La revoir hors de l’enceinte de l’université, c’est un désir qui le ronge depuis que sa sœur a pris ses quartiers dans cette ville pour l’observer. Encore heureux, le soir venu, cette inquisitrice à la chevelure ébène suit des cours particuliers ce qui laisse à son demi-frère tout le loisir de sortir et de prendre quelques libertés. Même son vieux majordome semble avoir changé depuis, plus taciturne et tiré à quatre épingles sur les anciennes traditions, par crainte certainement de trahir son jeune maitre par de malheureuses paroles quant à ses récentes aventures et ses penchants amoureux.  

Alors l’étudiant n’a pas hésité à se proposer de passer lorsqu’il a compris qu’elle ne viendrait plus à cette heure le déranger, imposant ce rendez-vous en quelques mots frappés depuis son écran avant de le reverrouiller. C’est une habitude qu’il doit prendre, même chez lui, pour s’éviter ainsi le pire une fois visité, que son intimité ne soit pas plus fouillée. Une fois programmé, bien qu’il ait cette impression d’avoir été intrusif cette fois en s’invitant de cette façon au pied levé, il se prépare rapidement, empoignant son trench sans prévenir son majordome qui ne sera ainsi pas contraint de mentir si d’aventure il était questionné. Ce qu’il ne sait ne peut lui être reproché.
Et plus déterminé que jamais, il a pourtant hésité avant de passer le pas de sa porte en observant son propre reflet, ne voyant là qu’un opportuniste, un arriviste qui profite de la moindre occasion pour se soustraire de ses responsabilités, au titre puissant mais contraint pourtant de la voir dans la clandestinité, une situation qui lui déplait.

Sa main survole les clefs de sa Granturismo mais à aucun moment ses doigts ne s’arrêtent dessus. L’adresse consignée dans son dernier message, il ne l’a pas vérifiée, n’a pas pris le temps d’examiner le quartier, un oubli qui ne lui ressemble pas et qu’il justifie par cet enthousiasme à l’idée de la retrouver. Bien sûr, il pourrait aisément payer les dégâts s’il arrivait quelque chose à la carrosserie mais ce n’est pas tant une question d’argent dont il s’agit, seulement d’explications à donner à celle qui se fera un malin plaisir de savoir comment une telle chose est arrivée. Tant pis, sa main se referme dessus avant de quitter en définitive les lieux afin de s’engager sur l’asphalte derrière son volant. Il aura relu l’adresse pas moins de trois fois avant de couper le contact et de sortir de l’habitacle, redressant son col en visionnant la façade et trouver au bout de quelques secondes l’interphone. « Troisième étage. » Et cette voix à peine déformée par la piètre qualité du matériel  ébauche sur ses lèvres une amorce de sourire, et cela même si elle se fait entendre de loin. Alors il pénètre à l’intérieur, fort de sa logique trouve la cage d’escaliers et grimpe jusqu’à l’étage désiré, accroche du regard les différents noms sur les portes qu’il croise en chemin sans savoir à laquelle frapper. La réponse à sa question, elle s’offre à lui par le biais d’un Wind River rapidement rédigé sur un bout de papier qui a été scotché. A cette heure, il n’est peut-être pas très judicieux de sonner alors il cogne doucement contre le bois pour s’annoncer.

