir fermement la main, et le convie à entrer dans ce monde, l’écrin de ses anciens desseins. D’abord, elle frappe à la porte, s’annonce d’une apostrophe amérindienne, et patiente pour voir s’ouvrir son passé. Si on pourrait s’attendre à ce qu’ils prennent leur unique fille dans leurs bras, alors qu’ils ne l’ont pas vu depuis près de douze mois, c’est la méfiance qui règne lorsqu’ils se décident à envahir l’espace rustique à l’aide de quelques pas. Ses prunelles accrochent de prime abord les traits de ses parents, s’attardent à déterminer ce qui a pu, sur eux, changer. Puis elles déclinent sur le côté, si bien qu’elle esquisse un sourire à reconnaître deux de ses cousins, l’habitacle déjà bien plein, même si elle sait qu’ils vont défiler, durant cette journée, les siens. Toujours dans la langue qui l’a vue naître, elle s’exprime, présente Sheng comme quelqu’un de bien. Un compagnon qui parcourt avec elle, le même chemin. Sans pour autant oser le présenter comme celui qui a su la dérober à ceux qui l’ont élevée. Car si elle l’aime, elle n’est pas sans ignorer que c’est pour elle, d’abord, qu’elle les a quittés.

Cependant, après avoir reçu l’autorisation de rester, quand ils retirent leurs vestes, faute de la chaleur engendré par le feu se trouvant dans la cheminée, c’est sur l’amulette qu’il porte autour de son cou, que les yeux des natifs présents vont se poser. En un souffle elle est touchée, de le voir le porter. Une appartenance qu’à l’étudiant, elle n’a jamais eu l’occasion d’expliquer, faute de la débâcle de Noël dernier. Ses je t’aime étouffés par la révélation de sa proximité avec la directrice de la WW. Malgré la désapprobation lisible dans le regard de son père, il ne prononce rien, car c’est sa mère qui efface cette possibilité de la douceur de sa main. Et parce qu’on ne peut défaire ce qui a été décidé par la fille de l’air… Ils semblent petit à petit se détendre dans leurs manières.

Ce n’est que plusieurs heures après qu’ils ressortent de la maison, après de longues discussions, entretenues en anglais, pour ne pas positionner l’étranger sur le côté, bien qu’elles n’aient fait qu’effleurer de son départ, les raisons. Préférant accorder une pause à l’animosité faute de cette célébration de la nativité, d’ailleurs c’est pratiquement toute sa famille qui a défilé durant toute cette journée. Rythmant les choses sans que le silence ne puisse trop longuement s’installer. Ses parents ayant même décidés de les convier pour manger. Une marque de résilience autant que de respect. Pourtant, comme ils se trouvent sur le pallier, la porte, dans leurs dos, fermée, elle sait, que ce qu’elle a fait n’est pas réparé. Le froid dans leurs adieux, il n’était pas difficile à déceler. Remontant la fermeture éclair de sa veste, descend une marche de l’escalier, afin de briser le mal être qu’elle s’étonne à ressentir, ayant presque l'impression d'avoir dû leur mentir, elle vient murmurer, « Ma mère t’a aimé. » Sans elle, c'est vrai, ils n’auraient jamais pu rester.