Ma vie n’a rien pour faire rêver qui que ce soit mais je dois avouer que le compliment de Jax me touche tout particulièrement. C’est doux, c’est agréable et j’ai l’impression d’être vue, ce qui est bien la première fois depuis un petit moment. Avant, j’avais Jacob, j’avais la scène, j’étais le centre de l’attention (ou dans la périphérie de ce dernier). Aujourd’hui, j’ai autant de visibilité que celui qui bosse sous la scène quand personne n’est là. Pas narcissique pour un sous mais mon égo a besoin de ce petit coup de pouce pour se relever. Triste réalité. Mais si douce lorsque mon regard croise le tien. Être vue est agréable. Par contre, ton enfance ne semble pas l’avoir été. Je grimace doucement et m’apprête à poser ma main sur la tienne lorsque je m’arrête en plein élan, la laissant suspendue dans les airs quelques secondes avant de la reposer près de mon verre. Je suis désolée que tu ais connu ça. Parce que même si ma mère était physiquement là, elle n’était pas la mère de l’année non plus. Je ne compte plus le nombre d’horreurs que j’ai pu voir, le nombre de remarques désobligeantes que j’ai pu me prendre dans la tronche et tout ce qui allait avec. C’est pas tous les jours faciles mais oui, j’ai envie d’être là, plus que ma mère ne l’aurait été pour elle je crois alors… C’est déjà ça de gagné. Que je lance sur le ton de la plaisanterie. Ma mère n’avait pas franchement envie d’être avec moi plus petite, j’étais un peu… celle qui lui a gâché la vie. Parce qu’il ne faut pas oublier que je n’étais pas voulue. Je suis une erreur de parcours mais surtout un moyen de pression sur mon géniteur, celui qui disait qu’il quitterait sa femme pour vivre avec nous. Manque de bol, on sait tous les deux comment ces histoires de lâches se terminent. Un sourire dans ta direction, je glisse une main dans mes cheveux, comme l’adolescente que je semble redevenir un peu trop facilement. Le comble de manquer d’amour, d’en vouloir autant quand on est né en France, à Paris plus précisément - ville des amoureux non ? - et qu’on s’appelle Love. Je suis une figure de style à moi toute seule, un putain d’oxymore. Mon prénom et moi, on est un peu deux contradictions. Je me perds dans mes pensées et quand tu me proposes un nouveau verre, je souffle Oui. Mais est-ce que ça te dit de changer de bar ? J’en connais un pas trop loin qui fait bar dansant, y aura un peu plus d’ambiance qu’ici et surtout, ça nous évitera de penser à nos mères. J’aurais pu dire “merdiques génitrices” mais je veux pas juger ta mère. Danser une salsa cubaine en buvant un mojito, ça fait rêver non ? Que je demande en me levant de mon siège, plein plus joyeuse qu’il y a quelques minutes. Je laisse ma mère ici et j’espère que tu me suivras pour qu’on se détende tous les deux.