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Le temps ne lui parait pas si long, trahissant même la présence de l’amérindienne derrière la porte puisqu’elle s’ouvre dans les secondes qui ont suivi les faibles collisions. Il se sent détaillé, de la tête aux pieds, mais ce n’est pas non plus ce qui semble le déranger, diverti par cette curiosité qu’elle nourrit silencieusement pour sa silhouette avec cette pointe d’envie. Il aurait été regrettable qu’il ne se propose pas, maintenant il en est convaincu même si les conditions ne s’y prêtent pas.
Puis elle lui barre le passage, défend son territoire en se flanquant contre la charnière vieillissante pour adopter une attitude moraliste.  « C’est une heure pour rendre visite, ça ? » C’est l’hôpital qui se fout de la charité parce qu’il lui avait bien souligné le fait de ne pas vouloir déranger. Mais à l’appel de ses doigts venant chercher les siens, il comprend bien vite l’ironie de ses mots, attiré dans son intérieur qu’elle doit lui faire visiter malgré l’heure.
Alors l'asiatique s’égare à contempler le piètre décor du couloir tandis qu’elle l’éconduit jusque dans le salon où les pas de cette dernière deviennent subitement incertains. Encore sur les détails du couloir, lui aussi marque un temps d’arrêt lorsqu’il braque la tête vers la pièce principale, interloqué par un coin curieusement ampli d’intrigants objets. « C’n’est pas à moi. » Il se contient de rire devant l’évidence qu’elle vient de souligner parce que si l’amérindienne disposait d’une telle panoplie, il n’aurait jamais eu besoin de lui "montrer". « C’est une pièce commune et Eloïse est… » Autrement dit les trois résidents de ces lieux se partagent cet endroit et apprennent le sanscrit du mot tolérance. Et si lui collectionne les artefacts et les reliques, il s’avère que cette fameuse colocataire s’adonne semble-t-il à un passe-temps un peu plus ludique et pratique. « C’est son boulot, quoi ». L’étudiant n’a aucune peine à imaginer le tabou qu’elle évite par-dessus tout de prononcer. Bras tendu et doigts toujours joints, il ne rompt pas le contact lorsqu’il s’aventure un peu plus près de ce curieux étalage. De sa main libre il hésite un moment mais se défend de toucher même s’il lui démange de l’étudier. Certains de formes phalliques aux reliefs lubriques, d’autres plus rondes et ce pc qui trône sur une table basse et sur quoi ses yeux viennent de se fixer… En son for intérieur il ne la jugera pas parce qu’il n’y a rien de honteux à vouloir arrondir ses fins de mois, même en étant camgirl pour vieux vicieux friqués.  « Sacrée collection » qu’il souffle en tentant de les dénombrer, s’arrêtant sur les objets les plus atypiques pour tout d’un coup se retourner vers elle, le timbre égayé : «  Elles doivent être intéressantes vos soirées entre filles. »  

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Des jouets et artifices dont il n’a jamais eu l’utilité ni recours, les femmes se satisfaisant en général de ce qu’il peut leur donner. Et bien que l’amérindienne semble petit à petit se décomposer, il ne recule pas devant l’envie de la taquiner sur cet épineux sujet qu’est pour elle la sexualité. Piquée au vif sans en saisir l’humour décalé, par ce sous-entendu déplacé, elle ne perd pas une seconde pour contre-attaquer. « Mais j’ai pas… ! » Trop empressée de clamer son innocence, elle a perdu de son éloquence en croisant son faciès amusé alors qu’il vient de se retourner. « Oh je vois, t’es très drôle. » Un peu tout de même, elle le reconnait même si ses paroles il les entend teintées de sarcasme, la sauvageonne envoyée malgré elle sur ce terrain. « Bon. » Un seul mot, un seul qui annonce déjà le virage de cette conversation vers un tout autre sujet. « Donc c’est le salon. » Il acquiesce de la tête, toujours souriant parce qu’il ne peut s’empêcher d’observer ce que ce salon recèle de particulier, surtout l’un des plus petits objets, version réservée pour le plaisir masculin pas plus gros qu’un œuf et à faire dérouler à la main. Si seulement il avait eu l’idée d’en glisser un parmi les œufs chocolatés que Witter chez elle a pu ramener, juste histoire de rigoler… Il regrette de ne pas y avoir plus tôt pensé.

