Lorsqu’Haiwee m’a énoncé le thème, je ne peux nier que j’ai soupiré. J’ai soupiré plus que fortement. J’adore la science fiction mais je n’ai jamais accroché à Avatar ni compris toute la folie qu’il y avait autour à l’époque. Rien ne m’a plus dans ce film quand je l’ai vu à l’époque mais je crois que si c’est le thème gagnant de cette année c’est parce que le deuxième volet de la saga est censé sortir cette année. Je ne sais pas si ça va marcher mais quand je la regarde sortir de sa chambre, le-dit soir, je souris largement. Putain, ce que ça me démange de lui dire que s’il ne montre pas à tout le monde qu’elle est sienne, je vais lui casser les dents, à son abruti de … choses. Mais puisqu’on a conclu qu’il ne fallait plus en parler, je ne dis rien. Les mots ne valent pas grand choses face aux actions et je sais que là dessus, je ne serai pas déçue - ou peut-être bien que si, justement. Arrivée à la salle, je regarde Haiwee quand sa voix m’interpelle. Le doute qui peut se faire entendre dans sa voix me brise le coeur et je me retiens de ne pas lever les yeux au ciel. La question qui ne tarde pas à franchir ses lèvres, je la déteste. Elle est merveilleuse. Elle est plus que jolie. Ce sont les gamines qui sont jolies mais elle, elle est belle. Les différences de matières qui composent sa robe la subliment comme jamais. Moi, j’ai l’air bien fade à côté avec ma robe bustier en sequins noirs. Elle est tout ce qu’il y a de plus simple jusqu’à ce que je sois sous les lumières. Là, sous les projecteurs, l'iridescence de chacun des sequins de ma robe donnera une couleur bleutée à cette dernière. Magie ! T’es pas jolie Haiwee. Que je lâche en attrapant sa main dans la mienne. T’es genre merveilleuse et trop belle pour ton bien. Le plus triste c’est même qu’elle ne s’en rend pas compte. Alors maintenant, tu laisses tes doutes dans cette voiture s’il te plaît. Quand on sort de là, t’es la femme la plus belle de la planète. C’est comme ça que ça marche. Fake it until you can make it. Et si t’étais pas hétéro - ni entichée d’un abruti - tu ne rentrerais pas seule ce soir et tu ne dormirais pas beaucoup. Un clin d’oeil dans sa direction, j’ouvre la porte de mon côté et file pour aller ouvrir celle du sien. Mademoiselle Wind River ? Allez, tout va bien se passer, je vais m’en assurer.

Notre colocation a repris le cours normal des choses il y a plusieurs semaines mais je suis toujours peinée de l’état dans lequel Haiwee se met pour, ce que je juge être, pas grand chose. Je le vois bien dans ses yeux, cette crainte de ne pas être assez belle alors qu’elle est merveilleuse. Elle est aussi douce qu’une biche et si transparente qu’il ne me faut pas bien longtemps pour comprendre que ces questions, elle les pose aussi bien pour se rassurer que pour se convaincre qu’elle l’est, jolie. Quelle tristesse de voir autant de doute et de manque d’assurance en une jeune femme qui pourrait faire des ravages à l’université et même dans la vie en général. Je ne peux pas l'obliger à se voir comme je la vois mais j’aimerais que ce soit le cas, elle pourrait donc se sentir mieux et sortir de cette voiture la tête haute, n’ayant pas peur des remarques et de l’absence de ces derniers sur elle. Je ne veux que rien - absolument rien - ne gâche son enthousiasme et cette soirée pour elle. Alors, si je dois faire le clown, ce qui est le cas avec mon énoncé sur son hétérosexualité, je le ferai. Et quand elle est à mes côtés, j’ai l’air d’une lilliputienne couverte de sequins. Si on pouvait faire un mix de nous deux, nous serions la personne la plus cool de toute la ville, aucun doute là dessus. Tu me l’as déjà dis oui et je te répète que tout le plaisir est pour moi. Je lui adresse un clin d'œil et la laisse prendre les rênes, lui laissant le pouvoir. Je ne comptais pas faire demi tour. Il paraît que la nourriture est plutôt pas mal ici. Et il y a de l’alcool gratuit alors franchement, de quoi se plaint le peuple ? Je ne sais pas si ça sera si beau que cela - j’ai toujours beaucoup de mal à me rendre compte de comment le thème Avatar peut rendre mais bon. On va vraiment être les plus belles Na’vi de la soirée. Que je souffle en lui adressant un clin d’oeil alors qu’on nous laisse entrer. Et on en prend plein les yeux. Ah ouaiiiii, pas mal quand même ! C’est vraiment pas mal, je ne peux pas critiquer. Très bleu mais c’est joli. Le fric qui passe là-dedans, ça m’hallucine un peu quand même. Moi qui essaye de m’inscrire dans une démarche écologique, on en est bien loin. Mais c’est joli. Tu sais où on est sensé être assises ? Que je demande rapidement. On fait quoi maintenant à part manger, discuter, boire et danser ?