C’est triste de se rendre compte qu’on se ressemble sur cette partie de nos vies. J’aurais préféré que ce soit exclusivement sur notre amour de la vie, du théâtre mais non. Toi comme moi, on avait pas gagné à la loterie de la famille et ça m’agace. Je sais pas ce que t’as vécu mais de ce que j’en comprends, on est vraiment similaire là-dessus. C’est peut-être pour cela qu’on s’attache si bien, si facilement. Et je crois que tu comprendras facilement que j’ai pas envie de parler de cela toute la soirée. Il y aurait tellement de choses à dire, tellement d’expériences à comparer mais je n’en ai pas envie. Pas ce soir, pas autour de ce verre, pas alors que j’ai enfin une soirée pour moi. C’est à moi d’être égoïste et de rediriger la soirée vers quelque chose de plus mémorable. Et quand tu acceptes, ça m’arrache un large sourire. Totalement ! En plus la danse c’est bon pour la coordination des mouvements. Pas que tu sois maladroit mais ça aide aussi à occuper l’espace, à se rendre compte de la manière dont on se déplace dans un lieu donné. Je suis sûre que tu vas gérer. Et puis, avec une prof comme moi, ça devrait le faire. Un clin d’oeil dans ta direction et nous voilà parti vers le bar suivant. Rien d’extravagant, un peu sombre même, mais je sais que la musique est bonne et qu’il est facile de discuter si on en a envie. Il faut tendre l’oreille mais on a pas besoin d’hurler et tu t’en rends rapidement compte. Je tends mon verre vers toi pour qu’on les fasse tinter et place la paille entre mes lèvres. Une gorgée avalée, je prends le temps de réfléchir et finis par dire Ça dépend de mon humeur. Si je suis triste ou mélancolique, la réponse ne sera pas la même que si tout va bien dans le meilleur des mondes. Ce que je préfère, c’est le jive, c’est énergique, ça sautille de partout. Tu ne te poses jamais, c’est un peu comme si t’étais sur des ressorts. Et j’adore cela. Après, je suis loin d’être une pro, je sais juste quelques pas de bases. Et quand je veux raconter quelque chose, je préfère la danse contemporaine. Les mouvements sont poussés, tu vas au bout de chaque doigt, de chaque orteil quand tu bouges. C’est magnifique. La danse me manque, je ne peux pas le nier. Ça me manque plus que la scène, plus que les planches, plus que tout. Les chorégraphies de comédies musicales mêlent un peu tout, je crois que c’est pour ça que j’aime autant. Et j’ai des paillettes dans les yeux rien que d’en parler, que d’y penser. Fais gaffe, je pourrais te parler de danse toute la nuit. Je ris légèrement, reprenant une gorgée de ma boisson pour me taire, pour me laisser le temps d’accepter que cette vie passée ne sera plus jamais mienne, que je le veuille ou non.

Quand on se dirige vers un bar dansant, je me sens plus légère. J’ai moins la pression, je vais être dans mon élément et ça sera plus simple pour moi. J’ai cette envie de t’impressionner et je n’arrive pas trop à l’expliquer. Tout ce que je sais c’est que lorsque l’on passe la porte du bar, je souris et j’ai l’impression d’avoir perdu 10 kg de stress. C’est fou quand même. Je sais que la danse n’est pas ton domaine de prédilection mais ce soir, c’est un peu de toi (le théâtre) et un peu de moi. Belle façon d’apprendre à se connaître, tu ne trouves pas ? Et puis, entre deux artistes.. C’est pas facile de trouver des gens qui partagent la même passion que nous mais je suis contente d’avoir cette chance. J’ai tellement perdu en quittant Londres : ma vie, mon job de rêve, mon petit-ami (bien qu’il ne soit pas une grande perte) mais ici et grâce à toi, je reconnecte un peu avec tout cela. Quand tu me tends ta main, je glisse la mienne dedans et je ressens comme une chaleur dans les entrailles. T’es prêt à bouger ? Que je souffle en sifflant mon mojito à une vitesse que je risque de rapidement regretter. Ça risque vite de taper, de tourner mais ça ne sera que plus drôle. Et puis, ça m’handicapera légèrement, si c’est pas sympa. On est rapidement sur la piste, les gens dansent autour de nous et personne ne fait attention à ce que l’on fait, à ce que tu fais. Je ne peux m’empêcher de rire et pose ma main sur son bras. Alors, sur l’énergie tu y es bon mais tu bouges pas la bonne partie du corps. Que je te dis rapidement. La salsa, c’est dans les hanches et les jambes essentiellement. Regardes autour de toi. Il y a beaucoup de jupes qui virevoltent, de culs musclés qui bougent sous nos yeux. Et avant que tu te perdes dans la contemplation, je prends ton menton entre mes doigts et dis, Je t’apprends les pas de bases ? Une proposition, une demande, une autorisation, voilà ce que c’est. Et avant même d’avoir ta réponse, je positionne mes bras face à toi, le bras droit un peu tendu/levé et le gauche en arrondi, prête à accueillir ta main dans l’une des miennes et de placer la seconde sur ton épaule.