Attiré soudainement par la jeune femme loin de ces machins, il la suit, lui emboite le pas vers ce qu’elle désigne comme la cuisine, puis la salle de bains. Évidemment, en chemin, elle lui désigne une porte d’une importance capitale : les wc. Leurs mains encore liées, elle le pousse jusqu’à ce couloir où elle lui susurre les prénoms de ses camarades. « James, » de ce dernier il s’en fout, un prénom qu’il oubliera très rapidement faute d’intérêt. La dernière porte il entend qu’elle cache l’antre de la camgirl aux godemichés, « Eloïse. » Soit. Alors la dernière et pas des moindres à ses yeux, pour lui, n’est autre que celle de Haiwee. « Et moi. » Tout de suite il voit un problème s’annoncer : le fait qu’elle soit mitoyenne, incluse entre les deux autres, ce qui pourrait potentiellement déranger… Et il est fort à parier que les cloisons ne soient pas totalement insonorisées… Presque l’un contre l’autre dans ce faible espace, il y a fortement pensé, forcément, jusqu’à être interpelé par son timbre troublé. « Tu veux boire ou manger quelque chose ? » Il est tard et il a déjà été commandé chez ce traiteur chinois en bas de chez lui alors si la faim se fait ressentir, ce n’est certainement pas avec ce qu’il y a dans son frigo qu’il pourra l’assouvir. « Et la chambre, tu ne me la fais pas visiter ? » Tant qu’ils y sont, à deux doigts d’y pénétrer, tentant encore une fois sous son air intéressé de la déstabiliser. Les meilleures blagues étant les plus courtes, il coupe court au contact visuel pour en plaisanter, lâchant les sous-entendus pour relativiser. « Boire. Volontiers. » A condition qu’il ne soit pas question de l’un de ces fameux clichés, idée reçue de la colocation où le plus irrespectueux boit à même la bouteille des autres.

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Son désir une fois partagé elle reste néanmoins là, statique et presque hésitante à ne pas savoir comment se comporter, silencieuse sans rien ajouter de plus qu’un soupir alors qu’il observe le petit manège se déroulant sous ses yeux amusés : Haiwee dont l’épaule vient de s’affaisser, trahissant sa volonté de se soustraire de cet intermède en recherchant à l’aveugle quelque chose sur quoi s’appuyer. Le singulier effleurement de ses ongles contre le bois ne laisse plus la place au doute, le mouvement de son épaule s’immobilisant quand elle trouve gain de cause. « Mhm » Il attend patiemment qu’elle souffle les prochains mots, curieux de l’entendre à nouveau se prononcer dans cette expérience nouvelle qu’est l’invasion de son territoire. « Je te laisse m’attendre alors, » sous-entendu qu’il lui est permis de pénétrer son intimité, peut-être dans l’optique qu’ils ne soient vu de ses deux colocataires afin de lui épargner les questions un peu trop intrusives ou familières dès le petit réveil. « On a moins de chance d’être dérangés. » Une excuse parmi tant d’autres pour s’isoler et cela lui convient parfaitement puisqu’il opine de la tête légèrement. « Ne pas les rencontrer ce soir me va parfaitement. » De toute manière il n’était pas venu pour les voir eux précisément, alors cette alternative proposée - plutôt que de rester dans le salon - il l’accueille avec l’espoir de rattraper le temps. « Je n’ai pas d’alcool de riz, ici. Mais quelque chose qui s’en rapproche, ça doit pouvoir se trouver. » Peu importe ce qu’elle lui offrira, il n’est pas là pour boire mais pour profiter d'elle au maximum, apprécier chaque seconde en sa compagnie. Puis elle s’emploie à sortir de sa gêne, retrouve sa contenance en se décalant sur le côté afin de le laisser rentrer et découvrir la pièce qui se cache derrière cette porte à peine entrebâillée.