Je sais que ce soir, je vais devoir me contenir, sourire et ne pas soupirer fortement dès que le visage de ma colocataire glissera sur la salle à la recherche de celui qui fait battre son cœur. Je refuse de me lancer sur ce sujet avec elle, les choses sont claires là-dessus mais Haiwee sait aussi que si je suis plutôt forte pour me tenir à carreaux, mon visage est tout de même très expressif. Mais nous n’en parlerons pas ! Surtout pas alors que nous nous dirigeons vers la salle de bal et la découverte du décor m’en bouche un coin. J’en ai déjà vu de jolies choses mais des comme celle-là, jamais. Tout est dans l’excès, dans l’opulence mais ça n’en reste pas raffiné. Ce n’est pas mon style mais on ne dirait pas du dégueuli de licorne mais bien quelque chose qui a été pensé, réfléchi et maîtrisé. Ils ont quand même une drôle de normalité. Que je lance en riant, les yeux qui voguent sur les différents artéfacts qui se trouvent dans la salle de bal. Ça fera de jolies photos pour mon bullet-journal et un joli post meetsa d’ici quelques jours. Mini Hemms au bal, ce n’est pas rien. Mes pas suivent les siens alors que l’on marche à travers la salle à la recherche de nos places pour la soirée. Je dois avouer que je la laisse gérer, guider la chose, suivant bêtement comme l’invité que je suis. Je n’ai rien à faire ici mais j’ai quand même l’impression d’y avoir une certaine place, c’est aussi étrange qu’agréable. Et alors qu’elle s’arrête et que je manque de lui rentrer dedans, je pose mes deux mains sur ses hanches histoire de m’éviter de culbuter vers l’avant. Une vraie tête en l’air. Que je lance en riant, me plaçant à côté d’elle. J’attrape le porte nom et l’approche de mon visage. Regarde quand tu le bouges, la couleur change. Le bleu foncé s'éclaircit avec les lumières de la salle. Viens, prends le tien et mets le devant tes lèvres, on va faire un selfie. Que je souffle en dégainant mon cellulaire. D’abord un normal puis une grimace. Mais une grimace avec les yeux. Ou la bouche mais tu couvres tes yeux avec le papier. Quelque chose de drôle, quelque chose pour se rappeler ce bal et pouvoir se remémorer ce moment dans quelques jours, semaines, mois ou années. T’as mis quoi comme citation dans ton livre de fin d’années ? Il parait que ça veut dire beaucoup sur la personnalité des gens et je veux savoir ce que le monde va comprendre d’Haiwee mais aussi - voire surtout - ce qu’Haiwee veut montrer au monde.

