Je dois l'avouer ; je peux être menteur quand l'occasion se présente. Parce que je dis que je suis pas addict au boulot et que j'ai "d'autres choses à faire" en dehors de m'engloutir dans mes cours, que j'ai des amis à voir, une adresse à tester... Alors oui. Je mens. Des fois. Mais c'est souvent parce que j'ai envie d'éviter certaines personnes que je ne porte pas vraiment dans mon coeur. Je sais pas si ça peut être considéré comme une excuse valable ou une stratégie d'enfoiré, mais je l'ai utilisée pendant des années et j'ai pas vraiment besoin de plus pour m'en sortir.

Et parfois y'a d'autres jours où je cache même pas que je suis un workaholic. Des jours où je passe mes heures libres à la bibliothèques à ne rien faire d'autre que réviser mes cours (en espérant, bien évidemment, finir valedictorian à la fin de l'année), recopier mes notes au propre et en phrases au lieu des quatre-cent mille abréviations utilisées en médecine... Et en plus, avec la période des examens quasiment finie, je suis à ça d'en voir le bout et d'enfin pouvoir respirer. J'ai pourtant pas l'impression que ce soit le cas pour tout le monde présent aujourd'hui. Ça fait un sacré moment que je vois toujours cette nana, là, dans son coin, qui fait ses trucs qui me semblent carrément incompréhensibles. OK. Je me doute qu'on est pas dans le même field (loin de là), mais je sais pas, ça devrait être un minimum obvious quand tu lis de loin... non ?

Bon. Pause. Je décide de me lever, baisser l'écran de mon ordinateur portable, sortir mon paquet de cigarette et passer un peu de temps dehors pour respirer un bon coup et penser à autre chose que les merveilleuses techniques d'incision qu'on nous apprend en cours. Et je ne crois même pas voir le temps passer, puisqu'au moment où je pose à nouveau les yeux sur l'heure, ça fait déjà bien trente minutes qui sont passées. Je soupire, écrasant ma cigarette dans le cendrier mis à disposition, puis je rentre à nouveau à l'intérieur, m'arrêtant à la machine à café par la même occasion pour me prendre un café allongé. Du coin de l'oeil, je la vois qui n'a toujours pas bougé ; je ne sais même pas si elle a regardé ailleurs pendant un instant, si elle a prit un bathroom break ou quoi que ce soit d'autre -- et je me dis clairement qu'elle est presque pire que moi en terme d'addiction au travail. Je fouille un instant dans mes poches pour trouver une pièce de cinquante cents, et je lui prends sa boisson préférée ; un capuccino. Puisque je ne sais pas ce qu'elle met en unité de sucre, je prends deux sticks mis à disposition juste à côté, une touillette, puis je me dirige vers elle, presque trop heureux de ma BA du jour. "Hé, dis, on est arrivés en même temps ici mais t'as toujours pas prit un break ? Tu devrais souffler un coup !" Je lui envoie un sourire, avec ma bonne humeur habituelle. Je pose le capuccino juste à côté d'elle, les accessoires qui vont avec. "Capuccino. Deuxième colonne, quatrième bouton en partant du haut. Je sais, c'est creepy." Je ricane un coup. "Je pensais pas trouver quelqu'un d'aussi addict au travail que moi, mais t'es pas mal dans ton genre aussi, tu sais ?" Je prends une mini gorgée de mon café très (trop) chaud, manquant de peu de me brûler la langue et de passer pour un crétin qui veut impressioner une nana à tous les coups. "Au fait, tu peux m'appeler Terrence. Ou Rence. Je sais pas, c'est comme tu veux. J'étudie la médecine."