« Dépêche-toi », une requête lâchée malgré sa stature assurée, dans l’attente de la voir revenir auprès de lui tandis qu’il ouvre et pose le pied dans cet espace qu’il n’a jamais violé. Relativement différent des biens immobiliers qu’il a pour habitude de hanter, tout ici a été calculé pour les seuls besoins d’une étudiante sans prendre en compte le confort de cette dernière. Elle ne dispose que du minimum, que du strict nécessaire qui contrairement à ce qu’il lui plait durant ses escapades sauvages ne lui conviendrait de vivre au quotidien, habitué au luxe depuis sa tendre jeunesse. Et tandis qu’il avance dans ce décor, il dénote pourtant la présence d’un objet aux contours familiers sur cette étagère où vieillissent paisiblement quelques bouquins sous une fine couche de poussière. Posément il s’en rapproche tout en se dévêtissant, frôle le pupitre de ce bureau au plan délavé par les années, pour s’arrêter devant la bibliothèque et se saisir de ladite babiole qu’il reconnait. Ce n’est qu’un petit animal taillé dans une pierre semi-précieuse qu’il avait trouvé intéressant de ramener, qui n’a de valeur que pour celui qui en connait la provenance et pour les souvenirs qui y sont associés.  L’objet dans le creux de sa paume, sa veste dans l’autre main, il en détaille une dernière fois les grossier reliefs avant de le reposer là où il était puisque de toute évidence, il compte davantage plus pour elle à présent que pour lui.  
Sa veste repliée trouve également place sur le bureau, ôtant ses chaussures avant d’aller s’allonger sur son lit, comme si elle lui en avait donné l’autorisation pour se redresser dès lors qu’il l’entend revenir.  

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Armée de ses deux verres, de cette bouteille qu’elle fait légèrement tinter malgré la force avec laquelle elle tente de l’étouffer, elle s’affaire à déposer le tout sur le plan le plus large de cette chambre pendant qu’il l’observe en silence. « Alors, » amorce d’une conversation qui pourrait s’orienter vers beaucoup de sujets, il lui décroche un regard lourd de questions pendant qu’elle déverse le liquide à la robe ambrée dans le premier, puis dans le second, dotée d’une exemplaire concentration. « Tu en dis quoi ? » Inutile de tergiverser parce que ses yeux roulent déjà sur cette décoration spartiate, sur le manque de caché et sur la simplicité du mobilier qu’une étudiante lambda est en droit de mériter. Se contenter de peu, voilà une pensée qui devrait le faire méditer, lui qui prend soin pourtant de ne jamais partir chargé lors ses excursions. Mais entre le transitoire et le journalier, il y a tout un monde et cette absence de luxe, c’est vrai qu’il ne saurait la tolérer.

En possession des deux verres à présent, elle vient se rapprocher pour grimper sur ce lit qu’ils n’ont jamais partagé, ayant tendu l’un de deux récipients avant de se faire une place elle aussi sur le duvet qu’il a réquisitionné. « Ça te plaît ? » Le style est un peu trop rudimentaire pour lui mais il se doute qu’elle a fait en fonction de ses modestes moyens alors il ne trouvera qu’une chose à redire, à la réminiscence de cette journée, apportant le verre à ses lèvres sans y gouter. « Le matelas. Faut penser à le changer. » Un luxe qu’elle ne peut se permettre en cette période de disette mais le fait est qu’il ne peut s’empêcher de la taquiner, incriminant ce qu’ils pourraient avoir à partager malgré la promiscuité. Moins plaisantin que précédemment, il goutte à cette liqueur pour attester du degré mais repose le verre sur la table basse alors qu’il y a à peine touché, allongeant son bras et glissant sur le côté pour, entretemps, lui confier : « En fait il n’y a que deux choses qui... » Mouvement exécuté, il se retourne pour retrouver sa position d’origine et continuer. « … justifient ma venue. » Ce n’est pas qu’il veuille dénigrer ce qu’elle a pu reconstruire mais le moment lui semble opportun pour lui faire comprendre qu’il a repéré l’objet, rentrant directement dans le vif du sujet en désignant la bibliothèque d’un mouvement de tête. « La seconde se trouve là-bas. »

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