Drôle de normalité, il n’y a pas à dire. Mais la mienne aussi est plutôt drôle. Si une journée pour moi n’a rien à voir avec le schéma type de l’une des leur, elle n’est pas moins étrange. Entre les revues de sextoy, les heures à chercher les nouveautés, les partenariats, filmer puis éditer. Quand j’y pense, aucune de nos vies ne sont normales mais, de toute façon, qu’est-ce que la normalité ? Je suis la première a essayé de détruire ces préjugés et ces idées alors je me sens bien conne d’en véhiculer aussi facilement. Déconstruite mais peut-être pas tant que cela. Et plutôt que de penser à tout cela, à ces changements de statuts, je décide de profiter du moment et de faire passer à Haiwee, un moment dont elle se souviendra un bon bout de temps. Alors c’est par la folie que ça passe. Les rires qui emplissent notre petite bulle me réchauffent le coeur et je m’approche d’elle, dégainant mon cellulaire pour prendre quelques clichés de plus. On en rit, discute quelques positions et la soirée avance doucement mais sûrement, tout comme nous vers la table. Et je sais que le sujet que je viens de lancer avec Haiwee risque de nous occuper un petit moment. Je la regarde, fascinée et complètement hypnotisée. La phrase choisie est si belle et tellement Haiwee que ça ne m’étonne pas. Je pourrais bien lui dire que c’est son devoir spirituel à elle aussi mais n’ayant pas envie de me lancer là-dedans, j’écoute cette option plus longue qu’elle avait choisi. Ouaiiii, la première est mieux, elle est plus directe et nécessite un peu moins de réflexion. Sans compter que je ne pense pas que la seconde toucherait autant de monde que la première. Je pourrais te la piquer pour une prochaine vidéo ? Ça vient de toi ou c’est un truc qu’on t’a appris plus jeune ? Que je demande rapidement, m’intéressant à la question. Et lorsque l’on arrive près de notre table, j’accélère le pas pour aller plus vite qu’elle et tirer sa chaise afin qu’elle s'assoit dessus, telle la princesse qu’elle est. ​​Mademoiselle. Je lui souris et y mets la forme, tendant ma main pour la guider jusqu’à la chaise que je finirai par pousser pour qu’elle s’installe bien à table. Tu m’accorderas ta première danse hein ? Parce qu’on en a pas vraiment parlé, quand j’y pense. Je souris et finis par m’installer à ses côtés quand elle est assise, elle aussi.

Un large sourire se dessine sur mes lèvres lorsque j’entends la réponse d’Haiwee. Trop bien ! S’il y a bien une personne que je suis heureuse d’avoir rencontrée cette année, c’est elle. Ce n’est pas facile tous les jours et mon ouverture d’esprit se limite au bonheur de mes amis mais avec elle, je grandis, j’évolue et j’ouvre mon esprit un peu plus. Je ne suis pas à accepter l’inacceptable mais je n’en reste pas loin - à mes yeux du moins. J’exige que tu fasses une petite apparition dans ma vidéo. Comme ça on ne m'accusera pas d’appropriation culturelle. Il ne manquerait plus que cela. Il y aura une belle histoire derrière, une discussion qui pourra être enclenchée via la section des commentaires et puis, je suis sûre que du contenu créé par nous deux sera quelque chose d’apprécié. J’ai hâte, l’esprit qui fonctionne aussi vite qu’une Formule Un sur un circuit. Ça fuse de tous les côtés et même si j’ai déjà de bonnes idées, je me concentre sur cette soirée et tout ce qui va en découler. Une nouvelle expérience qui va rester gravée dans nos esprits. Haiwee s’éclipse rapidement et moi, je passe un bon moment à discuter avec les personnes qui sont à notre table. De jolies rencontres, des rires échangés - et quelques conseils aussi - jusqu’à ce que ma cavalière revienne. Sourire sur le visage, je tourne ce dernier vers elle et lorsque je vois ses yeux rougis, sa voix tremblante et entends les mots qu’elle baragouine, mon corps se tend instantanément. C’est direct, je suis face à elle et mes deux mains entourent les siennes. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Que je souffle rapidement. Est-ce que quelqu’un s’est moqué d’Haiwee, est-ce qu’un connard mal intentionné lui a fait du mal ? Qui t’a fait du mal ? Parce qu’Haiwee n’est pas une pleurnicheuse, si elle est dans cet état, il y a une raison. Et la raison, je la connais. Mon regard s’assombrit et je serre les dents. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il est où ? Que j’aille lui casser les deux rotules. S’il y a un jour où il aurait pu se retenir d’être le connard qu’il est, c’est bien aujourd’hui. Et pour le mal qu’il lui fait là, je le déteste et le détesterai toujours.