Quotidien intrépide et empressé qui conduit mes heures à devenir minutes, mes semaines en journées et un temps avec une impression d'accéléré. D'autant plus à l'approche de mon départ prochain en mission. Si j'ai hâte de changer d'air et de paysage, je ne connais pas encore mon pays d'affectation et n'ai donc rien pu préparer à l'avance. Je ne peux que saluer mes quelques amis avant le départ, l'avantage étant que la chose ira vite car ils sont peu nombreux dans le lot. Je ne le regrette pas au contraire, c'est plus commode ainsi. Ce soir, je passe la soirée avec ma collègue et amie Taylor, tourmentée par ses histoires amoureuses, nous avons partagé nos ombres en pouvant compter sur le soutien de l'Autre. Je n'ai donc pas d'attente particulière concernant cette soirée sinon celle de passer un bon moment. Et pour l'occasion, le loup que je suis ose se montrer dans ses apparats de cuisinier. L'interphone m'avertit de ton arrivée, après un rapide coup d'oeil sur ma caméra, je reconnais ta silhouette et ouvre l'antre d'un index décidé. Une sonate résonne doucement aux oreilles et la cuisine embaume des parfums de viande et autres aromates. Je sors deux verres à pied lorsque l'ascenseur ouvre sur tes traits « Bienvenue ! » dis-je avec un mince sourire, révélant les deux contenants de mes doigts déliés. « J'ai sorti les munitions. » Rare alliée admise dans mes remparts, je prends goût à entrevoir tes atours orner mes familiers décors.

Mes yeux gagnent sans doute quelques lueurs lorsque tes courbes se dessinent dans le cadre de l'entrée, lorsque ta voix y résonne, la complicité de nos gestes. « C'est vrai. » dis-je avec un sourire léger et approbateur. Même si nous sommes très différents, nous avons su nous trouver, nous apprivoiser dans les drames mutuels, recoller ensemble ces fragments de myocarde, parfois encore mal assemblés, mais l'effort prime sur le reste, n'est-ce pas ? « Je suis déçu moi qui pensais que tu viendrais pleurer le départ du soldat, avec un beau mouchoir de soie immaculé. » Cette image que je reprends mentalement, des compagnes bientôt esseulées et qui sèment leur désappointement dans les Adieux par ces quelques volutes de blancheur. Comme des étoiles semées sur les routes chaotiques et tortueuses qui s'annoncent. L'image est candide, rétro mais toujours agréable pour mes méninges. Il est flatteur de voir pleurer son départ. « Oui pour l'occasion, j'ai eu envie de te faire goûter de ma cuisine. » Je suis fin cuisinier bien que je ne dédie pas trop de temps à cette activité. Mes qualités premières font que je suis naturellement doué dans ce domaine. Assuré, méticuleux, organisé, créatif et rigoureux, résistant à l'effort. Tout est écrit pour que cette compétence soit naturellement acquise. « J'espère que tu aimes la viande rouge. » Tout le monde ne sait pas apprécier le côté plus carnivore de mon alimentation. Mais pour cette entrecôte à coup sûr, tu sauras te pâmer.

Ces missions en pointillé, j'y suis habitué et à dire vrai, j'en ai même besoin. Homme de routines, j'aime aussi mes aventures, ces moments qui laissent davantage de place à l'instinct, aux ressources insoupçonnées qu'on possède tous. L'Armée m'avait permis de me révéler et je lui en était reconnaissante. Alors honorer le corps d'une ou deux missions annuelles me semblait être la moindre des choses. « Un départ implique normalement un retour. » Quand on était militaire, il n'était pas toujours certain mais vu mon poste, il n'y avait pas grand risque, sauf évidemment attaque massive sur ma base ou mon lieu d'exercice. « J'en cuirai une partie davantage mais j'aimerais que tu goûtes au moins comme j'aime la préparer. » Je suis persuadé que la qualité de la viande peut changer bien des préjugés en la matière mais le but n'est pas non plus de te dégoûter. « Non je gère, mais oui tu peux t'occuper du vin. » Je n'aime pas trop déléguer et surtout pour ce genre de tâche où tu es mon invitée. Je souris à ta remarque, continuant ma marinade, et te demandant. « D'ailleurs, je prendrai bien un verre en guise d'apéritif, ça te va ? » Rester au même alcool serait sans doute plus sage pour cette fois.