Le temps perdu ne se rattrape plus. Il s'écoule seconde par seconde, qu'on l'utilise ou non. Le temps passé loin d'Elle, tu l'as usé dans les larmes cachées au fond de ton lit, dans la froideur de ton visage, dans la rébellion de tes mots et de tes actes, dans les corps que tu rejoignais et quittais une fois que tu les as consommés. Et elle devrait le savoir, pourtant, qu'elle aurait pu revenir bien plus tôt dans ton existence, que tu n'attendais que ça. Que tu espérais que tout était faux. Espoir gardé bien longtemps, et quand l'espoir était mort, tu la retrouves devant toi. Coeur noir qui se mue en coeur de mousse qui modère ses battements. Coeur qui saigne mais heureux, quelque part. Esprit perdu et torturé qui veut tout et son contraire. Tu la veux près de toi et en même temps, t'as besoin de temps. Tu écoutes ses mots, tu les entends. Ils déchirent une partie de ton âme. Ce n'est plus Elle en face de toi. C'est Aspen. C'est elle sans être elle. Et ça surprend. « Aspen.. j'vais essayer de t'appeler comme ça, alors. J'entends ce que tu dis, j'te jure. Et j'sais pas quoi te dire, parce que j'ai pas encore tout réalisé, j'crois. Et crois moi, tu peux pas me blesser plus que le jour où j'ai cru à ta mort et où j'ai vu un cercueil à ton nom entrer en terre... Et j'crois que j'me relèverai pas si tu venais à disparaître encore parce que je t'aime aussi, El.. Aspen. » Nouveau prénom qui arrache la gueule, mais sentiments qui n'ont jamais pu quitter ton coeur. Et pourtant, t'es désolée. Désolée de ne pas savoir quoi dire. De ne pas savoir quoi faire. Sensation que le sol se dérobe sous tes pieds, tu vas t'asseoir dans le fauteuil dédié à son nouveau métier. « Ca fait combien de temps que t'es de retour à Boston ? »

Quatre ans d'espoir. Quatre années à penser que c'était faux, tout ça. Avoir fini par y croire, laisser la raison l'emporter sur le coeur, baisser la garde jusqu'à tomber sur elle, ici même, ce soir. Revoir toutes ces années défiler dans ton esprit sans te rendre compte qu'elle était là, quelque part dans le monde, quelque part derrière toi au départ. Un sentiment d'incompréhension qui ressort quelque part. Mais elle est face à toi, maintenant. Trop de questions qui passent dans ton esprit pour pouvoir tout mettre en ordre dans ta tête. Tu l'écoutes, tu sais qu'elle parle de ses funérailles quand elle dit qu'elle t'a vue. Et ça te fait mal de savoir qu'elle t'a vue dans ton plus grand moment de faiblesse. De savoir qu'elle t'a vue pleurer toutes les larmes de ton corps en silence, fierté Malacki qui s'était éteinte comme la lueur de ton regard. « Il y a quelques jours encore, j'étais devant cette pierre.. j'avais ce rituel de venir chaque mois, si ce n'est plus. Quatre ans que ça dure et aujourd'hui t'es devant moi. J'te laisse imaginer mon état d'esprit, même si j'le montre pas vraiment.. j'ai envie d'te promettre que j'reviendrai mais j'suis pas sûre de ça pour le moment. J'suis même pas sûre de ce qui est en train d'se passer. Ca m'semble tellement.. irréaliste... » Quelques semaines qu'elle est revenue. Quelques semaines qu'elle aurait pu essayer de te retrouver mais qu'elle reste dans l'ombre. Qu'elle ne sait pas dans quelle merde t'a pu te fourrer. Pourtant, tu viens attraper sa main doucement, regard d'enfant perdue qui vient se perdre dans le sien. « Ne me laisse plus.. » Le coeur a ses raisons que la raison ignore. Et t'as décidé de ne pas laisser ta raison dicter tes mots, à cet instant précis.

Ce sont des milliers de flèches dans le coeur, qui te transpercent une à une. Tu ne sais plus si c'est réel ou non. Tu ne sais plus si tout ça s'est vraiment passé. Sentiment étrange qui parcourt l'âme abîmée. T'es perdue entre être ancrée dans le moment présent et la sensation que tout n'est qu'une illusion de ton esprit, que tu vas te réveiller et que tout ça n'aura jamais existé. Tes pupilles agitées détaillent les changements, cherchent les possibles cicatrices laissées sur ce corps maintes fois embrassé, et seul le temps a fait son oeuvre. Pas un seul impact de balle. Pas une seule marque de cet événement qui a envahi tes nuits sans sommeil. Seul un hochement de tête comme réponse. Digérer. Comprendre, surtout. Réaliser, enfin. « Dis moi une chose que seule toi et moi savons. Qui n'appartenait qu'à nous. » Ce besoin oppressant de te raccrocher à quelque chose qui te prouve que c'est bien vrai. Que tu vas pas te réveiller d'un énième songe qui l'a matérialisée.

C'était vraiment elle. Ta Elle. Celle avec qui tu faisais les quatre cent coups, celle avec qui tu volais dans les magasins sans jamais te faire prendre, celle avec qui tu as volé ta première voiture, et toutes les autres après pour les Bloody Guns. Et au fur et à mesure où elle t'énumère ces quelques souvenirs, l'espoir renait en toi. C'est elle. En vie. Devant toi. C'est pas une putain d'illusion de l'esprit cette fois. Mais t'es perdue. Perdue parce que t'as foutrement envie de l'embrasser, mais que tu veux pas brûler ces étapes. Parce que tu ne sais pas comment réagir face à tout ça. Le corps et le coeur qui veulent fondre dans ses bras, la tête qui rappelle à l'ordre. « Je.. » Sonnée. Aucun mot ne parvient à sortir alors que tes pensées fusent à mille à l'heure dans ta tête. Tu viens poser ta main sur sa joue, dessiner ses traits sous tes doigts, comme avant, comme pour rappeler à ton épiderme les courbes de son visage. Ton regard qui observe ses iris, ses lèvres qui t'appellent. « T'es toujours aussi belle que dans mes souvenirs.. peu importe ton nom. » Sentir une pointe dans ton coeur, qui marque son réveil. Fermer les yeux pour ne pas céder à l'envie de l'embrasser, reculer à contre-coeur. « J'ferai mieux d'y aller.. » Être pourtant incapable de bouger.

C'était trop beau pour être vrai. Tu ne pouvais pas totalement croire que tout ceci était réel, t'avais besoin de temps pour t'en rendre compte. Pour tout remettre en place dans ton esprit. Partir était la meilleure option, c'était ce que ta tête te dictait alors que ton corps était bloqué, trop ancré au sol pour daigner bouger durant un moment. Tu la regardes un temps, puis, dans un soupir, tu déposes tes lèvres sur sa joue. « Peut-être à plus tard.. » Tu quittes la salle privée, tu commandes un verre d'alcool pur au bar que tu vides cul sec, avant de quitter les lieux, rentrer chez toi et réfléchir à tout ce qui vient de se passer.