Je suis heureuse d’être là, d’être dans mon élément. Je me sens beaucoup plus à l’aise et j'ai envie de passer un bon moment avec toi. C’est une bonne manière d’apprendre un peu plus à se connaître, à se rapprocher. Tu me fais rire à danser comme cela. Rares sont les personnes qui prennent l’initiative de danser même quand elles n’y connaissent pas grand chose mais toi, t’es pas comme les autres. T’es le genre de mec qui se fiche de l’avis des autres sur lui et qui vit sa meilleure vie autant que possible. C’est rafraichissant et moi, j’adore cela. Loin de là mais… ils ont quelques cours de danse dans les pattes et les bases. Ce que toi, tu n’as pas mais cela va changer. Aucun doute là-dessus. T’es entre de bonnes mains et si ce n’est pas moi que tu essayes de charmer avec ces mouvements, ce sera quelqu’un d’autre et ça me fera plaisir de savoir que j’ai contribué à tout cela. Je me positionne rapidement et me mets en place pour te montrer les bases de la salsa. Je ne peux m’empêcher de sourire à tes mots. Attention, c’est Johnny qui lui apprend tout. Parce que je lie ce surnom à Dirty Dancing. Et si c’est moi que t’appelles Bébé, je suis à côté de la plaque. Regardes mes pieds, quand j’avance le pied droit, tu recules le gauche. J’y vais doucement pour ne pas t’écraser les orteils. Après ça tu ramènes les deux pieds au même endroit et t’enchaînes avec le suivant. Cette fois-ci t’avance ton pied droit et moi… Je recule le gauche. Je le fais en même temps que je parle et souris largement. On ajoutera les hanches après. Je veux déjà que tu maîtrises ça et que tu ne manques pas de m’écraser les pieds à chaque seconde.

Cette soirée est une bouffée d’air fraîche et je suis heureuse d’être ici. On ne se connaît pas vraiment, cela ne fait que deux fois que l’on se voit mais c’est plus qu’agréable de passer du temps avec toi. Si je pouvais recommencer demain, je le ferais. Manque de bol, la babysitter me coûte assez cher et je ne peux pas me permettre de l'accaparer trop souvent, faute de moyens. Fastoche, fastoche… J’ose pas te dire que je vais rapidement augmenter le niveau de difficulté et réellement te faire danser. Mais pour le moment, je préfère te sourire et quand tu me regardes - et écrase mes orteils - je ne peux m’empêcher de sautiller (instinct de survie) et de souffler Donc tu disais ? Fastoche ? J’en ris légèrement avant de me remettre dans le moment et dans le rôle. Ça me manque, tout ça. La danse, l’enseignement, la création aussi parce que c’est une part importante de mon métier. J’y vais doucement pour ne pas te perdre en chemin et garde un léger sourire sur le visage. Je suis vraiment bien à ce moment et je n’ai pas envie que ça se termine. Pourtant, en glissant les yeux sur ma montre, je sais que je vais devoir partir d’ici quelques minutes. Une quinze/vingtaine je pense. C’est ta voix qui me ramène ici, dans le moment présent. Les hanches, ce sont juste des accentuations pendant certains des mouvements. Que je souffle rapidement. Je quitte la position que nous avions et me mets dos à toi. Tu vois, pour le moment, tu fais comme ça. J’imite ses pas, toujours sur le tempo, mais qui manquent de spice. Et avec les hanches, ça donne ça. Lorsque mon pied se plante dans le sol, la hanche roule légèrement. C’est assez fluide. Je fais un côté après l’autre et demande Tu comprends ? en tordant le cou pour essayer de te voir par-dessus mon épaule.